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François Sarah : « Le paradoxe mauricien, une unité nationale sans nation ! »

1 juil 2019 | PAR Jean-Michel Durand | N°341
« Il me semble que la population en général n’est ou ne serait pas favorable à un projet de Seconde République. » Photo : Davidsen Arnachellum
François Sarah est docteur en sciences politiques de la célèbre université écossaise St Andrews. Il partage avec nous sa vision des institutions mauriciennes, estimant que toute réforme devrait se faire dans le respect de la Constitution mais aussi du pays réel.

L’Eco austral  : Les institutions politiques mauriciennes, un modèle à bout de souffle… Êtes-vous d’accord avec ce jugement ? 
François Sarah
: C’est un modèle qui a donné des preuves d’une durable stabilité et qui pourrait porter, par des réformes mesurées et judicieuses, la promesse d’une plus grande longévité. Avant d’essayer de changer quoi que ce soit, il faut d’abord que les Mauriciens travaillent ensemble pour faire fonctionner le système actuel et contrôler le fonctionnement et l’influence des partis politiques. Il faudrait, sans doute, retourner ponctuellement à l’histoire, à l’esprit, aux principes fondamentaux de ces institutions pour en faire le socle commun de la formation et de l’action politique des citoyens mauriciens.
Sans formation politique et sans débat politique, une démocratie participative ne peut que stagner et se réduire à un espace d’engagement dominé par une pure réactivité, par l’apathie, ou par certains extrémismes idéologiques. Toute réforme devrait se faire dans le respect de l’esprit et de la lettre de la Constitution, et dans le respect du pays réel, dans tout son enracinement et sa riche diversité culturelle.
On pourrait, certes, essayer d’énumérer les éléments fondamentaux de la Constitution : le régime démocratique et républicain, l’État de droit, les droits fondamentaux, les libertés fondamentales, le régime parlementaire et la séparation des pouvoirs, l’indépendance du judiciaire, etc. Et c’est précisément en s’inspirant de ces éléments qu’il faut consolider la culture politique mauricienne. Avant de chercher à réformer les institutions, il faut vouloir se réformer soi-même. Et cela vaut autant pour la classe politique que pour les citoyens en général. Ce qui, à mon sens, doit faire l’objet d’une refonte, c’est tout ce qui a trait au statut, au fonctionnement et au financement des partis politiques pour introduire plus de transparence dans leur gestion. On pourrait aussi introduire un système de primaires pour choisir les candidats aux élections législatives. Dans tout État populaire, il y a la tendance vers une certaine oligarchie des partis et c’est précisément ce qu’il faudrait contrôler. 

Qu’en est-il du projet de Seconde République évoqué lors des dernières législatives, à savoir le passage d’un système parlementaire à un système semi-présidentiel  ? Très mal «  vendu », il avait provoqué une levée de boucliers et très vite le projet a été mis aux oubliettes par ses propres promoteurs. 
Maurice a-t-elle besoin d’une Seconde République ? Je ne le crois pas, d’autant plus qu’il me semble que la population en général n’est ou ne serait pas favorable à un tel projet.  Avant de porter un tel projet, il faudrait que se tienne un véritable débat national qui donnerait voix aux opinions et aux souhaits du peuple dans son ensemble. La participation populaire ne doit pas se faire seulement au niveau de la discussion de projets tout faits et présentés par les politiciens, il faudrait inviter les citoyens eux-mêmes à venir participer à leur élaboration. Faute de pouvoir participer à la conception des réformes, les citoyens se doivent d’exercer une vigilance constante et exigeante par rapport aux programmes et autres manifestes des politiques diffusés à travers des conférences publiques, les médias et autres instances de la société civile.

 

Gaël Sarah
Photo : Davidsen Arnachellum
 



Quelle serait la limite du système parlementaire ?
Le système politique actuel est enraciné dans la tradition du régime parlementaire dit de Westminster avec… certains aménagements. Bien que le pouvoir exécutif soit investi dans le président, c’est le Premier ministre qui l’exerce. Un régime présidentiel se définit par l’exercice du pouvoir exécutif par le Président seul (type États-Unis). Un régime semi-présidentiel s’appuie sur un partage de ce pouvoir entre un Président et un Premier ministre (type République française). L’avantage du système actuel est que la présidence se situe au-dessus de la mêlée de la politique partisane, et qu’elle peut, en ce sens, incarner l’unité, alors que le Premier ministre est le chef de l’action gouvernementale. Il faudrait sans doute rehausser le prestige de la présidence comme le symbole de l’unité de la République et donner au chef de l’État les moyens de manifester cette unité. Par exemple, à travers le mécénat d’État, en donnant un espace et des moyens aux artistes les plus méritants de pratiquer et perfectionner leur art au service de cette unité.
Ce qui étonne le plus les observateurs étrangers, c’est le fait que la question ethnique est inscrite dans un alinéa de la Constitution, la loi suprême du pays. Or, il est impossible de la quantifier puisque le dernier recensement où la question de l’identité ethnique et religieuse a été posée remonte à 1972…
C’est un fait qu’à Maurice les gens demeurent attachés non seulement à leur appartenance ethnique mais aussi à l’intégralité ou à certains aspects de leur culture et religion. Ce qui est étonnant, c’est précisément qu’on s’étonne que la politique se fonde aussi sur cet aspect du pays réel. Preuve s’il en est, que le pays réel continue de résister à certains universalismes idéologiques qui lui sont étrangers. Cependant, je ne nie pas que certains politiques aient bâti leurs carrières en abusant à outrance du facteur ethnoculturel, et que les abus continuent.  Il faudrait, sans doute, user de la plus grande prudence politique pour formuler un projet de réforme qui prendrait en compte quelque hypothétique changement de la configuration ethnoculturelle de l’île. Les plus grands biens auxquels tout État doit aspirer sont d’abord la stabilité des institutions, la paix et la sécurité dans la société. Tous les citoyens doivent veiller à préserver ces biens, conditions de la jouissance de leurs libertés et droits politiques, tout comme il appartient aux hommes d’État de protéger la société des troubles. Évoquer les périls potentiels de réformes qui ne seraient pas le fruit de la prudence mais de l’idéologie devrait aussi être la tâche de tout citoyen. 

Faut-il faire le choix du « mauricianisme » ?
Il est un fait qu’il y a, depuis toujours, chez certaines élites mauriciennes, porteuses d’un progressisme mal défini, le désir et l’aspiration vers ce qu’on pourrait appeler le « mauricianisme », l’idée d’une identité nationale commune qui tendrait à minorer ou même neutraliser (politiquement) l’identité ethnoculturelle. Je doute fort que le peuple partage une telle aspiration. Le paradoxe de Maurice, c’est qu’il y a une unité nationale sans Nation ! C’est bien le ciment du Droit et de la stabilité des institutions, de l’intérêt commun, qui lie toutes ensemble les petites « nations » (au sens d’entités - NDLR.) qui cohabitent  en son sein.

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