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Alexandre Soljénitsyne : un monument de la littérature et de la contre-révolution

Dans ce monde au vide assourdissant, on risque fort d’oublier trois anniversaires chargés de sens. Celui de la naissance du grand écrivain russe le 11 décembre 1918, celui de sa mort le 3 août 2008 et celui de son fameux discours de Harvard, Le déclin du courage, le 8 juin 1978, il y tout juste 40 ans, où il appelait à une renaissance spirituelle.


La statue en l’honneur d’Alexandre Soljenitsyne, à Vladivostok, ville portuaire du Pacifique. C’est ici que, pour la première fois, l’écrivain a repris contact public avec la Russie lors de son retour en 1994.  Stocklib/Anna Yakimova

La différence qu'il y a entre être contre la Révolution et être un contre-révolutionnaire n'échappera pas à tous ceux qui ont participé aux dernières journées chouannes organisées par DPF en septembre 2016. Il ne s'agit pas, j'allais dire seulement, de s'opposer à une révolution mais de réfuter l'héritage des « Lumières », des XVIIIe et XIXe siècles, assumé, continué, par les révolutions communistes du XXe siècle et par l'idéologie libérale qui domine aujourd'hui nos sociétés. Certains, peu nombreux, se sont ainsi opposés à LA RÉVOLUTION mensongère, mère de toutes les révolutions, qui ont pu la démasquer, dénoncer et même qui en ont ralenti la progression, en puisant leurs forces à la source de LA VÉRITÉ dans un combat eschatologique. Alexandre Soljénitsyne est sans conteste de ceux-là. Il est notoire qu’il a lutté contre la révolution bolchevique. Ses œuvres les plus connues en témoignent, comme en témoignent ses condamnations aux bagnes du Goulag, ses relégations et les persécutions qu'il a subies après la brève pause krouchtchévienne, jusqu'à son expulsion et sa déchéance de la nationalité russe en 1974.
Mais il y a un aspect peut-être moins connu, c'est la lutte contre « la conception du monde qui domine en Occident, née lors de la Renaissance, coulée dans les moules politiques à partir de l'ère des Lumières, fondement de toutes les sciences de l’État et de la société : on pourrait l'appeler « humanisme rationaliste » ou bien « autonomie humaniste », qui proclame et réalise l'autonomie humaine par rapport à toute force placée au-dessus de lui… La perte de l'héritage chrétien » (1). 

La faute de l’intelligentsia occidentale

Alexandre Soljénitsyne met en évidence la parenté inattendue entre cet humanisme et le socialisme et le communisme. Il cite Karl Marx (1884) : « Le communisme est un humanisme naturalisé. » L’écrivain russe explique ainsi que « si l'ordre communiste a pu si bien tenir le coup et se renforcer à l'Est, c'est précisément parce qu'il a été fougueusement soutenu – et massivement au sens littéral du terme –par l'intelligentsia occidentale (ressentant sa parenté avec lui), qui ne remarquait pas ses forfaits, et, lorsqu'il devenait vraiment impossible de ne point les remarquer, qui s'efforçait de les justifier ». 
Cette collusion s'est manifestée dans les critiques, puis les attaques frontales ou insidieuses et déloyales qu'il a subies de la part de cette intelligentsia lorsque, en exil, il a continué son combat en le portant sur ce terrain et en effectuant ce « monstrueux rapprochement ». Il est alors « Le grain tombé entre les meules ». Les forces du Mal se sont alors déchaînées sans pourtant en venir à bout.
Le secret d'Alexandre Soljénitsyne, c'est tout d'abord de lutter pour la Vérité. C'est ensuite l'expérience et la grande liberté intérieure de celui qui n’a plus peur de la mort, qu'il a affrontée en tant qu'officier commandant d'une batterie d'observation acoustique face aux allemands, puis comme zek (abréviation de zaklioutchoniï qui signifie « détenu » ou « enfermé » – NDLR) dans les camps du Goulag et enfin face au cancer dont il va guérir « miraculeusement ». Il en a la conviction.
Il n'a pas peur de mourir, dit-il à son ami Tvardowski (2) dans Le Chêne et le Veau. Il a puisé dans ces différents combats une force spirituelle chrétienne (il se fait baptiser en 1957). Mais aussi, comme le souligne Georges Nivat (3) dans sa biographie, Alexandre Soljénitsyne est un fin tacticien. Ce caractère, nous pouvons en trouver l'expression dans ce premier volet de ses mémoires où nous le suivons dans les différentes phases de la partie d'échec qu'il va conduire jusqu'à son expulsion de l'Union soviétique.


Harvard, l'un des espaces culturels les plus prestigieux des États-Unis et donc du monde. Alexandre Soljénitsyne n’a pas craint d’y dénoncer, le 8 juin 1978, les « formules figées de l’ère des Lumières ».  Stocklib/Natalia Bratslavsky
 

Une œuvre littéraire considérable

Ses armes ce sont ses écrits : livres, poèmes, pièces de théâtre, scénarios de film, lettres ouvertes, interviews… qu'ils gèrent dans une « guerre à l'improviste » contre les apparatchiks obtus, alcooliques, tétanisés par la terreur, embarrassés par leurs ambitions et leur calcul de carrière dans laquelle le régime soviétique les a élevés alors que Soljénitsyne, lui, est libre. Il n'est attaché à rien, si ce n'est par la promesse qu'il a faite de témoigner, de parler pour les centaines de milliers de ses frères morts ou toujours détenus dans l’Archipel du Goulag. 
« Tout le combat qui venait se dérouler a contribué, je le vois à présent, à me permettre d'occuper une position fortifiée et une base d'attaque en vue de la prochaine bataille, la bataille essentielle, dans le scintillement des casques et le cliquetis des glaives. J'en discerne déjà le germe… Déjà se dessine un plan d'opération en vue de répartir les forces… Leur fierté de vainqueur de l'univers les enfume, les empêche de voir, les empêche de calculer leurs mouvements. Ce que je puis, je le montrerai mieux ; ce que je ne maîtrise pas, je n'en disserterai point. » (4)
L’œuvre d'Alexandre Soljénitsyne est considérable (huit romans, sept recueils de nouvelles, six pièces de théâtre et scénarios, des poèmes, plus d'une vingtaine d'essais et mémoires…) et souvent des ouvrages de plusieurs centaines de pages ; une vie « ordinaire » ne suffirait pas à l'appréhender dans sa totalité. Mais l'essence même de son œuvre, quels que soient les genres qu'elle emprunte, relève de l'historiosophie ; contre le matérialisme historique, une philosophie apocalyptique de l'histoire.
C'est ainsi que Le Chêne et le Veau (Soljenitsyne désignait ses ouvrages d'un seul terme de leur titre : Le Cercle, Le Grain, Le Veau, auquel il s'assimilait, heurtant de son front le chêne soviétique) et les deux tomes du Grain tombé entre les meules constituent ses mémoires littéraires qui nous permettent de mettre en perspective cette œuvre immense et de percevoir le sens qu'il a donné à sa vie, la vocation qui a été la sienne de mener son combat sur le terrain de la littérature, convaincu qu'il était que, par ce moyen, il pourrait triompher de son ennemi, l'ennemi de sa Sainte Russie, l'ennemi du monde en révélant tout ce qui a été tu pour honorer la mémoire de ses compagnons d'infortune et rendre à son peuple son histoire et son âme.

Soljénitsyne contre-révolutionnaire

Parallèlement à ce défi, se développait la « dissidence » soviétique. D'aucuns on pensé réduire son combat à cette dimension. En réalité, même s’il a pu lui apporter son concours, c'est souvent à contrecœur. En la transcendant, il se démarquera de beaucoup de ces dissidents empreints, malgré eux ou à leur insu, de l'esprit révolutionnaire, de libéralisme. C'est notamment le cas de Sakharov qui se placera dans le sillon des défenseurs des droits de l'homme et qui joindra sa voix à celle des critiques d'Alexandre Soljénitsyne. « La défense des droits de l'homme est devenue une idéologie universelle. Mais qu'est-ce à dire de l’ « idéologie des droits de l'homme ». Des « droits élevés au rang d'une idéologie », qu'est-ce que c'est ? Enfin, voyons, c'est l'anarchie bien connue ! Et ce serait cela l'avenir souhaitable de la Russie ? En se battant pour les droits de chacun, il faut penser aux obligations de chacun car, enfin, il faut bien se soucier aussi de l'ensemble ! À parler en termes médicaux, cet obsédant ressassement des « droits de l'homme » n'est rien d'autre que le programme d'une existence unicellulaire autonome, autrement dit d'un développement social qui s'apparenterait au cancer. C'est ainsi que, toujours de la même façon, et encore jusqu'à ce jour, nous entendons Sakharov idéaliser le progrès technique et former le même idéal du futur : « Un progrès tous azimuts régulé scientifiquement ». Va-t-on se mettre aussi à « réguler scientifiquement tous azimuts » aussi bien l'art (c'était l'idée de Sakharov en 1968) que toute vie spirituelle, quant c'est précisément là que réside un progrès possible pour l'être humain ? Voilà qui fait peur. Sans vie spirituelle, le progrès matériel est vide, ce n'est plus le progrès. » (5) Et pourtant, Alexandre Soljénitsyne a toujours eu de l'amitié pour Sakharov comme il en témoigne dans Le Chêne, dans un style lumineux qui nous livre en une seule phrase d'une construction parfaite toute la puissance de sa pensée en même temps que la profondeur de ses sentiments : « Il faut voir là en vérité un sens profond, un grand symbole, la logique personnelle d'un destin : l'inventeur de la plus terrible arme de destruction de notre siècle, soumis à l'impérieux mouvement de la conscience mondiale et de la conscience russe, traditionnellement tournée vers la souffrance, sous le poids de nos péchés communs à tous et à chacun d'entre nous, a abandonné le large confort qui lui était assuré et qui perd tant de gens aujourd'hui de par le monde, pour se dresser devant la gueule de la violence toute puissante. »
C'est ainsi qu’après son exil, Alexandre Soljénitsyne va s'attirer les foudres des détracteurs des deux bords du libéralisme, qui finiront par se rendre compte que son « jugement » n'est pas celui d'un dissident mais d'un témoin armé par Dieu (6).
« Ainsi donc, jadis, la presse occidentale m'a porté aux nues – elle a aussi le droit de me découronner… Mais moi, c'est un peu différent : j'y ai d'abord fait mon entrée disons en qualité d'ange, mais ils ont vite recouvré leur lucidité et, maintenant, c'est à tout jamais que je me trouve diabolisé… Soljénitsyne l'épouvantail, le chef de l'aile droite… Ce meneur, au fanatisme desséché d'un ayatollah profane, plus talentueux et donc également plus dangereux, va exiger de nous un combat acharné et prolongé. » (7)


Vladimir Poutine a eu l’occasion de rendre hommage à Alexandre Soljénitsyne, lui faisant décerner en 2007 le prix d’État en tant que « historien majeur », le premier à avoir rapporté « l’une des tragédies de la période soviétique ».  Mark III Photonics/Shutterstock.com
 

La diabolisation de Soljénitsyne

« Ce qui sidérait et indignait le plus uniment la critique américaine, c'était que je pusse être assuré d'avoir raison. Car il est clair que tous les avis, sur n'importe quel sujet, ne peuvent que s'équilibrer, il ne saurait être question que d'équilibre, du pluralisme courant, de « fifty-fifty », et que nul ne possède la vérité, d'ailleurs elle ne saurait exister en ce bas monde, toutes les vérités ont les mêmes droits ! Et si je fais montre d'une telle assurance, c'est que je me prends pour le Messie. Là s'ouvre un abîme entre la sensibilité occidentale, héritière des Lumières, et une sensibilité chrétienne. De notre, de mon point de vue, la certitude d'avoir trouvé la juste voie, tel est l'état normal de l'homme. Sinon comment agir ? En revanche, c'est l'état morbide dans lequel se trouve le monde que d'avoir perdu ses points de repaire, ne plus savoir ce qu'on fait ni pourquoi. La conscience de servir, par sa vie, la volonté de Dieu, telle est la conscience saine de tout homme qui appréhende Dieu d'un cœur simple, sans la moindre superbe. » (8)
C'est cette position qu'André Dmitriévitch Sakharov a reproché à Alexandre Soljénitsyne qui lui a répondu.
« Mais où avez-vous donc vu que je « politisais la religion » ? Il n'y a rien chez moi qui y ressemble de près ou de loin. C'est vous qui en êtes tout occupé, ne cessant de mettre en garde contre les « risques politiques » de l'orthodoxie. C'est vous qui avez écrit que « l'orthodoxie vous inquiète », c'est vous (tout comme les communistes) qui vous imaginez qu'il ne faudrait surtout pas la laisser quitter l'intérieur des cages thoraciques, la maison, l'église, pour sortir dans la rue, la société, l'école ou l'université. Défendre aux chrétiens de mettre leur foi en pratique dans la vie sociale, est-ce la seule façon d'éviter la « politisation » ? Pourquoi André Dmitriévitch, lorsqu'il est question de la Russie, votre habituel sens de la mesure vous abandonne-t-il toujours ? »
Ayatollah ! Théocrate ! Monarchiste ! Tout y passe. Soljénitsyne est même « un héritier du mode de pensée stalinien ». (9)
« Mais ce que haïssent aussi bien les nouveau démocrates en Union soviétique que toute l'armada radicale (libérale) de la presse américaine, ce n'est pas tant ma personne que, à travers moi, la mémoire russe, la conscience russe qui revient à elle présentée comme de l'antisémitisme pire que n'importe quel communisme. » (10) Nous y voilà. Arrivée à bout d'arguments, « la cohorte des cafards » va utiliser l'arme suprême, la marque d'infamie : l'antisémitisme. Une petite confidence. Alors que je lisais Le Chêne et le Veau à l'ombre des arbres du bord du Clain, une dame, quadragénaire, genre « bobo », m'interrogea : « Que lisez vous ? » Je lui répondis en lui montrant la couverture du livre. « Soljénitsyne ? Quelle drôle d'idée !»
« La figure du lutteur Soljenitsyne a disparu, elle avait même disparu avant sa mort, par la force des choses. » (Libération 27/08/2008). Combattant de la liberté, héraut de la civilisation, Alexandre Soljénitsyne sera encensé jusqu'à ce que la « tribu des instruits » se rende compte qu'il n'était pas de son bord. C'est alors que les deux meules tenteront de le broyer. Finalement, nous pourrions penser qu'il est sorti vainqueur de ce combat sauf que, même au-delà de la mort, le système pourrait finalement avoir le dernier mot en lui appliquant le complot du silence. C'est ce contre quoi il nous faut nous battre pour continuer le bon combat qu'il a mené jusqu'à la victoire finale, celle de la vérité qui rend libre.


Expulsé d’URSS en 1974, le prix Nobel de littérature n’a pu retrouver son pays natal que vingt ans plus tard. Considéré depuis comme une grande figure russe, il est même apparu sur des timbres.  Stocklib/Olga Popova
 

Le déclin du courage

Une synthèse essentielle : le discours prononcé par Alexandre Soljénitsyne, le 8 juin 1978, devant les étudiants d'Harvard, publié sous le titre Le déclin du courage.
Partant du constat (combien actuel) qu'on ne saurait juger les pays, leur culture, leurs systèmes politiques selon leur degré de conformité au modèle occidental, Il dénonce dans celui-ci la suprématie du droit sur la morale, l'idéal de liberté dégénérant souvent en licence et en « débridement des passions », les droits de l'individu bafouant ceux de la société, le pouvoir des médias (aux mains de gens non élus) l'emportant sur les autres (issus d'élections), l'accumulation des biens, la quête de confort suscitant par ailleurs l'amollissement des caractères et un déclin du courage peu propices à l'émergence de personnalités hors du commun. Enfin, l'idéologie des Lumières, celle d'un humanisme areligieux, expliquerait, selon l'écrivain, l'attrait exercé par le communisme, dès ses origines, sur l'intelligentsia occidentale…
« Une douzaine d'années après, avec la disparition de l'URSS, l'Europe a manqué l'occasion historique d'ouvrir les bras à la Russie, celle de Tolstoï et Dostoïevski, de Kandinsky et Chagall, de Tchaïkovski et Chostakovitch, comme à une civilisation sœur. Les conséquences s'en font plus que jamais sentir, aujourd'hui où l'Occident persiste à ne pas voir que les premières causes de ses probables revers à venir sont à chercher en lui-même » (préface de Claude Durand au Déclin du courage). 
Sans aller jusqu'à dire comme certains de ses auditeurs : « Il est notre Isaïe… », il a ressuscité la tradition du prophétisme apocalyptique… À la lecture de certains passages, nous sommes tentés de souhaiter « d'avoir notre Soljenitsyne à nous. »

Sur le colonialisme

« Le petit monde néo-européen se taillait facilement des colonies dans le monde entier (…) avec un profond mépris pour toutes les valeurs que pouvait receler la vision du monde des peuples conquis. Actuellement, le rapport entre les métropoles et les anciennes colonies s'est inversé et souvent le monde occidental, passant à l'autre extrême, fait preuve d'une complaisance servile. Cependant, il est difficile de prévoir à combien se montera la facture présentée par les anciennes colonies et de dire si l'Occident finira jamais de la payer même quand il aura restitué ses dernières terres coloniales et donné de surcroît tous ses biens ». (11)

Le droit d'intervention : un néocolonialisme ?

« Tous les autres mondes sont seulement empêchés, temporairement, par de méchants gouvernements ou par de graves désordres internes ou par la barbarie ou l'incompréhension, de s’élancer dans la voie de la démocratie occidentale à partis multiples et d'adopter le mode de vie occidental. Et chaque pays est jugé selon son degré d'avancement dans cette voie… Les fonctionnaires politiques et intellectuels manifestent ce déclin, cette faiblesse, cette irrésolution dans leurs actes, dans leurs discours, et plus encore dans les considérations théoriques qu'ils fournissent complaisamment pour prouver que cette manière d'agir, qui fonde la politique d'un État sur la lâcheté et la servilité, est pragmatique, rationnelle et justifiée, à quelque hauteur intellectuelle et même morale à laquelle on se place. 
Ce déclin du courage, qui semble aller ici ou là jusqu'à la perte de toute trace de virilité, se trouve souligné avec une ironie particulière dans le cas où les mêmes fonctionnaires sont pris d'un accès subit de vaillance et d'intransigeance à l'égard de gouvernements sans force, de pays faibles que personne ne soutient ou de courants condamnés par tous et manifestement hors d'état de rendre un seul coup. Alors que leur langue sèche et que leurs mains se paralysent face aux gouvernements puissants et aux forces menaçantes, aux agresseurs et à l’Internationale de la terreur. Faut-il rappeler que le déclin du courage a toujours été considéré comme le signe avant-coureur de la fin ?
» (12)
Il y a encore des commentaires éblouissants de lucidité et toujours d'actualité, sur la presse, la vie juridique, les idées soumises à la mode (le politiquement correct). Mais allons à l'essentiel.


Une journée d'Ivan Denissovitch, c'est celle d’un bagnard condamné à dix ans de camp de travail pour avoir été fait prisonnier au cours de la Seconde Guerre mondiale. Sa publication sera autorisée par Khrouchtchev en 1962. Mais tous les livres de Soljénitsyne seront interdits à partir de 1965.  Mark III Photonics/Shutterstck.com
 

La condamnation du Libéralisme

Pour Alexandre Soljénitsyne, l'Occident a cessé d'être un modèle depuis qu'est survenue « la catastrophe de la conscience humaine antireligieuse ». Cette catastrophe, il la fait remonter à la Renaissance. « Cette conscience avait fait de l'homme la mesure de toute chose sur terre (…) Le chemin que nous avons parcouru depuis la Renaissance a enrichi notre expérience, mais nous avons perdu le tout, le Plus-Haut qui fixait une limite à nos passions et à notre irresponsabilité. Nous avions placé trop d'espoirs dans les transformations politico-sociales, et il se révèle qu'on nous enlève ce que nous avions de plus précieux : notre vie intérieure. »
Et de diagnostiquer que les parties de notre monde éclaté sont « atteintes d'une maladie analogue » ; ce cancer diagnostiqué par Pie IX et ses successeurs : le libéralisme ou le matérialisme.
« Karl Marx a pu dire (1844) : « Le communisme est un humanisme naturalisé ». Et cette affirmation n'est pas dénuée de sens. Dans les fondements de l’humanisme érodé comme dans ceux de tout socialisme, il est possible de discerner des pierres communes : matérialisme sans borne ; liberté par rapport à la religion et à la responsabilité religieuse (menée sous le communisme jusqu'à la dictature antireligieuse) ; concentration sur la construction et allure scientifique de la chose (les Lumières du XVIIIe siècle et le marxisme). Ce n'est pas par hasard si tous les serments verbaux du communisme tournent autour de l'homme avec un grand H et son bonheur terrestre. Monstrueux rapprochement, n'est-il pas vrai ? »
Fallait-il du courage pour déclarer dans l'un des espaces culturels les plus prestigieux des États-Unis et donc du monde : « S'accrocher aujourd'hui aux formules figées de l'ère des Lumières, c'est se montrer rétrograde. Cette dogmatique sociale nous rend impuissants dans les épreuves de l'ère actuelle. »
Et nous conclurons avec lui : « Le monde, aujourd'hui, est à la veille sinon de sa propre perte, du moins d'un tournant de l'Histoire qui ne cède en rien au tournant du Moyen Âge sur la Renaissance : ce tournant exigera de nous une flamme spirituelle, une montée vers une nouvelle hauteur de vues, vers un nouveau mode de vie où ne sera plus livrée à la malédiction notre nature physique, mais où ne sera pas non plus foulée aux pieds, comme dans l'ère moderne, notre nature spirituelle. » (13) 

1 Le déclin du courage.
2 Rédacteur en chef de la revue Novy Mir qui a publié Une Journée d'Ivan Denissovitch en Union Soviétique.
3 Georges Nivat, universitaire français, historien des idées et slavisant, traducteur spécialiste du monde russe, il a été l’un des traducteurs d’Alexandre Soljénitsyne.
4 Le Chêne et le Veau.
5 Le Grain. 
6 Georges Nivat
7 Citation du Midstream dans Le Grain tombé entre les meules.
8 Ibid.
9 Ibid.
10 Ibid.
11 Ibid.
12 Le Déclin du courage.
13 Ibid. 

(*) Serge Iciar
Ce diplômé en droit public de la faculté de Bordeaux, ancien cadre supérieur de l'administration des douanes, féru de littérature, d'histoire et de philosophie, met à profit sa retraite pour lire et écrire. Il collabore notamment à la revue Lecture et Tradition, éditée par DPF qui, à travers les Éditions de Chiré et l’organisation des Journées chouannes chaque année, début septembre, perpétue en France la pensée contre-révolutionnaire. 
La presse vue par Soljénitsyne
Dans son discours de Harvard, le 8 juin 1978, le prix Nobel de littérature se montrait très critique envers une superficialité qui n’a fait que s’aggraver depuis quarante ans :
« La presse est devenue la force la plus importante des États occidentaux (…) Les gens qui travaillent vraiment n’ont aucun besoin de ce flot pléthorique d’informations abrutissantes. La presse est le lieu privilégié où se manifestent cette hâte et cette superficialité qui sont la maladie mentale du XXe siècle. Aller au cœur des problèmes lui est contre-indiqué, cela n’est pas dans sa nature, elle ne retient que les formules à sensation. »