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Ouganda

Cinquième mandat pour le « Roi » Museveni

Le président ougandais s’est prêté pour la cinquième fois au jeu des élections, sans risquer de perdre la victoire. Mais le mécontentement d’une jeunesse sans emplois pourrait mettre fin à cette fiction.

Cela fait cinq fois déjà que le président ougandais Yoweri Museveni se prête au jeu dangereux des élections, sans prendre toutefois le risque de les perdre. Si « l’homme au chapeau », comme l’appellent les Ougandais, s’est transformé au cours de ses trente années de règne ininterrompu en père de la nation, il n’a rien perdu de sa vigilance de guérillero pour qui la situation n’est jamais définitivement acquise. Habile, il a su au cours de ces trois décennies naviguer entre développement du pays et captation des richesses, entre droits accordés et ordre préservé, entre accès à la communication moderne et maîtrise de son image. Et enfin, entre démocratisation et consolidation de son pouvoir.

VERS LA FIN DE L’ÂGE D’OR

Sous la pression de la communauté internationale exigeant l’adoption du multipartisme, Yoweri Museveni a accepté depuis 1996 de soumettre son pouvoir aux urnes. Mais lorsqu’il a tenu ses premières élections dans les années 90, l’homme bénéficiait d’un crédit important tant au niveau national qu’international. En effet, il avait remis son pays sur la voie de la paix, après des années d’atrocités et de chaos provoqués par le règne d’Idi Amin Dada. Dans le même temps, il s’affirmait année après année comme l’incarnation d’une nouvelle génération de leaders africains, appliquant une politique économique libérale, développant le réseau routier essentiel à l’économie rurale du pays et affichant des taux de croissance aux alentours de 7%. Afin de booster l’économie, il avait également fait revenir les Indiens, qui avaient été chassés, et largement ouvert les portes du pays aux Chinois. Aux femmes, il avait donné des droits inédits, tels que la possibilité de porter plainte pour violence conjugale. La femme ougandaise, qui avait l’habitude de se faire chasser à coups de bâtons si elle osait porter plainte au commissariat de police, était désormais reçue et entendue. Enfin, s’adaptant aux changements de son pays, il avait laissé tomber l’habit du guérillero pour adopter le chapeau de père de la nation, rempart rassurant contre toute tentative de déstabilisation du pays, entouré par deux pays en guerre cyclique, la RDC et le Sud Soudan. 
Mais l’âge d’or de son règne semble toucher à sa fin. La démographie de l’Ouganda, qui affiche une moyenne d’âge de 15 ans, pousse chaque année 700 000 jeunes sur le marché du travail où seuls 2%peuvent espérer un emploi stable. Les autres errent dans les rues, maudissant chaque jour davantage l’homme au chapeau, qui a mis en place un système de prébendes liées à son parti le NRM (National Resistance Movement) qui forme le noyau de l’État et dont ils se sentent exclus. 

UN THÉÂTRE QUI SE PERFECTIONNE

Dans ce pays en pleine mutation, l’homme au chapeau a compris que le jeu démocratique ne pouvait être poursuivi qu’en s’assurant en profondeur la maîtrise de tous les rouages du processus électoral. Ainsi est-il parvenu à donner les apparences d’un théâtre démocratique qu’il répète tous les cinq ans, sans jamais risquer de perdre la victoire. Mais cela avec subtilité : en Ouganda, il n’y a pas de victoire du président avec 99,8% des voix. Son score varie entre 55% et 75% des voix, laissant à son ancien compagnon de brousse et désormais opposant consacré, Kizza Besigye, entre 25% et 35% des voix. Pour parvenir à ses fins, il fait bien sûr appel aux moyens classiques comme le bourrage d’urnes, l’achat de voix ou encore la manipulation des résultats tout au long du trajet qui relie le lointain village au centre de comptage national. Mais si le théâtre se perfectionne à chaque élection, introduisant ainsi dernièrement un système de vérification digitale digne du plus moderne des aéroports sous chaque arbre à palabres, il travaille le dispositif en profondeur avant même que le théâtre ne démarre et après qu’il se termine. Ainsi a-t-il recruté, quelques mois avant la tenue des élections, des centaines de milliers de jeunes désœuvrés auxquels il a confié la mission de « prévenir les crimes », les appelant des « crime preventers », tout en leur promettant ensuite un emploi. Ces jeunes qui ne portaient ni uniforme ni signe spécifique de reconnaissance ont été brièvement formés dans la brousse et sont retournés dans leur zone où ils ont contribué à diffuser la menace d’un retour de la guerre en cas de victoire de l’op-posant. Auprès des anciens et dans les campagnes qui restent hantées par la menace de la guerre, ce message a été très porteur. 

LA CONTESTATION PREND DE LA VOIX

Pour rester le maître du processus, le président ougandais a également besoin de tenir entre ses mains son issue. Ainsi, la commission électorale est entièrement placée sous sa dépendance et inféodée à son pouvoir. Alors même que le décompte était encore en cours, notamment dans les bastions de l’opposition, l’homme a pris la décision de proclamer le résultat final : pour son rival 35,37% des voix et pour lui-même 60,75%. Afin de faire accepter ces résultats qui ont été immédiatement contestés, il a simplement placé pour la énième fois son rival en résidence surveillée et coupé tout accès aux réseaux sociaux dans le pays. Mais si Yoweri Museveni a gagné cette fois encore, le jeu qu’il joue pourrait un jour se retourner contre lui. En effet, à chaque élection se renforce le sentiment que le pouvoir peut être discuté. Les meetings politiques rassemblent des foules denses qui apprennent à défier leurs peurs. Dans les rangs de la jeunesse qui n’a plus souvenir de la guerre, mais qui se lève tous les matins sans perspectives de travail, les passages à tabac et les interpellations ne sont plus un motif suffisant pour se taire. Même les villageois, ses meilleurs supporters, prennent plaisir au débat contradictoire. Le soir du 18 février, jour des élections, la campagne ougandaise bruissait de la joie de suivre le processus de dépouillement fait en présence de tout le village. À chaque bulletin pioché par le président de bureau dans l’urne, lecture était faite à voix haute devant l’ensemble de la communauté villageoise qui approuvait ou désapprouvait avec bonhomie le choix écrit sur chaque bulletin de vote. Un authentique moment de démocratie participative pour une population qui acceptera de moins en moins de ne pas le voir répercuté au plus haut niveau de l’État.