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Réunion

Il faut mettre de l’huile dans la formation professionnelle

C’est l’un des grands chantiers du quinquennat Macron, la réforme de la formation professionnelle et de l’apprentissage entamée en 2018. Nouveaux droits, nouvelle dynamique, l’objectif est surtout de faciliter l’accès aux dispositifs existants.

Un système trop complexe et pas assez exigeant en termes de qualité et de résultats, une faible compétence professionnelle d’un trop grand nombre de salariés et de demandeurs d’emploi. Voici les points noirs qui ressortent comme fragilisant l’économie et la compétitivité des entreprises françaises. Simplification, meilleure communication, accompagnement, sont les maîtres-mots d’une série de mesures destinées à faciliter l’accès aux droits, dans la nouvelle réforme de la formation professionnelle qui va être mise en oeuvre entre juin-juillet 2018 et juin-juillet 2019. 
À commencer par le CPF, le compte personnel de formation, opérationnel depuis janvier 2015, qui sera crédité d’une somme d’argent (et non plus d’un capital en heures) qui augmentera au fil des ans (jusqu’à 5 000 euros sur dix ans pour le droit commun et 8 000 euros pour les personnes sans qualification). Une application numérique permettra même de s’inscrire à un stage et de le payer directement. 
« L’objectif est que chaque personne devienne véritablement actrice de sa formation et puisse monter en compétences. Aujourd’hui, avec la souplesse du CPF, chacun va aller chercher sa propre formation. Jusque-là, le système était trop complexe et reposait sur une liste de formations éligibles. Seulement 36 % des Français bénéficient d’une formation contre 53 % en Allemagne », expose Nadia Yahiaoui, présidente de la Fédération de la formation professionnelle à La Réunion (FFP). 
 

Géraldine Seusse, animatrice au Carif-Oref : « Le compte personnel d’activité, dont dépend le compte personnel de formation (CPF), est ouvert à tous : actifs du secteur privé ou public et libéraux. Il est relié au numéro de sécurité sociale. »
Géraldine Seusse, animatrice au Carif-Oref : « Le compte personnel d’activité, dont dépend le compte personnel de formation (CPF), est ouvert à tous : actifs du secteur privé ou public et libéraux. Il est relié au numéro de sécurité sociale. »  Guillaume Foulon
 

Mieux informer pour mieux se former

Devenir acteur de sa formation est désormais incontournable, estime la présidente de la FFP et gérante de l’Institut supérieur d’étude en continu (Isec) Ouest et Sud. « Avec la transformation des métiers, la digitalisation de l’économie et de la société, l’élévation en compétences doit être au coeur du parcours professionnel. On va aller de plus en plus sur des petits modules certifiants pour s’adapter aux besoins des entreprises et permettre aux collaborateurs de se former, moins sur des formations longues. »
Pour Géraldine Seusse, animatrice au Carif-Oref (Carif pour Centre d’animation et de ressources de l’information sur la formation et Oref pour Observatoire régional emploi formation), il y a un manque d’information et de communication autour de ces dispositifs, bien qu’on ait dépassé un million de formations validées au plan national et près de cinq millions de comptes CPF ouverts. 
« Le CPF fait partie du CPA, le compte personnel d’activité qui est ouvert à tous : actifs du secteur public ou privé et libéraux, et qui englobe le CPF, le CEC (le compte d’engagement citoyen) qui donne droit à des heures de formation pour une activité de bénévolat et le C2P, le compte professionnel pénibilité pour les travailleurs exposés à des facteurs de pénibilité. Ces derniers disposent de certains droits : partir plus tôt en retraite, suivre une formation jusqu’à 2 500 heures ou encore travailler à temps partiel et percevoir un salaire à temps plein. Mais peu le savent. Autre exemple avec le permis de conduire, qui est éligible au CPF depuis mars 2017 avec la Loi sur l’Égalité et la Citoyenneté. » 
 

Louis-Bertrand Grondin, conseiller régional en charge de la formation professionnelle et de l’apprentissage. « Nous avons doublé nos effectifs et nos investissements financiers et pédagogiques en moins de dix ans. »
Louis-Bertrand Grondin, conseiller régional en charge de la formation professionnelle et de l’apprentissage. « Nous avons doublé nos effectifs et nos investissements financiers et pédagogiques en moins de dix ans. »  Guillaume Foulon
 

L’autre grand chantier, et non des moindres, concerne la réforme de l’apprentissage pour en faire une voie d’excellence, un véritable tremplin vers l’emploi. Seulement 7 % des 15-25 ans font ce choix, contre 15 % dans les autres pays d’Europe alors que 70 % des jeunes trouvent un emploi dans les sept mois suivant leur formation. Pour doper l’apprentissage et redorer son image, car c’est bien là le frein majeur, des mesures facilitatrices vont être mises en oeuvre (barrière d’âge repoussée à 30 ans, durée du contrat modulable, embauche tout au long de l’année, rupture du contrat facilitée, prépa-apprentissage, Erasmus, aide de 500 euros pour les apprentis qui passent leur permis, etc.) 
Mais ce qui change surtout, c’est une nouvelle logique pour remettre les entreprises au cœur du dispositif de financement et de gestion. Une petite révolution qui va offrir aux branches professionnelles un rôle pilote jusqu’alors dévolu aux régions, accueillie avec joie par le secteur privé (lire notre entretien avec Carol Derand), mais qui suscite aussi l’inquiétude chez les institutionnels, à l’instar de la région Réunion.
« La réforme est en route et nous allons l’accompagner. Mais nous regrettons d’être sortis du coeur du système pour être positionnés sur le périphérique. À La Réunion, les branches professionnelles ne sont pas structurées, hormis le BTP. Le modèle reste à bâtir. Au regard de cette situation, nous souhaiterions qu’une période de transition soit mise en place avec un régulateur public pour définir la cartographie de la formation de l’apprentissage, pour créer un modèle avec les opérateurs de branche ou inter-branches », espère Louis-Bertrand Grondin, conseiller régional en charge de la formation professionnelle et de l’apprentissage. 
 

Marie-Claude de Munari, directrice du Pôle formation de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI), et Isabelle Verrougstraete, directrice adjointe, en charge du développement et de l’apprentissage : « L’apprentissage est un dispositif qui mène à l’emploi. Plus de la moitié de nos apprentis sont embauchés dans l’entreprise où ils se sont formés. »
Marie-Claude de Munari, directrice du Pôle formation de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI), et Isabelle Verrougstraete, directrice adjointe, en charge du développement et de l’apprentissage : « L’apprentissage est un dispositif qui mène à l’emploi. Plus de la moitié de nos apprentis sont embauchés dans l’entreprise où ils se sont formés. »  Guillaume Foulon
 

5 000 apprentis à La Réunion 

Sur l’île, l’apprentissage est un modèle qui a fait ses preuves et s’est beaucoup développé ces dernières années avec 5 000 apprentis en 2017 répartis sur les 11 centres de formation d’apprentis (CFA) pour un budget de 45 millions d’euros, contre un peu moins de 3 000 en 2009 pour un budget de 20 millions d’euros. « C’est le signe de la montée en gamme d’une économie indissociable de la montée en gamme de compétences, notamment chez les jeunes », soutient la Région, pour laquelle la formation professionnelle et l’apprentissage constituent le poste de dépense le plus important (110 millions d’euros de budget dont 45 dédiés à l’apprentissage). 
Côté financement justement, c’est aussi le chamboulement puisque la taxe d’apprentissage, dont 51 % était reversée aux régions, va être remplacée par une contribution alternance unique (en faveur des contrats d’apprentissage et de professionnalisation). Établi à 0,85 %de la masse salariale, ce prélèvement ira directement aux CFA, en fonction du nombre de contrats signés. À la CCI, le deuxième opérateur sur le territoire avec 1 600 apprentis formés du CAP au Bac+5, la réforme est bien perçue sur le fond mais pas sur les modalités d’ouverture au marché libre.
« Nous trouvons cette réforme extrêmement intéressante, notamment sur les points d’assouplissement du dispositif et espérons qu’elle donnera un nouveau souffle à l’apprentissage, qui correspond à une demande des entreprises et des jeunes. Mais l’ouverture au marché libre n’est pas l’idéal pour optimiser les moyens et cela ne va pas faire pour autant exploser le nombre d’apprentis », jugent Marie-Claude de Munari, directrice du Pôle formation de la CCI et Isabelle Verrougstraete, directrice adjointe du Pôle, en charge du développement et de l’apprentissage. 
Selon elles, « la régulation actuelle et la lisibilité de la Région permettaient d’optimiser le dispositif. D’autant que nous avons une réelle spécificité du fait de notre éloignement qui nous oblige à raisonner différemment. Demain, nous ne pourrons pas ouvrir une section à dix apprentis par exemple si on suit la logique de rentabilité et le financement au contrat. Pourtant, il coûtera plus cher d’envoyer ces jeunes se former en Métropole et ils ne travailleront pas au sein de nos entreprises. » 

Un premier café-réseaux a été organisé par et pour les demandeurs d’emploi de Saint-Paul en décembre 2017.
Un premier café-réseaux a été organisé par et pour les demandeurs d’emploi de Saint-Paul en décembre 2017.  DR
 

PÔLE EMPLOI SORT SON PLAN D’INVESTISSEMENT COMPÉTENCES
En France, après le plan 500 000 formations initié en 2016, doté d’un milliard d’euros et ayant permis de former 20 % des chômeurs, l’année 2018 est marquée par l’arrivée du Plan d’investissement compétences (PIC) qui vise à former deux millions de demandeurs d’emploi dont un million de jeunes peu qualifiés et éloignés du marché du travail. Le budget est évalué cette fois entre 13 et 14 milliards d’euros. « La grande différence est surtout qu’on passe d’une politique de dispositifs (formations, contrats aidés, etc.) à une politique de parcours avec une vision globale du parcours et une approche temporelle de la situation de l’individu qui prend davantage en compte son passé professionnel », explique Michel Swieton, directeur régional de Pôle emploi Réunion. 

Accompagnement personnalisé
Cette vision globale repose sur trois piliers : un accompagnement personnalisé, une immersion dans le milieu du travail et une formation/élévation en compétences. Le nombre de formations devrait donc sensiblement continuer sa progression à La Réunion  : 9 000 ont été dispensées en 2017 en partenariat avec La Région (7 700 en 2016, 6 000 en 2015). Pour accompagner les entreprises dans leurs besoins, une centaine d’agents (sur 1 200 répartis dans 17 agences sur toute l’île) sont en relation directe avec elles et proposent des CV. Pôle emploi Réunion a d’ailleurs mis en place depuis 2016 une équipe de conseillers et une offre de services spécialisés cadres et jeunes diplômés. 
À ce titre, un premier « café-réseaux » du Pôle emploi de Saint-Paul a eu lieu en décembre dernier. « Dans ce concept innovant qui a permis à 40 demandeurs d’emploi cadres de rencontrer une vingtaine d’entreprises, il y a une dimension de club intéressante. Ce sont les demandeurs d’emploi eux-mêmes qui animent l’événement. Ils ne subissent pas la situation, mais sont vraiment acteurs et prennent leur destin en main », précise Michel Swieton. D’autres événements de ce type ont lieu régulièrement, à l’instar de la Semaine de l’emploi, qui sera reconduite en septembre prochain et qui multiplie les « job dating », forums, ateliers de coaching, interventions de chefs d’entreprise dans toute l’île. Une cinquantaine d’événements au total. 

Saint-Cyr Coëtquidan jouit d’une bonne réputation internationale. Elle forme les officiers de l’Armée française mais aussi d’autres pays
Saint-Cyr Coëtquidan jouit d’une bonne réputation internationale. Elle forme les officiers de l’Armée française mais aussi d’autres pays.  ESCC/DPCF/CMAF
 

DES DIRIGEANTS FORMÉS DANS L’ESPRIT DE SAINT-CYR
Saint-Cyr Formation continue, centre de formation plutôt réputé dans le leadership, le management et la gestion de crise (entre autres), est intervenu en mars à La Réunion auprès de 27 dirigeants d’entreprise qui ont ainsi quitté leur « zone de confort » pendant quatre jours. Sur la base militaire du 2ème RPIMA (Régiment parachutiste d’infanterie de marine), à la Plaine des Cafres, ils se sont impliqués dans un parcours d’audace, la construction d’un pont en X et des exercices pratiques… Le tout en phase avec des objectifs collectifs comme cela se passe avec des militaires en opération. Un officier au commandement est responsable de la vie de ses hommes, d’où l’importance de ses prises de décision et d’une bonne cohésion de ses ressources humaines. 
Saint-Cyr Formation continue est le centre de formation de la Fondation Saint-Cyr qui a vu le jour en 2006 à l’initiative du général Jean Coulloumme-Labarthe, commandant à l’époque des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan. À La Réunion, le centre est intervenu dans le cadre d’un programme de formation de quinze mois du Centre de perfectionnement aux affaires (CPA), créé historiquement par la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Paris avec la Harvard Business School. Le CPA est re présenté localement depuis octobre 2017 par la Cité des dirigeants, société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) créée à l’initiative de Christophe Di Donato. Ce dernier, qui en est le président, a pu obtenir un financement public à hauteur de 1,5 million d’euros dont 700 000 euros de la Cinor (Communauté intercommunale du nord de La Réunion) pour soutenir ce nouvel acteur de l’accompagnement des dirigeants d’entreprise.