Avec Logipren, Béatrice Gouyon sauve des nouveau-nés
L’entreprise du docteur Béatrice Gouyon, pédiatre néonatologue, porte le nom du logiciel qu’elle a créé, Logipren, qui est unique au monde. Il permet d’éviter les erreurs de prescription et d’administration de médicaments aux nouveaux nés prématurés ou souffrant d’une infection.
Le docteur Béatrice Gouyon est pédiatre néonatologue. La néonatologie est la sur-spécialité de la médecine qui s’intéresse au foetus et au nouveau-né, avant, pendant et jusqu’aux premiers mois après la naissance. Cette Toulousaine de 52 ans n’a toujours fait que ça, sauf durant un séjour d’un an et demi à Mayotte en tant que Volontaire à l’aide technique (VAT) où elle intervenait comme pédiatre. Elle-même a donné le jour à quatre enfants et a adopté une petite Comorienne. Avec l’amour des enfants, il y a aussi sa passion pour La Réunion qu’elle découvre dans les années 1990. « Je suis tombé amoureuse de cette île, de son ‘vivre ensemble’. Ici, pas de barrière infranchissable entre riches et pauvres ou entre les handicapés et les autres, comme on en trouve en France métropolitaine. Et quand vous êtes piéton, on vous laisse traverser la rue… » Avant le climat, la mer, la montagne, c’est la population qu’elle apprécie et plus particulièrement celle du sud de l’île. Aussi, lorsque le projet de Centre hospitalier universitaire (CHU) voit le jour en 2011, elle saute sur cette opportunité et son époux est recruté comme professeur de pédiatrie. Il était auparavant chef de service et professeur à Dijon où elle-même a commencé à travailler sur la sécurisation de la prescription aux nouveau-nés hospitalisés.
PROGRESSION
C’est à Saint-Pierre que Béatrice Gouyon a choisi de créer sa start-up et de la développer. C’est Logipren (contraction de logiciel et de prénatal), qui voit le jour en 2011 et bénéfice tout d’abord de plusieurs années de R&D (recherche et développement) grâce au portage réalisé par le CHU de La Réunion entre 2013 et début 2016. Cette startup pas comme les autres a mis au point un logiciel d’aide à la prescription, à la préparation et à l’administration de médicaments aux nouveaux nés prématurés ou souffrant d’une infection. Ces nouveaux nés représentent entre 10 % et 12 % des naissances en France (ce qui fait entre 75 000 et 90 000 bébés à risque). Et sur cette part, on constate une erreur médicamenteuse dans 16 % des cas, pouvant conduire à un décès. Cela est dû au fait que les laboratoires, ne pouvant disposer d’un Autorisation de mise sur le marché (AMM), sont incapables de fournir les doses adaptées. Par exemple, ils vont proposer, pour une perfusion, une ampoule de 3 ml destinée à un patient de 70 kg alors qu’il s’agit de traiter un nourrisson de 700 grammes. Il faut donc fortement diluer.
Logipren repose sur une énorme base de données nationale, élaborée durant deux ans, et permet de simplifier la prescription et de codifier les soins (administrés sous perfusion). Un peu comme une recette de cuisine qui indique les quantités d’ingrédients et la façon de les traiter.
Les principaux clients de Logipren sont les hôpitaux publics pour leurs services de néonatalogie et, plus particulièrement, les services de réanimation et de soins intensifs. L’entreprise, qui porte le nom de son logiciel, l’a déjà commercialisé après de 58 hôpitaux en France (dont La Réunion et Mayotte), sous la forme d’une redevance annuelle de 40 000 à 50 000 euros comprenant la formation et la maintenance. C’est donc un revenu récurrent et l’entreprise a atteint son point mort en 2018. Son chiffre d’affaires s’est envolé : 209 000 euros en 2016, 400 000 euros en 2017, 900 000 euros en 2018 et 1,3 million d’euros en 2019. C’est mieux que le Business Plan initial. Et la création d’emplois suit la même courbe avec, actuellement, un total de 24 salariés, dont 14 à La Réunion où se fait le développement et 10 à Paris, et de nouvelles embauches prévues en 2020. En effet, il faut assurer la formation au logiciel et sa maintenance. Deux ou trois « clients » en plus et c’est une nouvelle embauche.
INNOVATION
Le logiciel Logipren est unique en son genre, à l’échelle mondiale, et représente une véritable innovation de rupture. Il est le résultat de deux ans de travail de recherche à temps plein par un médecin. Pas moins de 60 000 prescriptions ont été entrées dans la base de données pour pouvoir déceler les erreurs qui proviennent pour moitié de ces prescriptions et, pour l’autre moitié, des dosages et actes de soin administrés par les infirmières. Beaucoup de publications ont été épluchées et en particulier celles de l’association américaine des pharmaciens. À tel point que Logipren reçoit de nombreux compliments lors de congrès scientifiques. Et les gros éditeurs informatiques dans le médical, qui n’ont pas d’offre spécifique aux nouveau-nés, commencent à proposer à Logipren de l’intégrer dans leur offre globale. Il s’agit de répondre à des appels d’offres à plusieurs millions d’euros. En clair, grâce à son innovation, Logipren se retrouve face à un marché captif puisqu’il n’a pas de concurrent et que son acquisition par un hôpital représente une économie de temps estimée annuellement à un médecin en équivalent temps plein. Sans parler bien sûr du fait qu’il peut sauver des vies.
DYNAMISME À L’EXTÉRIEUR
Logipren vient de créer une version de son logiciel en anglais et en espagnol pour s’attaquer aux marchés de Grande-Bretagne (700 000 naissances annuelles contre 750 000 en France) et d’Espagne (400 000 naissances). Ce développement international est la nouvelle étape de son développement fixée par Béatrice Gouyon.
ENGAGEMENT CITOYEN
Logipren a un impact sociétal fort puisqu’il permet de sauver des vies. On n’a pas encore pu évaluer exactement le nombre de décès dus à une erreur humaine chez ces prématurés ou nourrissons souffrant d’une infection. C’est évidemment très difficile et le sujet est sensible. Mais plusieurs cas ont été avérés, comme à Nancy il y a deux ans, avec deux morts en raison d’une surdose en phosphore.
Pour tenir le rythme de son développement, l’entreprise réinvestit en totalité ses bénéfices.
Un peu par hasard, Logipren présente une quasi parfaite parité entre hommes et femmes de son effectif et, bien sûr, avec les mêmes salaires à poste équivalent. Open Space, dématérialisation, télétravail (une journée par semaine pour ceux qui le souhaitent), organisation transversale… Il y a bien un pilote dans l’avion, Béatrice Gouyon, mais il n’est pas enfermé dans son cockpit. La start-up est une entreprise de nouvelle génération où, de toute évidence, il fait bon travailler.
