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Djibouti

Bientôt une base militaire chinoise dans l’océan Indien

La visite récente à Djibouti de Chang Wanquan, ministre chinois de la Défense, à son homologue Hassan Darar Houffaneh confirme l’intérêt porté par l’Empire du Milieu à la sécurité de ses intérêts dans la Corne de l’Afrique et, plus largement, dans la zone.

Les négociations visant à l’obtention par la Chine de facilités militaires à Djibouti avancent à grands pas, au grand dam des Etats-Unis qui voient d’un mauvais œil l’arrivée dans le « pré carré » occidental d’une nouvelle puissance asiatique aux ambitions stratégiques évidentes et concurrentes…
Djibouti est une ancienne colonie française qui, placée idéalement sur la route de l’Indochine, permettait de ravitailler les cargos français à la sortie du Canal de Suez. Positionné à l’entrée de la mer Rouge, de l’océan Indien et du golfe arabe, le pays a accueilli très tôt des forces militaires françaises importantes et, jusqu’en 2011, la 13ème DBLE de la Légion Etrangère. Composées de plusieurs milliers d’hommes, lors de l’indépendance du pays en 1977, les forces françaises du Camp Lemonnier ont été régulièrement « rabotées » afin de satisfaire aux contraintes budgétaires et au repositionnement des forces françaises en Afrique, sans oublier la création il y a quelques années de la base française d’Abou Dhabi. La situation déclinante des Français n’a pas permis de résister efficacement aux ambitions d’Ismaël Omar Guelleh (IOG), l’inamovible président de la République de Djbouti, soucieux de sécuriser, diversifier et multiplier ses rentrées d’argent… Au début des années 2000, les américains se sont « octroyés » une partie du Camp Lemonnier en négociant directement avec les autorités de Djibouti et dans le dos des français. Montant de la location à l’année : 30 millions de dollars… Les français, eux, paient 30 millions d’euros… Les américains investissent aujourd’hui des centaines de millions de dollars afin de faire de leur seule base militaire opérationnelle dans cette zone hyper sensible un site de première importance affecté à la lutte contre le terrorisme et à la défense de leurs intérêts économiques et militaires. Près de 2 500 hommes y seront positionnés à court terme.

Une position stratégique très convoitée

Les marines occidentales rassemblées au sein de la « mission Atalante » ainsi que toutes les marines du monde participant à la lutte anti-piraterie y escalent régulièrement et disposent même de soutiens opérationnels dans le pays qui est le seul dans la région à pouvoir offrir des services logistiques performants et sécurisés (le port, aux normes internationales, est géré pas DP World).
Encadré par l’Erythrée, la Somalie et l’Ethiopie (dont il est le port principal), Djibouti a aussi pour redoutable voisin le Yémen (en quasi guerre civile) dont une partie du pays est aux mains d’Al-Qaïda.
La situation stratégique du pays n’a pas échappé non plus au Japon dont les navires de commerce croisent au large avant de passer le Canal de Suez… Sur les 20 000 navires qui franchissent le détroit de Bab el Mandeb (où la Mer Rouge rejoint l’océan Indien), plus de 2 000 sont japonais ! De surcroît, 90% des exportations du Japon transitent par Suez ! Afin de sécuriser leur commerce et leurs approvisionnements les japonais ont donc négocié en 2009 les premiers accords militaires avec le gouvernement de Djibouti. Ces accords conclus à l’origine dans le cadre de la lutte anti-piraterie se sont étendus à la construction d’une base militaire à terre, d’une surface de 12 hectares, d’un coût de 40 millions d’euros et pouvant héberger 150 militaires nippons. Une première depuis la défaite du Japon en 1945. La base est totalement opérationnelle depuis fin 2011. Coût annuel du loyer : 30 millions de dollars.  
39% des échanges mondiaux de pétrole transitent par le détroit d’Ormuz…
Mais revenons à nos « amis » chinois dont l’économie émerge et submerge aujourd’hui l’ensemble de la planète. Les intérêts chinois sont multiples… La Chine souhaite multiplier par dix dans les dix prochaines années ses achats gaziers pour assurer la continuité de son développement économique. 40% des exportations mondiales de GNL (Gaz naturel liquéfié) sont exportés depuis le Moyen-Orient… 39% des échanges mondiaux de pétrole transitent par le détroit d’Ormuz… 70% du pétrole du Moyen-Orient est destiné à l’Asie (contre 11% aux Etats-Unis et 12% à l’Europe)…Il est donc crucial pour la Chine de sécuriser ses approvisionnements stratégiques. Par ailleurs, Le Canal de Suez voit passer d’Asie vers l’Europe plus de 30 millions de conteneurs (EVP). Une partie importante de ce flux est composé de produits chinois vendus en Europe. Il est donc logique et cohérent que l’Empire du Milieu cherche à se positionner durablement en céan Indien et tout particulièrement dans la Corne de l’Afrique. Malgré les bonnes relations entretenues avec l’Erythrée et le Soudan voisins, Djibouti est aussi le pays pouvant à la fois accueillir sa nouvelle marine de guerre et son aviation. La coopération civile et militaire chinoise va donc encore se renforcer dans les prochaines années. Pour la partie civile et après la construction d’hôpitaux, les chinois se sont engagés à apporter des fonds et des moyens pour le développement des ports de Djibouti (on pense au Port de Tadjoura) et à la construction du nouveau chemin de fer reliant Djibouti à l’Ethiopie. En ce qui concerne la partie militaire, les futurs accords de défense prévoient le renforcement des capacités de la marine djiboutienne et de la fourniture à l’armée de l’air d’avions de chasse chinois, l’achat de radars chinois et la formation de cadres de l’armée dans les écoles militaires chinoises. On comprend mieux maintenant la « profonde déception » des américains face à ce volte-face « multipolaire » d’IOG. Pour ce dernier, la réponse est simple : Djibouti, pays pauvre, a un seul atout et une seule chose à vendre : sa situation stratégique. Avec assurance et confiance, la Chine quitte les « eaux vertes » pour les « eaux bleues ». L’océan Indien est bien la prochaine étape de ses ambitions.
 

À lire dans L’Eco austral de mai une analyse du géopolitologue Aymeric Chauprade sur les ambitions maritimes de la Chine.