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Disparition d’un monument de la science historique française

Jacques Le Goff est mort le 1er avril, à l'âge de 90 ans, à l'hôpital Saint-Louis. Dernier clin d’œil, de la part de cet « amoureux du Moyen Âge », à un roi auquel il a consacré l’un de ses nombreux ouvrages.

« L'historien est un artisan de la mémoire. » C'est avec humilité et simplicité que l'un des plus grands médiévistes français, Jacques Le Goff, présentait, en 2000, son travail à nos confrères du « Monde de l'Éducation ». Attiré par l'histoire dès le lycée, ce Toulonnais intègre la prestigieuse École normale supérieure qui forme l'élite universitaire française. En 1972, il succèdera à Fernand Braudel, autre grand historien, à la tête de la sixième section de l'École pratique des hautes études, autre creuset de la recherche en sciences sociales en Europe qui deviendra, trois ans plus tard, l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). 

LA RÉHABILITATION DU MOYEN ÂGE

Jacques Le Goff se spécialise dans l'étude du Moyen Âge, période à la fois méconnue et snobée par la plupart de ses confrères. Cette période, qui commence par la chute de l'Empire romain et se termine avec les grandes découvertes, est souvent présentée comme une période sombre pour toute l'Europe. En se centrant sur l'anthropologie, Jacques Le Goff modifie l'approche de cette période en abordant tous les aspects de la vie en société. Son premier livre, « Les intellectuels au Moyen Âge » (1957), frappe les esprits et l'impose à 35 ans comme l'héritier de l'École des Annales dont il dirigera d'ailleurs dès 1967 la prestigieuse revue.
 Il devient alors, avec Georges Duby, l'un des médiévistes qui font le plus avancer la connaissance de cette période. Loin de la caricature d'un obscurantisme sans pensée ni culture, il démontre que le Moyen Âge fut une période particulièrement riche en art. Les cathédrales et autres monuments religieux édifiés pendant cette longue période, du carolingien au gothique, en passant par le roman, en sont de parfaits exemples.

L'UN DES PÈRES DE LA « NOUVELLE HISTOIRE »

Enseignant passionné et chercheur infatigable, Jacques Le Goff perfectionne une approche anthropologique de l'histoire qui se révèle des plus fécondes. D'autant que son travail s'est accompagné en permanence d'une réflexion sur son métier. Dans les années 1970, il est l'un des pères du mouvement de « la Nouvelle histoire ». Cette école de pensée puise sa filiation dans l'École des Annales fondée par Lucien Febvre (1878-1956) et Marc Bloch (1886-1944). Cette école sera fondamentale pour l'historiographie française, notamment pour son apport à une conception de l'histoire dans sa totalité et non plus seulement limitée aux dates et aux événements. Elle s’inscrit surtout contre l’histoire politique, telle qu’elle était alors pratiquée, c’est-à-dire principalement diplomatique et événementielle. Cette influence est fondamentale car elle donnera le caractère spécifique de la « Nouvelle histoire » : les ponts jetés entre les différentes disciplines — en un mot l’interdisciplinarité — et l’idée d’histoire comme « synthèse ».
 La Nouvelle histoire fait apparaître certains thèmes privilégiés : les mentalités, le spirituel, la vie et la mort… C’est autour de ceux-ci que s’élaborent les ouvrages capitaux de Jacques Le Goff comme « La Naissance du purgatoire » qui suit les avatars de la naissance du Purgatoire de l'Antiquité à « La Divine Comédie » de Dante.
Intellectuel à l'influence considérable, l'historien est également soucieux de toucher le grand public. Il a animé à partir de 1966 « Les lundis de l'histoire » sur France Culture. C'est l'une des plus anciennes émissions de la chaîne. Il a également été le conseiller scientifique du célèbre film « Le Nom de la rose », adaptation par Jean-Jacques Annaud du roman d'Umberto Eco.
 

 Une collection de livres et de prix
 
Jacques Le Goff a été maintes fois récompensé pour son travail. Il a reçu en 1987 le Grand prix national d’Histoire, la médaille d'or du CNRS en 1991 ou encore la distinction de Commandeur des arts et des lettres en 1997.
Il a publié une quarantaine d'ouvrages dont certains sont devenus des classiques. On peut citer « Les Intellectuels au Moyen Âge » (1957), « Pour un autre Moyen Âge » (1977), « La Naissance du purgatoire » (1981), « L'Imaginaire médiéval » (1985), « Saint Louis (1996) », « Héros du Moyen Âge, le Saint et le Roi (2004) » ou son dernier livre, « À la recherche du temps sacré, Jacques de Voragine et la Légende dorée », publié en 2011.