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Maurice

Énergie : les producteurs indépendants restent la clé de la transition électrique

La question énergétique n’a jamais été aussi pressante, alors que c’est l’opportunité rêvée pour accélérer la transformation du modèle de production électrique à Maurice. En attendant une meilleure efficience des énergies renouvelables, on peut s’étonner du peu d’empressement des autorités à soutenir les producteurs indépendants d’électricité (IPP) qui restent une des clés de cette mutation…

« Nous devons produire 60 % de l’énergie de notre pays à partir de sources d’énergies vertes d’ici 2030 ! » Cette fracassante (et très ambitieuse) déclaration du ministre mauricien des Finances, Renganaden Padayachy, lors de la présentation du dernier Budget, fait office quasiment de feuille de route pour l’État, mais également le secteur privé, sur le choix des énergies renouvelables (EnR). Il s’agit d’assurer de facto une certaine autonomie de l’île par rapport aux énergies fossiles (charbon, huile lourde…) Pourtant, aussi spectaculaire qu’elle soit, cette déclaration n’est pas sans ambiguïté. En effet, elle « mélange » deux notions proches mais néanmoins (très) différentes : celle d’autonomie énergétique et celle d’autonomie électrique. Dans les faits, « il faut comprendre cette déclaration comme ceci : d’ici huit ans, l’État mauricien ambitionne que 60 % du mix de la production d’électricité proviennent d’énergies renouvelables, contre 24 % en 2020 », explique un technicien très bien informé et très impliqué dans ces problématiques énergétiques. 

Dès lors, produire 60 % de l’énergie électrique d’ici huit ans reste un objectif très ambitieux mais réalisable – et peut-être dans un délai plus long. Quant à l’autonomie énergétique, et donc à moyen terme la fin des énergies fossiles, elle reste encore utopique car elle comprend le transport (routier, maritime et aérien) et la construction… des secteurs très énergivores. 
 

« Dans l’après covid-19, un accès stable, régulier, local et plus vert à l’énergie sera sans aucun doute crucial pour soutenir la reprise économique », constatent les autorités mauriciennes. Or la demande énergétique sur l’île s’élève à 20 milliards de roupies (425 millions d’euros), « dont la plupart est importée en tant qu’énergie fossile ». Face à cette lourde facture, qui devrait s’accroître avec les récentes tensions internationales, l’État mauricien veut accélérer le redémarrage économique en misant sur la transition énergétique et en s’appuyant sur les énergies renouvelables. D’autant que la  consommation électrique de l’île ne va cesser de croître. « Elle avait déjà doublé entre 2000 et 2018 », souligne dans une note le service économique du Trésor français basé à Tananarive, avec, par exemple, le déploiement de nouvelles lignes pour le Métro express et le basculement d’une partie du parc automobile vers l’hybride et le 100 % électrique.
Quoiqu’il en soit, cette transition électrique nécessite de lourds investissements et elle apparaît difficile pour un État durement impacté par la pandémie. Mais Maurice peut compter sur l’émergence d’un autre protagoniste, la finance verte. 

Fabien de Marassé Enouf, CEO d’Alteo
Fabien de Marassé Enouf, CEO d’Alteo : « Nous croyons fermement qu’une industrie locale de production de biomasse devra se développer dans les années à venir si nous voulons utiliser cette ressource comme combustible pour nos centrales. »  ©Droits réservés
 

Lutte contre le réchauffement

Découverte par le grand public lors des différentes COP (Conférence des parties des Nations unies sur les changements climatiques), le ministère français de l’Économie, des Finances et de la Relance définit la finance verte comme « toutes les actions et opérations financières qui favorisent la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique ». Elle privilégie l’« investissement responsable » (IR) qui ajoute aux critères purement financiers des critères « environnementaux, sociaux et de gouvernance » (ESG). Elle est soutenue par différents organismes internationaux comme l’ONU et son Fonds vert pour le climat (dotés de 30 milliards de dollars d’engagements), mais surtout par le secteur privé. 
« Le potentiel de la finance verte est énorme », assurait, en 2019, la vice-secrétaire générale des Nations unies, Amina J. Mohammed. Elle donnait comme exemple « les obligations vertes qui sont passées de zéro à plus de 200 milliards de dollars en dix ans ! » Des agences d’exécution d’aide publique au développement, comme l’Agence française de développement (AFD), soutiennent aussi fortement cette initiative. À Maurice, son programme Sunref (Sustainable Use of Natural Resources and Energy Finance) dont la première ligne de crédit date de 2008, aide les acteurs privés à saisir les opportunités de la transition énergétique et surtout encourage les banques locales, comme la MCB et la SBM, à la financer à des conditions adaptées. 
Face à ces nouveaux besoins et sans doute aguichés par la perspective de se faire accompagner financièrement, de nombreux groupes, entreprises mais aussi des PME locales et étrangères commencent à se lancer dans cette nouvelle filière. Le groupe Harel Mallac, l’un des plus anciens groupes de l’île, a profité de son repositionnement stratégique pour pénétrer ce secteur. S’il s’est séparé en 2021 de l’entreprise réunionnaise Corexsolar International, il avait lancé en 2017 sa première ferme solaire, la seconde du pays, à Mont Choisy, via une joint-venture avec l’entreprise française Dhamma Energy. L’investissement dans cette ferme est de 5,3 millions de dollars pour une production de deux mégawatts (MW). Des sociétés étrangères se lancent aussi dans la production électrique verte.

Jean-Michel Gérard, General Manager du Power Plant La Baraque d’Omnicane
Jean-Michel Gérard, General Manager du Power Plant La Baraque d’Omnicane : « Le pouvoir calorifique de la paille de canne est de 3 300 kilocalories par kilo contre 6 000 pour le charbon. »  Photo : Davidsen Arnachellum
 

L’éolien et le solaire encore marginaux

Comme l’entreprise française GreenYellow (GY), filiale énergie du groupe Casino (voir notre entretien avec Benoit Regnard). Après La Réunion et Madagascar, elle s’est implantée, en 2017, à Maurice. « Notre ambition est d’aider le pays à atteindre ses objectifs d’île durable », explique son Business Development Director, Benoit Regnard. Pour cela, elle a lancé à Solitude (au nord de l’île) la plus importante centrale photovoltaïque de Maurice, d’une capacité de 16,3 MW. Outre cette centrale, le modèle économique de GY est de multiplier de petits projets en toiture ou en ombrières de parking. 
L’énergie produite est alors envoyée sur le réseau national du CEB. GreenYellow propose également des « contrats de performance énergétique ». « Grâce à notre expertise à la fois technique et financière, nous proposons des solutions globales pour consommer moins et mieux »,  précise Benoit Regnard. Quant au producteur français indépendant Qair (ex-Quadran Energies Marines), il a lancé, en 2017, le premier parc éolien de l’île. Composée de 11 éoliennes, cette centrale électrique a une puissance totale de 9,35 mégawatts, avec une production de de 16,3 gigawattheures (GWh) par an. Qair a aussi lancé, fin 2018, deux parcs solaires à Anahita et Queen Victoria, qui produisent respectivement 10,3 MW et 15,2 MW. Le parc d’Anahita est le résultat d’un partenariat avec le groupe mauricien Alteo… 
Autre preuve que la question énergétique et les énergies renouvelables en particulier peuvent devenir un nouveau pôle de développement, IBL, le premier groupe de l’île, déjà présent dans la production électrique avec sa participation à 27,64 % dans le groupe Alteo, vient de lancer IBL Energy. Le conglomérat suivait en cela « l’une des recommandations que nous avait faites le bureau parisien du cabinet de conseil McKinsey. Il a identifié trois pôles prioritaires, outre la santé et la régionalisation, les énergies renouvelables », nous expliquait, en février 2021, Arnaud Lagesse, Group Chief Executive Officer. Dirigé par Pierre Egot, ancien directeur océan Indien et Afrique australe de GreenYellow, IBL Energy a pour objectif de fédérer au sein du groupe toutes les initiatives liées à l’ingénierie. 

Le groupe IBL veut optimiser sa filière thonière en utilisant ses effluents pour créer de la bioénergie, de l’eau propre et de l’engrais (image de synthèse).
Le groupe IBL veut optimiser sa filière thonière en utilisant ses effluents pour créer de la bioénergie, de l’eau propre et de l’engrais (image de synthèse).   ©Droits réservés
 

Malgré tous ces développements, on s’aperçoit que si les énergies renouvelables pèsent 24 % dans le mix électrique de Maurice, elles restent (très) marginales sans la bagasse. À preuve, le photovoltaïque ne pèse que 5 % du total tandis que l’éolien ne représente que… 1 %. Bien sûr, elles présentent un grand potentiel de développement, mais il paraît difficile de miser sur elles pour atteindre les 60 % du mix électrique d’ici huit ans.
À moins bien sûr de multiplier les parcs éoliens ou photovoltaïques, ce qui paraît illusoire vu l’étroitesse du territoire et surtout l’importance de l’industrie touristique. Difficile d’imaginer des éoliennes à certains endroits du lagon…
Autre inconvénient majeur des énergies renouvelables, leur intermittence. Et faute de stockage bon marché, elles n’apparaissent pas (encore) comme une option viable et rentable. « Notre idée est qu’il est nécessaire de combiner les sources d’énergies renouvelables pour pallier ces inconvénients », reconnaît Benoit Regnard. La solution pour assurer la transition électrique n’est-elle pas, finalement, de soutenir les producteurs indépendants d’électricité ?
Acteurs historiques du secteur, les IPP produisent 53 % de la puissance électrique nationale en mélangeant de la bagasse avec (beaucoup) de charbon. 

Le ministre mauricien des Finances, Renganaden Padayachy
Le ministre mauricien des Finances, Renganaden Padayachy, a annoncé lors du discours du dernier Budget la très attendu augmentation de la rémunération de la bagasse à 3,50 roupies (0,074 cent d’euro) le kWh.   ©GIS
 

La nouvelle filière de l’énergie « péi »

Conscients du coût économique de plus en plus élevé dédié à l’importation annuelle de charbon, du contexte mondial changeant (prix du fret maritime en hausse) et surtout de la mauvaise presse de cette énergie fossile qui est un frein pour attirer des investisseurs, ils veulent redonner du souffle à leurs productions en intégrant à leur mix énergétique (charbon/bagasse) d’autres biomasses locales comme la paille de canne, l’eucalyptus voire des déchets verts. « Nous maintiendrons des exploitations en développant une nouvelle filière, celle de l’énergie péi. Elle assure notre souveraineté énergétique », fait valoir Jean-Michel Gérard, le General Manager de la Power Plant La Baraque d’Omnicane. « Atteignant un rendement de 80 %, cette centrale thermique a généré 543 GW dont 17 % produit par la bagasse. Elle pourrait en brûler plus mais on manque d’entrant », assure-t-il. 
Quant à la centrale Union Flacq du groupe Alteo, « elle a une production d’électricité annuelle d’environ 200 GWh dont 170 GWh sont exportés au réseau du CEB. Elle fournit de l’électricité et de la vapeur à l’usine pendant la campagne sucrière pour la production de sucre », indique Fabien de Marassé Enouf, Chief Executive Officer (CEO) d’Alteo.
 

Lors du discours du Budget, l’État a répondu à une vieille revendication : celle de revaloriser le prix de la bagasse à 3,50 roupies (0,074 centime d’euro) le kWh. « Cette réévaluation va dans le bon sens », se félicite le directeur d’une centrale thermique. Quant au CEO d’Alteo, il avoue « sans exagérer que nous n’aurions pas survécu sans la rémunération de la bagasse. Elle aidera grandement à pérenniser l’industrie cannière ». Toutefois, un acteur voulant rester discret ajoute : « Vu la situation économique, ne faut-il pas indexer son prix, par exemple, sur celui des hydrocarbures pour inciter à produire plus de canne-bagasse ? Car aujourd’hui, nous ne sommes plus qu’à 45 000 hectares de terre qui sont sous canne ». Face au rétrécissement des terres dédiées, une des solutions est d’augmenter les rendements et d’aller vers d’autres cultures comme la paille de canne, l’eucalyptus voire les déchets verts « dont on évalue le potentiel à 80 GW ».

 

Approvisionnement total en énergie

Valoriser au mieux la biomasse locale

Un des problèmes que rencontrent les producteurs indépendants d’électricité est la transformation et la mise à niveau de leur outil industriel pour valoriser au mieux la biomasse locale, réduire le charbon et être plus efficient. « Notre centrale d’Union Flacq est en opération depuis plus de trois décennies et reste très fiable, même si de nouvelles technologies permettent désormais d’opérer des centrales plus efficientes. Nous avons d’ailleurs pour projet de la remplacer par une nouvelle unité qui permettrait de produire plus d’électricité à partir du même volume de bagasse et de brûler d’autres biomasses en inter-campagne plutôt que du charbon. Avec cette centrale plus moderne et efficiente, nous pourrions produire quelques 140 GWh d’électricité annuellement en moyenne avec la même quantité de bagasse (1,75 fois plus), soit une hausse de 60 GWh de part d’énergie verte dans le mix énergétique local », indique Fabien de Marassé Enouf.
Tout cela requiert de lourds investissements. « Or on s’aperçoit que les contrats de renouvellement signés avec le CEB sont de trop courte durée pour convaincre un banquier de nous accorder un crédit et d’investir dans notre outil industriel », s’offusque le directeur d’un IPP. Bref, des décisions totalement incompréhensibles ne permettant pas aux producteurs indépendants d’électricité de prendre leur part légitime dans la transition électrique de Maurice.
 

 

QUI PRODUIT QUOI ?

À Maurice, la production électrique est assurée par trois acteurs : 
– Les producteurs indépendants d’énergie (Independant Power Producers (IPP) en anglais) : ce sont les groupes sucriers qui assurent environ 53 % de la production électrique. Leurs centrales thermiques utilisent de la bagasse, un coproduit de l’industrie sucrière, et surtout du charbon comme combustible.
– Le Central Electricty Board (CEB), l’EDF mauricien est l’organisme chargé de la production mais surtout de la distribution de l’électricité à Maurice. Avec ses quatre centrales thermiques, qui fonctionnent à l’huile lourde, et ses 10 centrales hydroélectriques, le CEB assure environ 40 % de l’approvisionnement électrique.
– Quant aux énergies renouvelables, elles pesaient, en 2020, 24 % du mix électrique total. Pour arriver à ce montant, on additionne les pourcentages de la bagasse (13 %), du photovoltaïque (5 %), de l’hydroélectrique (4 %), de l’éolien (1 %) et de la méthanisation (1 %). 

Quand Maurice pensait au gaz naturel liquéfié
 
Revenu sur le devant de l’actualité avec le conflit en Ukraine, le gaz naturel liquéfié (GNL), dont le gaz de schiste, avait été évoqué à Maurice en 2018 comme une étape intermédiaire, une alternative au fioul et au charbon avant le déploiement optimal du solaire et de l’éolien dans le réseau électrique mauricien. Outre qu’il n’est pas très « vert », en particulier le gaz de schiste,  ce nouveau combustible posait des questions de stockage, de manipulation et de transport, ce qui exigeait des investissements assez lourds. Port-Louis proposa alors aux autres îles de s’engager ensemble afin de bénéficier de tarifs avantageux. À La Réunion, cette demande fut accueillie avec politesse mais avec une fin de non-recevoir.
Un grand absent, le CEB
 
Malgré nos appels répétés, le Central Electricitry Board (CEB) n’a pas répondu à notre demande d’entretien. Il est vrai que le traitement assez sévère de son action durant les deux derniers cyclones par la tatillonne presse locale et les rumeurs d’une hausse de l’électricité ont sans doute mis sur la défensive « l’organisme chargé de la production mais surtout de la distribution de l’électricité à Maurice ». Pourtant, même si l’île s’est dotée de la Mauritius Renewable Energy Agency, chargée de superviser le développement des énergies renouvelables, et surtout de l’Autorité de régulation des services publics de l’Énergie (URA), le CEB reste un acteur incontournable, « omnipotent et omniprésent », grince un acteur de la filière énergétique. Il ajoute : « Je me demande si le régulateur a les reins assez solides et une compréhension assez fine de nos réalités (l’actuelle CEO de l’URA est l’économiste malawite, Eunice Harris Potani – NDLR) pour s’imposer face à une institution qui a été longtemps juge et partie. » Preuve de son importance, c’est le CEB qui lance les appels d’offres liés aux questions électriques.
IBL transforme les effluents de l’industrie thonière en énergie

IBL Energy, en partenariat avec Green Create, une société britannique, vient d’investir 12 millions d’euros dans Énergie des Mascareignes (EDM). Il s’agit de transformer les effluents d’IBL Seafood et de Princes Tuna Mauritius (PTM) en énergie. Plus de 110 000 tonnes de thon sont transformées par an à Maurice. Mis en boîte ou en sachet pour la consommation alimentaire (Princes Tuna), des coproduits sont obtenus et transformés pour fabriquer de la farine de poisson (Marine Biotechnology Products, MBP) et de l’huile de poisson (Cervonic). Avec EDM, la chaîne de valeur du thon est optimisée complètement puisque l’entreprise entend devenir la première industrie de poisson sans déchets. Les effluents des conserveries de thon et de l’usine de farine de poisson (fish meal), riches en matières organiques, sont traités par l’unité de bio renouvellement d’EDM. Elle réalise une conversion biomécanique des matières organiques et le biogaz, issu de la dégradation biologique des composants organiques présents dans les flux de déchets et les jus de cuisson, sera renvoyé aux deux usines pour leur propre consommation. Il remplace alors le fioul lourd, ce qui réduit considérablement les émissions de carbone. Un autre sous-produit, un biofertilisant, sera obtenu après l’élimination de l’azote et des phosphates des eaux usées. Énergie des Mascareignes devrait être opérationnelle en juin 2022.