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Comment aborder l’Afrique, ce nouveau relais de croissance 

Entretien décapant avec Amédée Darga, le président d’Enterprise Mauritius, organisme de promotion des TPE et PME mauriciennes à l’export, qui est également, à titre personnel, membre fondateur du Mauritius Africa Business Club…

L’Eco austral : Ancien parlementaire, vous travaillez depuis de longues années dans le privé avec votre propre cabinet d’études et de conseils en stratégie et cela vous a conduit à intervenir en Afrique, un continent qui éveille aujourd’hui toutes les convoitises. Est-ce qu’il existe, à Maurice, une stratégie concertée entre le privé et le public pour s’y développer ?

Amédée Darga : Il existe une coordination entre les institutions publiques responsables de porter la stratégie, comme Enterprise Mauritius, le BOI (Board of Investment), le ministère des Affaires étrangères et celui des Finances. Mais cela reste insuffisant avec les acteurs privés qui jouent encore trop « perso ». C’est la raison pour laquelle nous avons créé le Mauritius Africa Business Club, afin de permettre au public et au privé de se rencontrer chaque trimestre et de définir des stratégies conjointes.

« Les situations varient beaucoup d’un pays à l’autre. Il y a une sélection à faire après évaluation des risques et des opportunités. » - Stocklib@Bogdan Serban

« Les situations varient beaucoup d’un pays à l’autre. Il y a une sélection à faire après évaluation des risques et des opportunités. » – Stocklib@Bogdan Serban

Vu l’immensité et la diversité du continent africain, des pays cibles et des secteurs particuliers ont-ils été choisis ?

Il est évident que les opérateurs sont libres de saisir les opportunités là où elles se trouvent. Mais Maurice se tourne plus particulièrement vers l’Afrique de l’Est et australe. En Afrique de l’ouest et centrale, nous nous concentrons sur trois pays – le Gabon, le Congo Brazzaville et le Ghana – où les relations d'État à État se sont bien développées.
Pour en revenir à Afrique orientale et australe, cette zone regroupe des États avec lesquels Maurice partage depuis longtemps l’appartenance à des organisations régionales comme le COMESA (Marché commun pour l'Afrique orientale et australe) et la SADC (Communauté de développement d'Afrique australe). C’est aussi la zone qui importe le plus de nos produits et où nous avons signé le plus d’accords de non double imposition et de protection des investissements. Sans oublier qu’on y enregistre une forte croissance économique.

Un courant d’affaires se développe-t-il avec l’Afrique et quels sont les secteurs les plus en pointe ?

Nos exportations de produits et de services, notamment dans l’informatique, se portent bien et vont se développer encore plus avec les récentes mesures de soutien du gouvernement. En termes d’investissements, quasiment tous les secteurs sont porteurs sur le continent africain. Evidemment, les Mauriciens se focalisent sur des secteurs où ils ont déjà de l’expérience comme le sucre, l’agro-alimentaire, le textile et l’habillement, voire d'autres créneaux manufacturiers, le secteur financier, où nous pouvons introduire des instruments que nous utilisons ici depuis longtemps, et la distribution, pour ne mentionner que ceux-là. Cela dit, il peut être intéressant de s’engager dans de nouveaux secteurs à travers des partenariats qui bénéficient des atouts de Maurice.

Vous pensez au secteur financier et notamment aux accords de non double imposition ?

Les traités de non double imposition (DTA) représentent un atout, évidemment, et ils sont même indispensables. Mais ils ne sont pas suffisants. Nous sommes en pleine guerre entre « Low tax jurisdictions » (pays à faible imposition – Ndlr). Il faut aussi se montrer prudent car on peut constater une campagne menée par certains médias et des ONG contre Maurice en Afrique. La solution, c’est de trouver les offres qui, tout en maintenant l’avantage compétitif de Maurice comme « Low tax jurisdiction », donnent plus de substance à notre juridiction, ainsi que plus de valeur ajoutée et d’avantages aux pays partenaires.


Quels sont les obstacles conjoncturels et structurels en Afrique ?

Vaste question ! L’Afrique n’est pas une autoroute, heureusement pour nous qui sommes un petit pays. Même nos entreprises les plus grosses demeurent modestes à l’échelle du continent africain. Mais les situations varient beaucoup d’un pays à l’autre. Il y a une sélection à faire après évaluation des risques et des opportunités. L'État mauricien et ses institutions peuvent aider à aplanir certains obstacles et à créer des cadres plus favorables. Le Mauritius Africa Fund pourrait prendre 10% dans certains projets d’investissement et les conforterait.  

Toute la difficulté réside dans l’évaluation de ces risques et de ces opportunités qui ne peut pas se limiter à l’analyse des indices économiques. Peut-on faire confiance aux études existantes sur les risques pays ?

Pas vraiment ! Les sociétés qui les réalisent sont pour la plupart américaines et ont une vue tronquée de la réalité du terrain. Il faudrait que les investisseurs commanditent des études risques pays contextualisées et qu’il y ait des personnes compétentes pour les réaliser. Il est aussi nécessaire, en tant qu’investisseur, de souscrire à un service d’alertes risques.

Outre l’intelligence économique, peut-on dire qu’il faut aussi développer une intelligence culturelle et prendre en compte l’approche linguistique ?

Faire des affaires en Afrique, c’est aussi difficile qu’en Inde, en Chine, en Russie ou en Allemagne ! La majorité des pays africains utilisent l’anglais ou le français et même dans les pays lusophones, à l’exception notable de l’Angola où le portugais est vraiment très dominant. Cela dit, les Mauriciens connaissent mal les pays africains, ils ont des préjugés et se montrent très européocentriques dans leur approche. Il est nécessaire que les entrepreneurs et les cadres mauriciens apprennent la culture et le contexte des affaires sur le continent, y compris les divers accords de commerce qui relient les groupes de pays. À ce propos, la formation que vient de lancer l’IFE (Institut de la francophonie pour l’entrepreneuriat – Ndlr) est une excellente initiative.  

Les Mauriciens d’origine chinoise ont fait la liaison, dans les années 70, avec Hong Kong pour le développement de la zone franche. Les Mauriciens d’origine indienne ont joué un peu le même rôle dans les relations avec l’Inde qui ont abouti à un traité de non double imposition particulièrement attrayant. Les Mauriciens d’origine française ont aussi permis de consolider les rapports avec l’Europe. Mais on ne voit pas les Mauriciens ayant des origines africaines jouer le même rôle dans les relations avec l’Afrique. Qu’en pensez-vous ?  

Je ne cacherai pas que je suis malheureux de voir très peu de têtes comme la mienne dans les réunions du secteur public et du monde des affaires et dans les cocktails officiels. Pour avoir suivi le mauvais leader politique, la communauté des Créoles a été décapitée de son élite dans les années 60. Elle a pris presque trente-cinq ans pour se reconstruire. Heureusement, ces vingt dernières années ont vu la résurgence d’une élite intellectuelle, professionnelle et d’entrepreneurs créoles. Cette nouvelle élite est encore loin d’être dans des positions de proéminence et les entrepreneurs créoles sont encore faibles en termes d’expérience et de moyens. Cependant, quelques-uns commencent à s’aventurer en Afrique et avec quelque succès. Les Créoles doivent, d’une part, miser sur leurs capacités collectives pour cueillir les fruits offerts par la terre de leurs ancêtres et, d’autre part, développer des compétences particulières pour trouver leurs places.  

Envoyer de jeunes Indo-mauriciens, bien formés, est-ce la stratégie la plus judicieuse en Afrique de l'Est ?

Je ne vois aucun problème à cela. L’Afrique n’est pas réservée aux descendants d'Africains comme l’Inde n’est pas réservée aux descendants d'Indiens, bien que quelques-uns veulent le croire ! Il ne s’agit pas d’une question ethnique, il s’agit d’une question d’attitude et de comportement. De 1983 à 1986, il y a eu 300 enseignants mauriciens, majoritairement indo-mauriciens, qui ont travaillé au Zimbabwe et les Zimbabwéens les adoraient. Celui qui va opérer en Afrique avec arrogance, en conquérant et en donneur de leçons sera rejeté quelle que soit son identité ethnique. Les préjugés et le mépris sont encore malheureusement tenaces chez beaucoup de Mauricien et notamment dans la fonction publique comme, par exemple, à l’aéroport. J’ai des exemples concrets qui dénoncent cette attitude. Il y a encore du travail à faire sur ce plan-là…