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Éric Ng Ping Cheun : « On est en panne d’inspiration depuis 15 ans »

L’économie mauricienne a du mal à se réinventer. Avec son huitième livre, « Maurice la cigale », Éric Ng Ping Cheun (PluriConseil) nous livre sur le ton de la fable sa vision critique d’un pays qui, selon lui, a choisi de vivre dangereusement, entre consommation et endettement.

L’Éco austral : Comme la cigale de la fable, vous dites que le Mauricien vit dans une espèce d’insouciance consumériste qu’il risque de payer très cher quand la bise sera venue…
Éric Ng Ping Cheun
: Il dépense beaucoup et épargne peu. On constate une croissance constante de la consommation des ménages (de l’ordre de 3 %), alors que le taux d’épargne par rapport au PIB ne cesse de dégringoler : il était de 21 % au début des années 2000, il est aujourd’hui en dessous de 10 %. Nous sommes devenus une économie basée sur la consommation plutôt que sur l’investissement et l’exportation. On n’est plus dans les années 1980 où l’on faisait la part belle au travail et à l’épargne.

Peut-on reprocher au Mauricien, qui a eu faim dans son histoire récente, de vouloir élever son niveau de vie ?
Bien sûr que non. Je lui reproche simplement de vivre au-dessus de ses moyens. Le problème n’est pas tant la consommation que la consommation basée sur l’endettement. Profitant de la baisse du taux d’intérêt, continue depuis dix ans, il s’endette pour consommer. Cet enrichissement est factice puisque c’est de l’argent qu’il faudra un jour rembourser. Mais si jamais l’économie ralentit et que le taux d’intérêt remonte, les ménages ne seront plus dans la capacité de rembourser et cela va impacter toute la machine, y compris du côté des acteurs financiers et des sociétés de financement.

Vous dites dans votre livre que les politiques ont leur part de responsabilité, qu’ils ont favorisé ce comportement ?
Les dépenses publiques peuvent augmenter de 10 % d’une année à l’autre, avec un taux d’inflation de 5 % en moyenne pour 2018. En clair, le gouvernement recourt lui-même à cette solution de facilité qu’est l’endettement : la dette du secteur public qui était de 57 % du PIB il y cinq ans est aujourd’hui de 65 % ! Et c’est souvent par pures visées électoralistes, faire plaisir à l’électeur par des cadeaux inconsidérés, au risque de faire exploser la chaudière. C’est une constante depuis 10 ans. J’y vois beaucoup d’inconscience. 

 

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Vous sentez venir la crise ?
Le pays piétine sur ses 4 % de croissance, entretenue par la consommation, alors qu’il accumule un déficit à la fois commercial et du compte courant. Même en tenant compte des services où nous exportons plus que nous importons, comme l’aviation, le tourisme, les services offshore, ce n’est pas suffisant pour compenser le déficit des marchandises. Je constate qu’on n’est pas en train de faire les réformes structurelles qu’il faudrait pour éviter la crise, par exemple par rapport au vieillissement de la population, au manque de qualification de la main d’œuvre et de diversifica-tion dans l’économie.

Maurice a toujours su se réinventer…
Oui, mais il n’y a pas de nouveaux secteurs miracles en vue depuis 15 ans. Le dernier, c’est les TIC et la Cybercité vers 2005, plus rien depuis ! On est en panne d’inspiration. On s’est beaucoup focalisé sur l’immobilier au lieu de chercher à développer de nouveaux secteurs productifs. Notre industrie, la manufacture, doit urgemment se mettre à niveau par rapport à la concurrence extérieure en termes de numérisation des systèmes de production, de commercialisation et de distribution. Voilà où toutes ces années d’immobilisme nous on conduits.

Morale de la fable : et si vous vous trompiez ?
Le paradoxe de la prédiction est que les gens alertés font en sorte que la prédiction ne se réalise pas. Ce n’est donc pas l’échec de la prédiction, mais sa réussite si le mauvais scénario ne se produit pas.  

« Maurice la cigale », par Eric Ng Ping Cheung, Maurice, février 2019, 276 pages. Prix : 450 roupies (11 euros).