Eco Austral

Découvrez tous nos articles en illimité. Je m’abonne

Logo Eco Austral
n

Eco Austral

Maurice

Aménagement du territoire : une question désormais incontournable

Avec l’arrivée du métro léger, l’État place sur le devant de la scène la question de l’aménagement du territoire, longtemps délaissée. Quant au secteur privé, il mise aujourd’hui sur les Smart Cities.

« Alors que près de 30 000 salariés se rendent chaque jour à Ébène, il n’y a pas de réel parking ! Tous les matins, c’est une véritable jungle. Bref, c’est l’antithèse du modèle que nous voulons bâtir pour notre pays ! » Gérard Sanspeur, le patron de Landscope Mauritius, la nouvelle entité étatique chargée de l’aménagement du territoire, n’y va pas avec le dos de la cuillère.
La Cybercité d’Ébène, qui fête cette année ses 15 ans et se voulait la vitrine d’un pays moderne, symbolise pour beaucoup tous les maux qui frappent Maurice. Les problèmes de congestion routière et surtout de parking sont liés au fait que les concepteurs de ce quartier d’affaires n’ont pas imaginé que beaucoup de salariés (on les estime à 40 %) utiliseraient leur voiture pour se rendre à leur bureau.
L’autre critique porte sur la conception même des bâtiments. « Alors que dans toutes les villes modernes, on bâtit les accès routiers, puis les immeubles et les espaces de bureaux, ici on a fait l’inverse ! », enrage le patron de Landscope Mauritius. « À l’origine, il n’y avait que la première tour qui devait dépasser R+3, pas les autres. Mais les bâtiments ont poussé dans tous les sens et à n’importe quelle hauteur », soulignait déjà en 2015 Vinesh Chintaram, à l’époque président de l’Association des architectes mauriciens. « Tout cela est dû à une absence de politique d’aménagement », résume Gérard Sanspeur avec amertume.
 

Gérard Sanspeur, président de Landscope Mauritius : « Ce n’est pas un autre développeur immobilier. Son rôle est d’élaborer des schémas directeurs pour la Nation. »
Gérard Sanspeur, président de Landscope Mauritius : « Ce n’est pas un autre développeur immobilier. Son rôle est d’élaborer des schémas directeurs pour la Nation. »  Jean-Michel Durand
 

N’importe où, n’importe comment

D’autres facteurs expliquent la situation chaotique actuelle. Si l’on enregistre une moyenne de quelque 7 000 permis de construire délivrés annuellement, le nombre de constructions serait en fait beaucoup plus important. Certains parlent de trois ou quatre fois plus. Si l’on ajoute le fait que la loi qui impose l’emploi d’un architecte à partir de 150 mètres carrés de surface, est contournée par la délivrance de certificats de complaisance, on peut dire qu’on construit un peu n’importe où et n’importe comment. 
« À la décharge des autorités, il faut reconnaître que la question de l’aménagement n’était pas la principale préoccupation lors de l’Indépendance et jusqu’à la fin des années 1990 », tempère Amritraj Dassyne, notaire au cabinet familial éponyme, l’une des plus anciennes et importantes études de l’île. Ce désintérêt explique peut-être le fait que ce soit seulement en 2012 que l’État ait décidé de créer un cadastre national. « Ce vide a créé des fraudes. Par exemple, dans un village situé sur la côte Ouest, certains terrains ont été cédés à trois acheteurs différents », chuchote un fonctionnaire du département du cadastre. C’est avec l’aide de l’Australie qu’a été constituée cette base de données nationale informatisée : le Land Administration and Valuation Information Management System (LAVIMS). 
« Chaque terrain résidentiel, industriel et agricole à Maurice est doté d’un Personal Identification Number, un numéro unique d’identification. Ce code lie une parcelle à une information comme l’identité du propriétaire ou un acte… », explique cet agent de l’État. Aujourd’hui, 60 % du territoire mauricien est cadastré. « La mise à jour se poursuit. Une fois achevée, elle sera utilisée dans la prochaine révision de la Stratégie nationale de développement », indique une source au ministère des Terres et du Logement.
Mais il est essentiel de comprendre que le cadastre mauricien, au contraire d’autres pays, n’est pas une preuve en soi de propriété. « Nous ne sommes qu’un lieu d’enregistrement », ajoute le fonctionnaire. « C’est le titre de propriété qui est la preuve ultime. En cas de litige, seule une action en justice pourra résoudre un problème », précise le notaire Amritraj Dassyne. 
« Même si le modèle a encore des faiblesses, le cadastre est une aide considérable pour l’État, mais aussi pour les promoteurs immobiliers dans leur projet d’urbanisation avec l’émergence des Smart Cities », reconnaît Stéphane Poupinel de Valence, le Managing Director de Medine Property, bras immobilier du groupe mauricien Medine.
Le gouvernement se donne comme objectif de faire passer, à moyen terme, Maurice dans la catégorie des pays à revenu élevé (12 235 dollars de revenu national brut par habitant). Pour cela, il investit massivement, selon les recommandations du dernier rapport Doing Business de la Banque mondiale, dans les infrastructures publiques et en particulier dans un ambitieux projet de métro Express. Son coût est estimé à 17 milliards de roupies, soit 425 millions d’euros, fournis par l’Inde, dont 240 millions d’euros sous forme de don et le complément par une ligne de crédit au taux de 2 %. 

Le métro léger accélère la planification

Tout en illustrant les ambitions mauriciennes, ce projet vise à réduire la congestion routière dont le coût est estimé aujourd’hui à 4 milliards de roupies (100 millions d’euros) et devrait atteindre 10 milliards de roupies (250 millions d’euros) en 2020. Ce métro Express, qui compte 19 stations au total, va relier Curepipe (centre de l’île) à Port-Louis. Cu-rieusement, s’il traverse les Plaines-Wilhems, le district le plus peuplé de l’île (368 621 habitants en 2015), il n’est pas prévu qu’il desserve la Cybercité… 
De fait, ces travaux accélèrent la planification de l’île. Et cela a un coût.
Durant l’année financière 2016-2017, l’État a versé 316 millions de roupies (7,9 millions d’euros) rien qu’en frais de compensation pour les propriétaires impactés par le trajet du métro… Parallèlement, l’État investit massivement dans d’autres projets d’aménagement. Pas moins de 4,1 milliards de roupies (102,5 millions d’euros) doivent ainsi être consacrées à la décongestion routière…

De la consultance importée de La Réunion

Pour mettre en œuvre leur stratégie d’aménagement, les autorités ont créé en 2016 Landscope Mauritius qui joue le rôle d’une agence d’urbanisme, mais pas seulement. Issue de la fusion de six compagnies d’État (la State Land Development Company Limited, la State Property Development Company Limited, le Business Parks Mauritius Limited, le Belle Mare Tourist Village Ltd, Le Val Development Ltd et Les Pailles Conference Centre Ltd), cette entreprise de droit privé est devenue l’une des principales entités du pays en termes de valeur foncière. En complément, l’Economic Development Board (EDB), le guichet unique chargé de la promotion des investissements directs étrangers et des exportations, aura également un rôle à jouer dans l’aménagement territorial.
« Landscope Mauritius complète l’action du ministère des Terres et du Logement. Nous le consultons à propos de grands projets de développement foncier et en retour il nous soumet ses avis de planification. Mais surtout, Landscope Mauritius comble un vide : celui de la régénération urbaine », explique Gérard Sanspeur. Pour cela, l’institution s’inspire de l’expérience réunionnaise. « Nous avons beaucoup de points communs avec nos voisins. » C’est d’ailleurs le bureau réunionnais de l’entreprise Verso Consultants, le premier cabinet de conseil en stratégie et transformation spécialiste des Outre-mer, qui apporte des conseils stratégiques.
 

Amritraj Dassyne, notaire au cabinet familial éponyme : « À la décharge des autorités, il faut reconnaître que la question de l’aménagement n’était pas la principale préoccupation lors de l’Indépendance et jusqu’à la fin des années 1990. »
Amritraj Dassyne, notaire au cabinet familial éponyme : « À la décharge des autorités, il faut reconnaître que la question de l’aménagement n’était pas la principale préoccupation lors de l’Indépendance et jusqu’à la fin des années 1990. »
 

Côte d’Or, la Smart City de l’État

Combinant le meilleur de la technologie verte, de l’informatique, de la haute connectivité et du transport à faible consommation d’énergie, l’objectif de la Smart City de Côte d’Or (située non loin d’Ebène) est de désenclaver Port-Louis et de soulager Ébène. « Il s’agit d’apprendre de nos erreurs, explique Gérard Sanspeur. Pour éviter de créer une cité dortoir, nous allons y bâtir des lieux de vie. Notre but est d’attirer la classe moyenne. Nous pourrons implanter des bâtiments administratifs (un projet d’une école de police a été évoqué) et attirer des entreprises pour créer des supermarchés et des hôtels. »
À l’issue d’un appel d’offres, 65 opérateurs privés ont déjà manifesté leur intérêt pour la Smart City de Côte d’Or. 
« Nous voulons être un Master Developer. Notre rôle est d’élaborer des schémas directeurs, mais c’est le secteur privé qui sera chargé du développement. Ce n’est qu’exceptionnellement que nous allons mettre en place des infrastructures. C’est la différence majeure entre notre projet de Côte d’Or (connu auparavant comme Highlands Smart City) et les Smart Cities du secteur privé. Nous ne sommes pas en concurrence. Nos offres se complètent. »
Dans la foulée de la présentation du Budget 2015-2016, la plupart des grands groupes mauriciens ont lancé leurs projets de Smart City. Bien souvent, il s’agit de l’évolution de projets immobiliers Integrated Resort Scheme (IRS) ou Real Estate Scheme (RES) préexistants. Pendant longtemps, faute de planification nationale et de cadastre, ces groupes ont eux-mêmes aménagé et façonné les régions où ils sont basés. Ainsi, dans le nord-est de l’île, Novaterra, le pôle foncier du groupe Terra, va lancer sa Beau Plan Smart City. Située près de l’Aventure du Sucre et du Business Park existant, elle comprendra des commerces, des structures de loisirs et des bureaux, accessibles en partie en Vefa (vente en l’état futur d’achèvement). 
« À terme, cette véritable ville ambitionne d’accueillir 37 000 personnes », assure Joël Couve de Murville, Senior Manager Marketing & Sales de Novaterra. Les travaux, qui vont débuter en 2019, s’étaleront sur vingt ans. L’investissement nécessaire est estimé à 30 milliards de roupies (750 millions d’euros). 

​Les Smart Cities, élément clé de l’aménagement ?

De son côté, le groupe ENL a démarré l’urbanisation de Moka il y a plus d’une dizaine d’années. Et c’est en novembre 2017 que le Board of Investment (BOI) a certifié son projet de Smart City. Cela lui permet de finaliser de nombreuses ventes en cours et de lancer de nouvelles constructions. Avec sa filiale ENL Property, le groupe a ainsi commercialisé son premier projet de bureau, au sein de sa Smart City de Moka, au Vivéa Business Park. Au coût de 240 millions de roupies (6,8 millions d’euros), les travaux de construction ont démarré en avril 2017 pour une ouverture prévue mi-2018.
« Le Vivéa Business Park est aujourd’hui un cadre de travail unique, central, pourvu d’espaces verts et doté d’aménités modernes, dont une connectivité Internet par la fibre optique », explique Didier Audibert, le Managing Director de MDA Properties, filiale d’ENL Property et maître d’oeuvre.
Le développement urbain de Moka s’étend sur 500 arpents (211 hectares) de Saint-Pierre à Bagatelle. Le groupe Omnicane restructure, lui aussi, les 3 000 hectares de son patrimoine foncier. Ainsi, 400 hectares seront transformés en Smart City appelée à « redessiner le nouveau pôle urbain du sud de l’île pendant les cinquante prochaines années », fait valoir Jacques d’Unienville, son Chief Executive Officer (CEO).
Les travaux de la Mon Trésor Smart City ont débuté en 2016. La première phase comprend le Business Gateway, une zone de port franc et un studio de cinéma bâti en partenariat avec des Allemands. Quant au quartier résidentiel, il comportera 409 unités : town houses, appartements et villas destinés à la fois à la clientèle locale et internationale à des prix variant entre 120 000 et 900 000 euros. Il a nécessité un investissement de 150 millions d’euros.
Quant au projet Unicity du groupe Medine, il s’agit d’un programme basé sur l’implantation d’universités françaises de renom avec l’ambition de devenir un véritable « hub » éducatif pour l’Afrique. Ce projet, qui s’étendra sur 273 hectares à Flic-en-Flac, nécessite un investissement total de 35 milliards de roupies. 
À terme, la Smart City de l’Ouest intégrera la région de Flic-en-Flac, Cascavelle, Beaux-Songes et Rivière-Noire, comptera 12 000 habitants et générera 6 000 emplois. L’exécution des diverses phases se fera sur une trentaine d’années.