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François Guibert, Chief Executive Officer de l’Economic Development Board (EDB) : « Mon job est de créer de la richesse pour tous »

Le Français François Guibert est depuis une année le Chief Executive Officer (CEO) de l’Economic Development Board (EDB), l’agence mauricienne de promotion des investissements. Jusqu’alors très discret, il donne à l’Éco austral la primeur d’un entretien exclusif où il détaille sa stratégie pour mettre Maurice dans la cour des grands pays émergents.

Même s’il a grandi sur les rivages de la Méditerranée, entre la cité phocéenne et Saint-Cyr-sur-Mer, il a passé l’essentiel de sa vie en Asie, notamment à Singapour qui pour lui reste un « modèle de développement harmonieux ». L’enfant de Béziers est diplômé en ingénierie électronique de l’École centrale de Marseille.
Tout au long de sa vie professionnelle, il suivra de nombreuses formations avec l’INSEAD (Institut européen d’administration des affaires) en finance et stratégie. Au moment de son recrutement par l’EDB (ex-Board of Investment – BOI), il est résident à Singapour en tant que conseiller au sein d’une firme de consultants spécialisée dans les stratégies de croissance. Nos lecteurs n’en sauront guère plus sur son profil personnel, sinon que ce père de trois enfants est amateur de spéléologie, de ski alpin, de musique classique, d’arts et de culture en général. 
Pudeur ou sage précaution pour cet homme occupant un poste clé pour l’avenir du pays, qui se sait « attendu au tournant » en cas de faux pas ou même de concession trop intime sur sa vie privée ? On le comprend, tant Maurice est aujourd’hui à un tournant de son développement dont l’issue dépendra à coup sûr des engagements pris aujourd’hui. Et sur ce point, l’homme qui étudie et affine sa stratégie depuis un an n’est pas avare de détails : « La stratégie prise par l’EDB repose en bref sur trois grands piliers. Le premier est celui des acquis existants et qui ont déjà bien fait avancer le pays : la canne, le textile, le tourisme ou encore la finance. Ils doivent être pérennisés et valorisés tout en insistant sur trois secteurs qui sont la manufacture au sens large (textile, médical, joaillerie), le high-tech et la finance. Vous pouvez voir que les pays qui ont développé ces trois activités sont bien engagés sur la route du développement. »
Reposant sur le savoir-faire existant à Maurice, ce capital de compétences doit maintenant prendre la voie de la spécialisation pour créer plus de valeur ajoutée.

Golden boys

Les dérivés de canne à sucre comme les sucres spéciaux, le rhum ou la biomasse sont ciblés au niveau du secteur primaire. L’automatisation devrait créer également plus de valeur ajoutée dans le secondaire. Dans le tertiaire, le développement des hautes technologies devrait aller de pair avec le secteur de la finance qui apparaît comme le nouvel Eldorado des golden boys mauriciens dans la perspective d’un hub financier dans les flux Asie-Afrique. Le second pilier de cette stratégie mauricienne est la diversification dans de nouveaux secteurs d’activité comme le transport, l’énergie, les produits pharmaceutiques. Enfin, l’innovation apparaît comme la nouvelle frontière mauricienne.
C’est là où les acquis existants vont être à la fois pérennisés et développés : les métiers de la fintech, du biotech et autres néologismes en « tech » auront les faveurs d’incubateurs qui devraient être un millier d’ici 2025 aux dires de François Guibert, dont le regard s’embrase quand il pense à ce futur immédiat. Notons au passage que l’EDB est à l’origine de l’inscription au Budget 2019 de l’exonération totale du capital minimum à détenir dans le cadre de l’Innovator’s Occupation Permit (avec suppression des 40 000 euros de mise de fonds nécessaire pour les start-up parrainées par un incubateur local).
Pérennisation, diversification et innovation, les trois piliers d’une île Maurice engagée dans la cour des grands pays émergents ? Tout le monde a envie d’y croire, mais quid des ressources humaines qui font déjà cruellement défaut au pays ? Sur ce point aussi, l’expert en développement a son idée : « Nous travaillons en étroite collaboration avec les ministères concernés afin de créer de plus en plus de nouvelles filières spécialisées, comme par exemple en biotechnologie et en intelligence artificielle. Les partenariats que nous venons d’engager avec les universités des Mascareignes, de Limoges et de Nice vont dans ce sens. »

« Nous avons déjà les ingrédients du succès »

L’attractivité de Maurice est déjà bien réelle pour les étudiants africains qui bénéficient d’exonération de visas pour les pays du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA). Ils ont le choix entre une offre particulièrement bien fournie dans les deux langues internationales utilisés ici, le français et l’anglais.
Questionné sur le risque de crise sociale qui pourrait poindre à l’avenir, en raison des inégalités de revenus, François Guibert reste optimiste : « Mon job est de créer de la richesse pour le bien de tous, et je ne vois pas pourquoi ce qui a marché à Singapour ne marcherait pas ici car nous avons déjà tous les ingrédients du succès. Voyez, aucun autre pays africain ne cumule autant de bons indicateurs économiques que Maurice et devenir le pivot de l’océan Indien entre l’Asie et l’Afrique n’est plus un rêve aujourd’hui. »
Ces derniers mois, l’EDB a recruté de nombreux responsables à des postes clés tout en ouvrant des représentations à Tokyo, Shanghai, Singapour et bientôt en Europe centrale.
Maurice, île paradisiaque pour touristes avec tous les clichés qui vont avec, c’est fini ? Pas vraiment, répond François Guibert qui explique qu’un rebranding de la destination est en cours de réflexion. Une consultation internationale et locale va permettre d’identifier des agences spécialisées qui devront créer une nouvelle image pour Maurice. Sans occulter celle qui a fait son succès touristique, le rebranding devra intégrer les nouvelles valeurs que l’île veut communiquer au reste du monde comme l’art, la culture, le sport et bien sûr le business en général. Une nouvelle image qui devrait être dévoilée avant la fin de l’année.

Photos : Davidsen Arnachellum
 

Une vocation asiatique
Nommé Chevalier de l’Ordre National du Mérite en 2009, François Guibert a travaillé plus de 38 ans pour STMicroelectronics, un des tout premiers acteurs mondiaux de la production de semi-conducteurs, notamment comme vice-président du Corporate Business Development et président pour la Chine et l’Asie du Sud. Il a également été président de la Chambre de commerce et d’Industrie (CCI) France-Taïwan, président de la Chambre de commerce européenne de Singapour et également membre du Conseil d’administration du Singapore Economic Development Board, l’équivalent de l’EDB. 
Mais c’est sur son rôle en tant que fondateur et président de l’EU-ASEAN Business Council que François Guibert insiste le plus : « Pour la première fois en 2013 toutes les CCI d’Europe ont pu se connecter avec leurs homologues asiatiques réunies au sein de la zone de libre-échange de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est). » Un réseau mis en place sous son impulsion et dont Maurice ne pourra que profiter.