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Gérard Hébrard : « Le Central Electricity Board pourrait aller seul vers les énergies renouvelables »

Le directeur général de cette entreprise publique, chargée de la distribution de l’électricité à Maurice et d’une partie de sa production, dévoile sa stratégie en vue d’atteindre l’objectif de 35% d’énergies renouvelables en 2025.



L’Eco austral : Maurice dépend à 80% des énergies fossiles qu’elle importe. Comment expliquer cette faible part de 20% pour les énergies renouvelables et en particulier pour le photovoltaïque alors que le soleil est une ressource importante dans une île tropicale ? 
Gérard Hébrard
: Effectivement, sur le papier, le soleil nous offre largement ce dont nous avons besoin. Mais cette source d’énergie a deux défauts : son intermittence (avec des variations permanentes) et son indisponibilité en cas d’intempéries. C’est donc une source sur laquelle on ne peut s’appuyer à 100%. Cela nous oblige à avoir une puissance en « stand-by ». Quand il y a du soleil, les centrales photovoltaïques contribuent à la fourniture de la puissance maximale. Par exemple, la centrale photovoltaïque de Sarako est aujourd’hui à 15 mégawatts au maximum et le CEB vise à quadrupler cette production d’ici deux ans. Ce qui correspond à la demande maximale de la journée. Le photovoltaïque a donc un réel intérêt stratégique en permettant de réduire la facture pétrolière de Maurice, qui s’élève à 30 milliards de roupies (750 millions d’euros), tout en sauvegardant l’environnement. ?

Comment inciter les petits producteurs à investir dans le photovoltaïque alors que le prix du pétrole est en baisse ? 
Nous avons initié en 2012 le Small-Scale Distributed Generation Scheme (SSGD), un programme qui incitait à investir dans le photovoltaïque. Les petit producteurs pouvaient vendre leur électricité à un prix cinq fois supérieur au coût de production du CEB. Ce fut un succès au-delà toutes nos espérances… L’an dernier, nous avons lancé le SSDG Net-Metering Scheme qui permet une sorte de troc. Si la consommation du producteur est inférieure à sa production, le surplus est crédité sur un compte d’énergie et le solde reporté utilisé pour des rajustements sur des facturations futures. Pas moins de 1 500 clients ont opté pour cette formule et j’en profite pour saluer le travail de l’Agence française de développement (AFD) qui a initié, via les banques MCB et SBM, des « greens loans » (prêts verts –Ndlr) pour soutenir les projets. Le photovoltaïque devient une source intéressante pour nous, mais pour pouvoir dépasser les 30% dans nos programmes, il nous faut investir dans les batteries.

On parle aussi des Smart Grid (réseaux de distribution d’électricité dit « intelligents ») ? 
Même si nos amis de de La Réunion sont en avance sur ce dossier, le CEB n’est pas en reste. 50% de nos revenus ne sont plus aujourd’hui liés aux compteurs. Nos nouveaux horodateurs électriques permettent de lire directement et à distance les consommations de nos gros clients. C’est donc bien une forme de Smart Grid. Bien sûr, c’est encore peu par rapport à nos 440 000 abonnés… Mais nous y attachons de l’importance même si notre première priorité est de renforcer notre capacité de production pour éviter tout « black out » (coupure électrique généralisée). Il faut notamment renforcer notre infrastructure de réseau qui fait 66 kilovolt (kV) sur 320 km de long.

« Il paraît évident qu’à partir de 100 à 150 MW de production d’énergie renouvelable, il nous faudra investir dans des batteries pour palier à l’intermittence du photovoltaïque. »
« Il paraît évident qu’à partir de 100 à 150 MW de production d’énergie renouvelable, il nous faudra investir dans des batteries pour palier à l’intermittence du photovoltaïque. »  Stocklib/Tomwang
 

Depuis 1984, les quatre groupes sucriers sont devenus de vrais producteurs d’énergie (IPP). Ils produisent 60% de la consommation électrique nationale en utilisant de la bagasse comme biomasse, mais aussi principalement du charbon. C’est le « mix » énergétique. La plupart des contrats vont arriver à échéance. Qu’avez-vous prévu ?
On estime que la consommation de charbon est de 750 000 tonnes par an. Nous sommes en pleine renégociation avec le groupe Alteo, nous voulons utiliser plus de biomasse dans une nouvelle centrale qui devrait être opérationnelle en 2019. Elle devrait être plus performante et plus efficiente avec un ratio biomasse/charbon plus important. Nous allons aussi lancer une nouvelle centrale de turbine à combustion à Fort Georges. 
Le CEB envisage d’aller tout seul vers les énergies renouvelables. Il paraît évident qu’à partir de 100 à 150 MW de production d’énergie renouvelable, il nous faudra investir dans des batteries pour palier à l’intermittence du photovoltaïque. Mais il ne sera pas nécessaire aux particuliers d’acheter des batteries puisqu’avec le SSDG Net-Metering Scheme, la batterie c’est le réseau.  

Pour inciter les usagers à changer leurs habitudes de consommation, ne pourrait-on pas imaginer un système de tarifs différenciés avec des heures creuses et des heures pleines ?
C’est une solution à laquelle nous pensons et qui pourrait bien convenir au développement des véhicules électriques. Des tarifs réduits inciteraient les usagers à les recharger la nuit et cela permettrait de mieux rentabiliser nos équipements. 

N’est-ce pas le rôle d’un régulateur de se pencher sur cette question ?
On parle d’un régulateur depuis 2004 et le projet de loi est passé. J’espère qu’il sera nommé cette année. Mais je tiens à souligner que les autorités ont toujours joué leur rôle dans toutes les négociations. Et avec un certain succès puisque 99% de notre population est connectée à notre réseau, soit le taux le plus élevé en Afrique sub-saharienne.

GÉRARD HÉBRARD
Cet ingénieur est un produit 100% CEB. Il a été formé à l'École d’électricité et de mécanique industrielles de Paris (EIGSI), dite École Violet. Il a intégré en 1976 le Central Electricity Board comme ingénieur cadet au service transport et distribution. Depuis avril 2015, ce père de famille de quatre enfants en est le directeur général. 
LA RÉUNION EN AVANCE DANS LE SOLAIRE
En puissance installée dans le photovoltaïque, La Réunion dispose de 170 mégawatts (MW) alors que Maurice ne se situe encore qu’à 25 MW. Pour aller plus loin, la région française commence à déployer des solutions de stockage qui règlent le problème de l’intermittence, mais elles ne représentent encore que 18 MW. Le frein, c’est que les batteries coûtent cher, mais leur prix ne cesse de baisser. À Maurice, le Central Electricity Board prévoit également d’investir dans des batteries pour stocker l’énergie solaire.