Green

Monde

Et si l’on oubliait le mythe de la croissance pour se concentrer sur le développement des potentiels ?

1 fév 2016 | PAR Bernard Alvin | N°305
Stocklib/Nutdanai Apikhomboonwaroot
Notre chroniqueur entrevoit une véritable révolution culturelle qui écorne au passage le mythe de la croissance infinie sur lequel se focalisent les politiciens. Une façon de replacer l’homme, et son épanouissement, au cœur des enjeux…

Le mythe est reconnu comme une fonction naturelle de l'espèce humaine. La récurrence des mythes au sein des cultures montre que ceux-ci révèlent des préoccupations communes aux hommes telles que la recherche du sens de l'existence, le souci d'expliquer la création du monde, les origines de la vie ou de l'humanité, le besoin de conjurer les angoisses des hommes face à une nature hostile, face à la maladie, à la souffrance ou à la mort, et d’assurer la communion avec le divin, etc. 
Les mythes ont une finalité bien établie, de la justification et de la codification des institutions politiques ou religieuses aux rites et tabous, en passant par les interdits moraux ou sociaux, voire la constitution d'une mémoire collective, des généalogies et des événements marquants propres à une culture. Dans notre culture occidentale, nous avons également notre mythologie et, au cœur de celle-ci, figure la notion de progrès, concept central de la pensée des Lumières.

LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE EST ISSUE DU MYTHE DU PROGRÈS

  
Le progrès incarne la croyance dans le perfectionnement global et linéaire de l'humanité. La société, tout en se développant, évolue vers le « mieux » : augmentation des richesses, progrès scientifique et technique... Mais aussi amélioration des mœurs et des institutions, voire progrès de l'esprit humain. La notion de progrès économique est une composante du concept global de progrès. Le progrès économique se définit à la fois par l'idée de croissance (quantitative) et par une meilleure efficacité (qualitative). 
La croissance économique est donc issue du mythe du progrès dans notre culture. Et c’est sans doute la raison pour laquelle nos hommes politiques ne cessent de se focaliser sur elle. L’ennui est que la croissance économique n’évolue guère, les courbes de la croissance et de l’emploi n’ont pas fière allure ! Alors, notre mythe serait il en panne ? La croissance économique est-elle parvenue à son terme ? Vu l’importance du mythe, la question ne peut paraître qu’hérétique ! C'est pourtant celle que pose Robert J. Gordon (Northwestern University) dans un texte provocateur. Pour lui, l'idée d'une croissance illimitée est une hypothèse infondée. Pendant la plus grande partie de l'histoire humaine, la production par tête n'a quasiment pas augmenté. La seule croissance enregistrée résultait de l'augmentation de la population. Au milieu du XVIIIe siècle, quelque chose a commencé à changer. La production par tête dans les économies les plus productives de la planète - le Royaume-Uni jusqu'aux environs de 1900, les États-Unis ensuite - s'est intensifiée, jusqu'à atteindre un pic au cours des deux décennies et demie qui suivirent la Seconde guerre mondiale. Le professeur Gordon affirme que la croissance de la productivité pourrait continuer à décélérer au cours du siècle prochain, jusqu'à atteindre des niveaux négligeables. Selon lui, en effet, la croissance est portée par la découverte puis l'exploitation de « technologies à usage général » qui transforment profondément l'existence humaine. Les économies seront-elles suffisamment innovantes pour s'assurer une efficacité croissante ? Pendant près de deux siècles, ceux qui sont aujourd'hui des pays à hauts revenus ont bénéficié de plusieurs vagues d'innovations qui les ont rendus à la fois beaucoup plus prospères que jamais et beaucoup plus puissants que tous les autres.  
Aujourd'hui, l'innovation est lente. Les élites des pays à hauts revenus sont parfaitement satisfaites de ce nouveau monde. Le reste de la population l'apprécie beaucoup moins….
On peut vraiment se demander si notre mythologie du progrès n’est pas en train de disparaître.

IL EST TEMPS DE PASSER AU DÉVELOPPEMENT HUMAIN


J’ai fondé mon métier sur un concept sans doute lui aussi tiré de notre mythologie ambiante : le développement des potentiels humains. Développer son potentiel revient à identifier et mettre en pratique des talents personnels. Nos talents nous permettent de réaliser nos rêves, et la réalisation de talents s’accompagne d’expression de créativité ou d’innovation. L’expression des talents de chacun conduit à une société plus intelligente, plus innovante, plus riche qualitativement et quantitativement. Le lien avec le progrès et la croissance est clair. Alors, si l’on commence à remettre en question le mythe du progrès et de la croissance économique, faut-il remettre également en question celui du développement des potentiels humains qui semble en être un sous-ensemble ? Revenons sur l’histoire récente de l’homme. Les progrès économiques sociaux et technologiques ont marqué notre culture depuis l’époque des Lumières. La révolution industrielle du XIXe siècle, puis l’accélération effrénée du progrès technologique et économique du XXe siècle sont une expression de notre mythe. On peut sans doute dire qu’il y a eu une apogée entre les années 1945 et 1973 puisque l’on a assisté à une croissance exceptionnelle qu’on continue d’appeler aujourd’hui « les Trente glorieuses », comme si l’horloge mythologique s’était arrêtée en 1973. Ces deux siècles « idylliques » sur le plan du progrès technique et économique peuvent-ils être reconnus comme un véritable progrès humain digne de ce nom ? Les guerres et conflits armés divers et variés que nous avons connus au cours de ces deux siècles permettent d’en douter. Le manque de respect profond pour la nature et notre planète également. Les considérables dégradations du vivant constituent une tâche très sombre dans le tableau du progrès de l’homme dans notre culture ! Dans notre mythologie, il semble qu’il y ait eu un bug important, c’est le découplage entre le progrès quantitatif (toujours plus de) et le progrès qualitatif (un être humain toujours plus heureux et épanoui). Notre mythe du progrès s’est-il constitué sans faire référence au bonheur et à l’épanouissement de l’homme ? Ou bien sommes-nous parvenus à une époque charnière où l’ancien mythe du progrès technique et économique va laisser sa place à un nouveau mythe dans lequel l’épanouissement humain va devenir le nouveau critère central ? L’avenir nous le dira. 
 

« Sommes-nous parvenus à une époque charnière où l’ancien mythe du progrès technique et économique va laisser sa place à un nouveau mythe dans lequel l’épanouissement humain va devenir le nouveau critère central ? L’avenir nous le dira. » - Stocklib/Dmitriy Shironosov
« Sommes-nous parvenus à une époque charnière où l’ancien mythe du progrès technique et économique va laisser sa place à un nouveau mythe dans lequel l’épanouissement humain va devenir le nouveau critère central ? L’avenir nous le dira. » - Stocklib/Dmitriy Shironosov
 

DES SIGNES AVANT-COUREURS AVEC LES GÉNÉRATIONS « Y » ET « Z »


On nous parle souvent de la fameuse génération « Y » qui serait bien plus qu’un effet générationnel ponctuel mais plutôt une nouvelle culture… qui tendrait à s’amplifier avec la nouvelle génération qui arrive, les « Z ». Cette culture commune remet en cause les modèles traditionnels, notamment ceux de l’entreprise. Pour eux, le travail doit être une source d’épanouissement, et il y en a d’autres. Pour eux, le bonheur tient à l’harmonie, à l’équilibre entre ces différentes sphères. Les jeunes souhaitent d’abord réussir leur vie, conserver un bon équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Cette génération a de nouveaux critères professionnels, elle privilégie les qualités humaines. Dans le travail, elle milite pour l’apprentissage tout au long de la vie, le travail en mode collaboratif, l’aplanissement des hiérarchies, la valorisation du mérite et de la compétence au détriment du diplôme ou du grade, le développement des qualités humaines. Ces générations « Y » et « Z » sont souvent présentées comme en rupture forte par rapport aux générations précédentes. Alors, assistons-nous aujourd’hui à l’avènement d’un nouveau mythe dont les maîtres mots seraient épanouissement, bonheur, harmonie, équilibre et qualité de vie ? On peut aussi y ajouter « communication » car ces générations sont particulièrement portées vers les outils et moyens de communication. 

L’ÉPANOUISSEMENT PERSONNEL : NOUVEAU MYTHE DES PROCHAINES DÉCENNIES


La création d’applications rendant les relations humaines plus communicantes est un signe fort. Si, réellement, on est en train d’assister à l’éclosion d’un nouveau mythe porté par ces générations, alors le travail du développement des potentiels humains y a t-il sa place ? La réponse m’apparaît évidente : le développement des potentiels des personnes vise à permettre à chacun d’identifier ses qualités et ses talents profonds pour les mettre en valeur dans ses projets de vie. L’évolution de notre civilisation m’apparaît donc offrir nettement plus de possibilités vu la proximité des nouvelles valeurs avec la notion de développement intrinsèque de l’homme.
Les générations sont en marche, l’histoire est en marche et, même si l’être humain restera toujours très imparfait, il n’est pas interdit de rêver et d’être optimiste pour le devenir humain. Souhaitons donc que l’épanouissement de l’essence de chaque homme devienne le nouveau mythe des prochaines décennies !!!

Bernard Alvin

 
Réagissez à cet article en postant un commentaire

 

Monde

Et si l’on oubliait le mythe de la croissance pour se concentrer sur le développement des potentiels ?

Le mythe est reconnu comme une fonction naturelle de l'espèce humaine. La récurrence des mythes au sein des cultures montre que ceux-ci révèlent des préoccupations communes aux hommes telles que la recherche du sens de l'existence, le souci d'expliquer la création du monde, les origines de la vie ou de l'humanité, le besoin de conjurer les angoisses des hommes face à une nature hostile, fa...