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Maurice

Des investisseurs et des flibustiers dans l’océan Indien

Impossible de comprendre le monde d’aujourd’hui, mais aussi d’essayer de comprendre ce qu’il pourrait devenir, sans faire appel à l’Histoire. Malheureusement, cette matière est de moins en moins enseignée ou bien à travers le filtre du politiquement correct. Les jeunes générations ont la fâcheuse tendance à se retrouver amnésiques. Et c’est peut-être le but recherché car cette amnésie réduit sérieusement le sens critique. 
Du côté de l’océan Indien, comment appréhender certaines questions sans un minimum de culture historique ? Cette réflexion m’est venue à la lecture du témoignage d’un homme d’affaires suédois, Berth Milton, milliardaire tombé amoureux en 2005 de l’île Maurice et de ses eaux turquoises. Une page entière est parue dans le quotidien mauricien L’Express du 8 mai 2019 (https://www.lexpress. mu/node/352472), dans laquelle Berth Milton raconte comment il s’est engagé dans des investissements conséquents et comment il se serait fait plumer par des partenaires et interlocuteurs locaux.
Je pensais aux pirates et corsaires qui fréquentaient les rivages de l’océan Indien, il y quelques siècles, et soulageaient les navires marchands de leurs riches cargaisons. Bien sûr, ce n’est qu’un témoignage, subjectif par définition, et comme l’affaire à été portée en justice, on ne peut rien préjuger. Il faudra attendre sans doute des années pour en savoir plus, ou pour ne rien savoir du tout. Comme le montre notre enquête dans ce numéro de L’Éco austral, la justice mauricienne est très lente et très compliquée. Notre bon Suédois, plutôt naïf, devra y laisser encore pas mal d’argent dans les frais d’avocat et de procédure. 
Plutôt naïf, le Suédois, car il ne devait rien connaître à l’histoire de la flibuste qu’on n’apprend pas sur les terrains de golf. Ce golden boy mondialisé, dont le père a fait fortune dans les films pour adultes, et qui est présent aujourd’hui dans les hôtels de luxe et l’immobilier, a sans doute commis de grosses erreurs de casting et a été mal accompagné. On me dira qu’il n’y a pas de rapport entre les flibustiers d’autrefois et les tribulations d’un investisseur du XXIe siècle. Mais je soutiens que le piratage est aussi une question de culture. On rencontre des hommes d’affaires qui font confiance au premier venu et s’aveuglent en fixant le miroir aux alouettes que des « conseillers bien attentionnés » leurs tendent.

Le piratage, une question de culture

On devrait d’ailleurs en savoir plus sur le cas de Berth Milton puisqu’il a prévu de réaliser une série de documentaires qui évoqueront ses déboires et mettront à mal l’image de Maurice. Le patron de l’Economic Developement Board (EDB), chargé de la promotion de l’île auprès des investisseurs, doit se demander s’il ne fait pas un mauvais rêve. D’autant plus que le gouvernement mauricien vient d’émettre de nouveaux règlements concernant les étrangers mariés à des Mauricien(ne)s et ceux ayant le statut de résident. L’amendement donne le pouvoir au Premier ministre de refuser l’accès au territoire à toute personne identifiée comme « indésirable » sur la base d’« informations et avis fiables ». Les époux de Mauriciens peuvent désormais, eux aussi, être considérés comme « indésirables » et être « déportés » – selon la terminologie mauricienne en vigueur – sur ordre du Premier ministre. Un mauvais signal donné aux investisseurs étrangers. Et si Berth Milton poursuit la médiatisation de son « affaire », il faudra que l’EDB déploie de sacrés efforts pour faire contrepoids. 

Deux règles primordiales pour les investisseurs

Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ? Non, mais tout cela nous rappelle deux règles primordiales pour les investisseurs où qu’ils aillent dans le monde. Premièrement qu’on ne peut se contenter d’une approche économique. Il faut prendre en considération la politique (et donc l’Histoire) et la géopolitique. Dans ce numéro de L’Éco austral, le consultant Claude Baissac le confirme avec le cas de l’Afrique du Sud. Deuxièmement qu’il faut savoir choisir ses partenaires et, pour cela, se faire conseiller par des consultants, juristes ou autres qui, non seulement connaissent bien le pays, mais occupent aussi une position indépendante, sans conflits d’intérêts ni relations « incestueuses ». 
Pas toujours facile dans une île comme Maurice, La Réunion et Madagascar où l’on ne voit pas toujours d’un bon œil un nouvel acteur qui risque de bousculer un marché. On préfère parfois se partager un petit gâteau en quelques grosses parts que de voir un gâteau grossir sans être sûr d’y avoir une part significative. D’autant plus que cela oblige à se remettre en cause et à améliorer sa productivité et sa compétitivité. Seuls les dirigeants politiques peuvent trancher et faire bouger les lignes.