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Maurice

José Poncini : un visionnaire qui n’a pas été assez écouté

Cet horloger économiste ou économiste horloger, comme l’on voudra, avait l’étoffe d’un homme d’État, denrée rare à Maurice tant la politique politicienne conduit à la mesquinerie et à la perte de temps.


Ce récit autobiographique, interrompu en 2015 après le décès de l’auteur, a été complété par Gilbert Deville et Pascale Siew à partir de notes laissées par José Poncini lui-même, et enrichi de photographies personnelles et de témoignages de certains de ses plus proches collaborateurs et amis. 

Ceux qui ont connu José Poncini savent qu’il pouvait se montrer bavard, bien qu’étant mauricien d’ascendance suisse (mais plutôt suisse italienne). Mais ce n’était pas le bavard du « café du commerce », celui qui a un avis sur tout et en particulier sur les sujets qu’il ne maîtrise pas. Non, José Poncini pouvait se montrer bavard par passion, quand il était question du présent et du futur de l’île Maurice, et de la meilleure stratégie de développement à mettre en œuvre. Il était d’ailleurs horloger, mais aussi économiste. Ce qui fait bon ménage. En économie, il faut avoir le sens du temps, ne pas le perdre bêtement, tout en sachant « donner du temps au temps » dans le cadre d’une vision stratégique. 
Comme on l’a répété à l’occasion de son décès en novembre 2015 (à l’âge vénérable de 87 ans), José Poncini a été l’un des « pères » de la zone franche qui a eu pour effet de résorber le chômage massif qui sévissait à l’indépendance en 1968. « Nous avions 40 %de taux de chômage ; nous avons réussi à le résorber en vingt ans, à travers la zone franche et le tourisme. La grande réussite de Maurice, c’est d’avoir vaincu ce chômage, mais aussi le paludisme, et d’être parvenue à contenir la natalité », déclarait-il dans un article publié dans L’Eco austral en 1999. 

Changer de cap

Mais il avait compris très vite, dès les années 1990, que ce modèle devait évoluer, lui qui passait deux heures par jour à collecter des informations sur Internet. Ce sage était aussi un homme d’action, s’impliquant comme vice-chancelier de l’Université, membre du conseil d’administration de la State Bank et président du NPCC (National Productivity and Competitivness Council), l’organisme public chargé de la compétitivité. Il savait que l’avenir de Maurice passait par la compétitivité, l’innovation et l’éducation. Et pas seulement dans les nouvelles technologies. « Le pays ne dispose pas d’une chambre des métiers qui mettrait de l’ordre dans les compétences. Il n’est pas logique que nous devions avoir recours à de la main d’œuvre étrangère pour des métiers comme celui de boulanger », regrettait-il dans un autre article de L’Eco austral, publié en mars 2005 à l’occasion de la sortie d’un document de réflexion émanant du NPCC. Malheureusement, quand on lit ce rapport, on constate que Maurice a perdu beaucoup de temps car toutes les grandes questions de l’avenir étaient soulevées depuis longtemps. En particulier la nécessité de changer de cap et l’intérêt du modèle de City-State, cet environnement hautement urbanisé, muni d’infrastructures exceptionnelles en termes de transport, de communication, d’entreposage pour le commerce, d’idées et de finance, caractérisé par une économie très ouverte et intégrée dans une région donnée.
La perte de temps dans la mise en œuvre d’une stratégie irritait l’horloger José Poncini qui regrettait qu’on ait si mal compris le concept de cluster, n’en faisant qu’un département au sein d’un groupe. 

Trop de politique politicienne

Au final, on peut se demander si Maurice n’a pas souffert d’un excès de démocratie ou plus exactement d’un excès de politique politicienne. Les élus qui occupent le pouvoir adoptent trop souvent une vision à court terme, leur objectif étant leur réélection ou, pire encore, le désir immédiat d’en profiter et d’en faire profiter leurs proches le plus possible. 
Dommage qu’on n’ait pas mieux écouté le visionnaire José Poncini. Il avait l’étoffe d’un homme d’État, une denrée rare sur la scène politique. Mais on peut difficilement l’imaginer engagé dans la politique politicienne car il n’était pas un batteur d’estrade ni un démagogue. Au moins, avec Bâtir sur ses rêves – José Poncini, que les éditions Vizavi ont eu la bonne idée de publier, on en sait plus sur l’homme et surtout sur ses idées. Un vrai programme pour l’île Maurice. 

Bâtir sur ses rêves – José Poncini, Éditions Vizavi (2018), 203 pages. 600 roupies (15 euros)