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Compétition portuaire : La Réunion peut-elle s’imposer ?

Avec son programme d’investissements de 140 millions d’euros sur cinq ans, le grand port maritime ne cache pas ses ambitions régionales. Mais la compétition demeure rude avec les autres ports, à commencer par le proche voisin mauricien.

Après un premier rendez-vous manqué le 25 juillet, du fait de l’annulation de la visite de François Hollande à La Réunion, le chantier d’extension du Port-Est a pu enfin être lancé officiellement par le président de la République le 21 août. Il s’agit pour le Grand port maritime de La Réunion, établissement public qui fonctionne avec un directoire contrôlé par l'État, un conseil de surveillance et un conseil de développement réunissant ses acteurs locaux, de « moderniser son offre, de spécialiser ses services, d’améliorer sa compétitivité et de devenir la référence environnementale et sociale dans l’océan Indien ». Sans oublier le renforcement des activités de pêche et de croisière… Un programme ambitieux qui repose sur une stratégie mise en œuvre sur cinq ans (2013-2018) et des investissements de 140 millions d’euros. L’extension du Port-Est passe par la livraison de deux nouveaux portiques en 2016, alors qu’une darse de grande plaisance est annoncée au Port-Ouest à la même période.
Gaston Bigey, directeur général de Nexa, l’agence de développement de La Réunion, voit évidemment d’un bon œil ces investissements, conforté par le fait que « La Réunion est bien placée sur les grandes routes maritimes. Mais il reste à savoir elle peut devenir le grand port de transbordement de la zone et si les moyens mis en œuvre sont suffisants. »

Gastron Bigey, directeur général de Nexa, l’agence de développement de La Réunion : « La Réunion est bien placée sur les grandes routes maritimes. Mais il reste à savoir si elle peut devenir le grand port de transbordement de la zone et si les moyens mis en œuvre sont suffisants. » - Ipreunion.com

Gastron Bigey, directeur général de Nexa, l’agence de développement de La Réunion : « La Réunion est bien placée sur les grandes routes maritimes. Mais il reste à savoir si elle peut devenir le grand port de transbordement de la zone et si les moyens mis en œuvre sont suffisants. »

Des moyens fournis essentiellement par l’Europe qui est prête à accompagner de grandes ambitions, à condition d’être convaincue d’un développement endogène. Et pour cela, Gaston Bigey propose de regarder plus loin que la seule activité de transbordement, à faible valeur ajoutée, en réfléchissant à une zone franche d’exportation.

CE QUI DISENT LES CHIFFRES

« Cent quarante millions d’euros d’investissements, c’est pour stabiliser le modèle actuel qui n’est pas encore stable », souligne Laurent Foloppe, directeur de SDV (groupe Bolloré).

Laurent Foloppe, directeur de SDV (groupe SDV) : « Cent quarante millions d’euros d’investissements, c’est pour stabiliser le modèle actuel qui n’est pas encore stable. » - Ipreunion.com

Laurent Foloppe, directeur de SDV (groupe SDV) : « Cent quarante millions d’euros d’investissements, c’est pour stabiliser le modèle actuel qui n’est pas encore stable. »

Les chiffres publiés par le Grand port pour l’année 2013 indiquent d’ailleurs une baisse d’activité. Moins 1,6% sur le tonnage global, à 4 millions de tonnes, et – 3,2% sur le nombre de conteneurs, à 214 000 EVP (Équivalents vingt pieds), par rapport à l’année 2012. Alors que les exportations conteneurisées ont augmenté de 1,1 %, les importations ont baissé de 1,9%. En terme de volume, les importations pesant bien plus lourd que les exportations, cela explique la baisse globale du trafic. Mais c’est surtout le transbordement qui chute, à – 24%.
Jean-Michel Audiger, directeur de MSC (Mediterranean Shipping Company), numéro deux mondial du transport de marchandises mais aussi de la croisière, se montre sceptique sur les chiffres officiels. « Selon ma propre étude, réalisée en 2013, on serait plutôt sur un trafic de 150 000 EVP dont 67% d’Europe… Il est clair que le marché captif de La Réunion est celui de l’Europe.
L’avis des compagnies maritimes est primordial puisque ce sont elles qui génèrent le trafic et qui choisissent les destinations où elles souhaitent effectuer leur transbordement. Des choix liés à la productivité des ports mais aussi à leur capacité à recevoir de gros porte-conteneurs. Certains ont franchi le cap des 18 500 EVP, des bateaux encore exceptionnels, « la norme actuelle se situant plutôt entre 8 500 et 9 000 boîtes », précise Jean-Michel Audiger qui rappelle que « l’évolution a été très sensible au cours des cinq dernières années ». Inutile de préciser que l’immobilisation de ces navires coûte cher aux compagnies qui visent donc des temps d’escale le plus court possible.
« Le nerf de la guerre, ce sont les compagnies maritimes, confirme Gilles Panchout, représentant du transitaire allemand DB Schenker (groupe Deutsche Bank). Il faut leur apporter les services qu’elles attendent et, à ce sujet, il faut rappeler un atout de La Réunion : son système douanier performant, avec des zones sous douane. C’est une piste de développement importante. »

Gilles Panchout, représentant du transitaire allemand DB Schenker (groupe Deutsche Bank) : « Il faut rappeler un atout de La Réunion : son système douanier performant, avec des zones sous douane. C’est une piste de développement importante. » - Ipreunion.com

Gilles Panchout, représentant du transitaire allemand DB Schenker (groupe Deutsche Bank) : « Il faut rappeler un atout de La Réunion : son système douanier performant, avec des zones sous douane. C’est une piste de développement importante. »

Une piste notamment pour le transbordement. Mais la qualité des services douaniers n’est qu’un élément parmi d’autres. La Réunion a l’avantage de proposer également des services de pilotage et de remorquage d’excellente qualité. « Les gens sont formés en permanence », remarque Gilles Panchout. Jean-Michel Audiger est d’accord, mais il regrette que le port ne soit pas accessible 24 heures sur 24. « Les périodes de travail de sept heures sont fixées de 7h à 14h et de 14h à 21h. Quand un bateau arrive à 3h du matin, il doit attendre jusqu’à 7h. »
« Il n’y a pas de traitement immédiat comme en Europe, ajoute Laurent Foloppe. En plus, ça fluidifierait le trafic. »

Jean-Michel Audiger, directeur de MSC (Mediterranean Shipping Company) : « Selon ma propre étude, réalisée en 2013, on serait plutôt sur un trafic de 150 000 EVP dont 67% d’Europe… Il est clair que le marché captif de La Réunion est celui de l’Europe. » - Ipreunion.com

Jean-Michel Audiger, directeur de MSC (Mediterranean Shipping Company) : « Selon ma propre étude, réalisée en 2013, on serait plutôt sur un trafic de 150 000 EVP dont 67% d’Europe… Il est clair que le marché captif de La Réunion est celui de l’Europe. »

MAURICE NETTEMENT MOINS CHÈRE QUE LA RÉUNION

Le coût de l’escale à La Réunion demeure nettement supérieur à Maurice. Jean-Michel Audiger fait le comparatif pour un bateau de 307 mètres :

  • Remorquage : 37 000 euros à La Réunion, 15 700 euros à Maurice ;
  • Lamanage (opérations d'assistance à l’amarrage et au désamarrage) : 4 700 euros à La Réunion, 540 euros à Maurice ;
  • Pilotage (2 heures) : 9 800 euros à La Réunion, 7 562 euros à Maurice ;
  • Droits de port pour une journée : 13 146 euros à La Réunion, 8 873 euros à Maurice.

Résultat des courses, l’escale à La Réunion se monte à 64 646 euros à La Réunion et à 32 675 euros à Maurice. Du simple au double. Il y a donc du travail à accomplir pour améliorer la compétitivité de Port-Réunion. D’autant plus qu’on a enregistré 54 jours de grèves en 2013 à La Réunion, rappelle Jean-Michel Audiger. Une tension toujours palpable sur les quais, mais qui ne touche pas la COR (Coopérative ouvrière réunionnaise), spécialisée dans la manutention du vrac. « Nous ne connaissons jamais de grèves, c’est vrai, souligne son représentant Thomas Paniandy. Et nous sommes les seuls à travailler 24 heures sur 24. »

Thomas Paniandy, représentant de la COR (Coopérative ouvrière réunionnaise) : « Nous ne connaissons jamais de grèves et nous sommes les seuls à travailler 24 heures sur 24. » - Ipreunion.com

Thomas Paniandy, représentant de la COR (Coopérative ouvrière réunionnaise) : « Nous ne connaissons jamais de grèves et nous sommes les seuls à travailler 24 heures sur 24. »

La confirmation qu’il est toujours possible de faire mieux à La Réunion. « Le Havre est passé de 1 million à 3 millions d’EVP en l’espace de dix ans », remarque Gilles Panchout.
Mais c’est l’entente sur les quais qui semble difficile à La Réunion. « L’organisation de la manutention, avec trois sociétés différentes, est très compliquée », souligne Emmanuelle Hoareau, repésentante de CMA CGM.

Emmanuelle Hoareau, représentante de CMA CGM : « L’organisation de la manutention, avec trois sociétés différentes, est très compliquée. » - Ipreunion.com

Emmanuelle Hoareau, représentante de CMA CGM : « L’organisation de la manutention, avec trois sociétés différentes, est très compliquée. »

« La collaboration avec les autres sociétés de manutention est difficile », reconnaît Thomas Paniandy. « L’accord signé en 1994 sur la sous-traitance des activités de manutention n’a jamais été appliqué », ajoute Jean-Michel Audiger. On peut identifier clairement le problème : chaque société de manutention, seule, n’a pas forcément assez de salariés, mais ensemble elles pourraient répondre aux besoins pour un service rapide. Sur la question des rapports sociaux, Gaston Bigey cite l’exemple de l’Allemagne où les syndicats sont impliqués directement dans la gestion. « Il faudrait qu’on s’y rende pour apprendre comment faire. »
Quoi qu’il en soit, l’évolution du port d’une structure bicéphale (État + Chambre de commerce et d’industrie) vers un établissement public est plutôt positive, surtout en terme de gouvernance. Et l’on peut espérer que cela évitera les dysfonctionnements qui ont marqué le port. Comme l’histoire rocambolesque du transfert des activés de déchargement des hydrocarbures qui n’avance pas depuis 2009. Entretemps, l’investissement nécessaire est passé de 8,5 millions à 17 millions d’euros. On peut aussi citer le mauvais choix du système de gestion informatique qui s’est porté sur une solution Gemini, s’inspirant du Port de Dunkerque, alors que tout le monde est passé au système AP +… Y compris Dunkerque.
« Il faut un pilote dans l’avion, souligne Dominique Vienne, président de la CGMPE (Syndicat des petites et moyennes entreprises). La somme des intérêts individuels ne fait pas l’intérêt général. »

Dominique Vienne, président de la CGPME : « Il faut un pilote dans l’avion… La somme des intérêts individuels ne fait pas l’intérêt général. » - Ipreunion.com

Dominique Vienne, président de la CGPME : « Il faut un pilote dans l’avion… La somme des intérêts individuels ne fait pas l’intérêt général. »

« Il faut impliquer plus d’acteurs professionnels et techniques », ajoute Laurent Foloppe.
Le port doit être optimisé comme vecteur de développement économique. C’est en ce sens que l’idée de créer des activités de production ou de conditionnement, à plus forte valeur ajouter, se révèle séduisante. Mais on en est encore loin, comme le montre l’exemple de la SAPMER.
En attendant, le Grand port maritime de La Réunion vient de signer un accord avec la compagnie CMA CGM, numéro trois mondial du transport maritime, pour le transbordement (voir notre encadré). Une avancée significative, mais qui ne sera pas suffisante pour s’imposer comme le port de transbordement de la région. Port-Louis vise aussi cette position tout en ayant bien du mal à convaincre Maersk, le numéro un mondial du transport maritime qui, pour l’instant, à choisi plutôt Salaalah, dans le sultanat d’Oman. Comme quoi la concurrence est très large. Madagascar n’a pas dit non plus son dernier mot avec Tamatave mais aussi le port d’Ehoala, à Fort-Dauphin. La guerre des ports ne fait que commencer et, pour s’imposer, La Réunion devra accomplir des efforts significatifs et, surtout, pour l'intérêt de l'économie locale, rechercher de la valeur ajoutée. Pour cela, le foncier est un élément clé, si l'on veut développer une zone franche. « Il faut du foncier, mais il appartient au Conseil général qui dispose de 92 hectares, précise Dominique Vienne. Or, il n’est pas inclus dans le SRIT (Schéma régional des infrastructures et des transports). » Cherchez l'erreur !
 

JEAN-FRÉDÉRIC LAURENT NOMMÉ À LA DIRECTION DU PORT

Le conseil de surveillance du grand port maritime de La Réunion s’est prononcé le 9 septembre sur la nomination du nouveau président du directoire. Depuis le départ de Stéphane Raison fin juillet pour Dunkerque, c’est Gilles Ham-Chou-Chong qui assure l’intérim avec une grande prudence puisqu’il a décliné notre invitation au Tecoma Business Forum, demandant à ses collaborateurs et au président du conseil de surveillance, Alain Gaudin, de faire de même. Cette vacance à la direction générale n’était pas prévue, mais Eric Legrigeois, directeur de la DEAL (Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement) de La Martinique, a refusé semble-t-il le poste. C’est finalement Jean-Frédéric Laurent, directeur de la stratégie et du développement du port de Dunkerque depuis août 2010, qui a été choisi. Ce choix étant validé par le conseil de surveillance, il faudra attendre un décret présidentiel qui officialisera la nomination de Jean-Frédéric Laurent. Ce dernier devrait ainsi prendre ses fonctions dans le courant du mois d’octobre. Cet économiste de 45 ans, spécialiste du transport maritime international, a débuté sa carrière chez Armateurs de France de 1993 à 1996. Il a ensuite pris la direction de l'IETM (Institut d'Economie du Transport Maritime) au sein du groupe AFT-IFTIM de 1996 à 1999. En 1999, il est recruté par BRS (Barry Rogliano Salles) en tant que directeur des études. Il développera l'activité de consultance au sein du groupe BRS, notamment par la reprise de la société MLTC (Maritime Logistics & Trade Consulting) en 2003, avec laquelle il a participé à de nombreuses études et projets de développement maritimes et portuaires (Source : Dunkerque-Port). La direction du Grand port maritime de La Réunion – avec quelque 350 salariés et un climat social qui n’est pas au beau fixe – le changera nettement de son précédent poste où il dirigeait une équipe d’une dizaine de personnes.

 

Signature de l’accord entre Rodolphe Saadé (à gauche), numéro deux de CMA CGM et Gilles Ham-Chou-Chong, directeur par intérim du Grand port maritime de La Réunion. - Ipreunion.com
CMA CGM CHOISIT LA RÉUNION COMME CENTRE DE TRANSBORDEMENT

Rodolphe Saadé, numéro deux du Français CMA CGM, numéro trois mondial du transport, a profité de la venue de François Hollande à La Réunion pour signer un accord avec le Grand port maritime qui fait de celui-ci son port de transbordement pour les îles de la région. CMA CGM assure en parallèle un service de cabotage.
Mais Durban, en Afrique du Sud, reste la base régionale de CMA CGM.

Signature de l’accord entre Rodolphe Saadé (à gauche), numéro deux de CMA CGM et Gilles Ham-Chou-Chong, directeur par intérim du Grand port maritime de La Réunion. – Ipreunion.com
 

 

POURQUOI LA SAPMER NE SE DÉVELOPPE PAS DANS PORT-RÉUNION

Yannick Lauri - Ipreunion.com
Yannick Lauri, directeur général de SAPMER, premier armateur réunionnais, n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat quand on lui parle du port de La Réunion. À ceux qui lui reprochent une implantation à Maurice pour la valorisation industrielle de sa pêche de thons, il égrène une liste de doléances assez longue. « Le quai P1 est un quai fragilisé qui demande une reconstruction, il a été condamné il y a deux ans, mais, pour le moment, on ne constate pas de travaux, souligne Yannick Lauri. Pour sa réparation, on sollicite le financement de privés, ce qui semble être en contradiction avec le nouveau statut du port ». Autre problème soulevé par le patron de SAPMER, la darse de pêche construite il y a cinq ans ne dispose pas des infrastructures environnantes nécessaires  à son développement. « Elle est devenue un cimetière à navires sans pouvoir générer de recettes pour le port. » Mais le problème de fond, c’est que « la refonte du statut du Port a modifié les organigrammes, sans licenciement mais avec des mouvements internes. La structure n’est pas clairement identifiée, de même que les décisionnaires ». Si l’on ajoute le problème de la sureté du Port-Ouest et le manque de moyens en réparation navale, on comprend mieux les faiblesses de Port-Réunion. De plus, « les demandes de mouvements de locaux qui nous sont faites le sont pour des locaux qui ne sont pas conformes. La conformité de ces locaux doit être prise en charge par les privés… La zone ARDA est une zone en friche non exploitée depuis de nombreuses années alors que nous sollicitons depuis plusieurs années un agrandissement de nos capacités froid. »

 

VOUS AVEZ DIT PRODUCTIVITÉ ?

Le Port de Dunkerque, qui réalise nettement plus de trafic que celui de La Réunion, compte 180 salariés alors que celui du département français de l'océan Indien en affiche 350. Un élément qui explique sans doute les coûts élevés de celui-ci.