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Kee Chong Li Kwong Wing, Président de la SBM Holdings : « En Afrique, tout est une question de connectivité entre les entreprises et les investissements »

Ce visionnaire, à l’origine de nombreuses réformes, demeure optimiste pour le secteur financier tout en se montrant vigilant, notamment en matière de ressources humaines. À cet effet, la SBM ouvrira en 2018 le premier centre de formation du pays consacré aux métiers de la finance.

L'Eco austral : L'année 2017 a entraîné une mutation dans le secteur financier. Les effets conjugués du Brexit et les nouvelles conditions de l'OCDE orientent le pays vers une nouvelle donne. Quelle est votre position face à ces nouvelles orientations ?
Kee Chong Li Kwong Wing
: On peut dire qu’à quelque chose malheur est bon. Nous subissons encore les effets de la crise des « subprimes de 2008 », mais, du coup, le monde de la finance s'organise en mettant en place beaucoup plus de règlementations, de meilleure gouvernance, de façon à ériger des garde-fous. En tous cas, ce sont les pays en voie de développement qui ont été une nouvelle fois affectés car ils étaient dans un libéralisme débridé et ont été victimes des abus des pays riches. Aujourd'hui, je constate que les banques multinationales se désengagent de l'Afrique. Ici, à Maurice, par exemple, la BNPI, la Deutsche Bank et prochainement la Barclays. Cela en raison des coûts de mise en conformité et de contrôles devenus trop élevés, mais aussi en raison de l'étroitesse des marchés et de l'incertitude du retour sur investissement. La bonne nouvelle, c'est que ça crée de la place pour les banques intermédiaires comme la nôtre qui profitent de nouvelles frontières, de nouvelles possibilités d'expansion. À condition toutefois de pouvoir mobiliser les ressources financières pour répondre à la demande de croissance des entreprises africaines. En effet, nous faisons face à une carence en ressources humaines… À Maurice, nous sommes conscients de la problématique et nous travaillons à la construction d'un écosystème adapté car la pierre angulaire du développement africain dépend du secteur financier dans son ensemble. Tout est une question de connectivité entre les entreprises et les investissements.
 

La « blockchain » est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée et fonctionnant sans organe central de contrôle.
La « blockchain » est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée et fonctionnant sans organe central de contrôle.  Stocklib/Juliatim
 

Pour compléter votre propos, on peut dire que l'île Maurice doit changer d'image pour devenir une plateforme de référence, qui offre des services modernes. Deux questions se posent alors : sommes-nous prêts pour la révolution FinTech et avons-nous les moyens humains pour y arriver ? 
Le vrai challenge tient dans les ressources humaines. Il n'y a qu'à voir ici combien le personnel passe d'une institution à l'autre. En même temps, on ne fait que parler d'Afrique, de hub d'investissement vers le continent noir, mais qui connait réellement l'Afrique ? À Maurice, nous ne sommes qu'une poignée… Il nous faut attirer des cadres étrangers, mais il y a aussi tout un cadre de vie à créer, les plages ne suffisent pas. De même, nous parlons de FinTech, mais il n'y a pas que le numérique dans ce néologisme, qu'en est-il de la connectivité aérienne par exemple ? J’en profite pour souligner combien l'île Maurice a besoin d'un vrai centre de formation aux métiers de la finance, nous sommes toujours en attente d'une institution adaptée… On attend toujours qu’une initiative se prenne au sein de cette industrie super florissante, par exemple de la part de la Mauritius Bankers Association (MBA) (1), au lieu d’attendre toujours que le gouvernement intervienne pour ériger un autre corps paraétatique… En tous cas, en tant que membre du conseil d'administration de l'Afreximbank (lire notre encadré à ce sujet – Ndlr) et grâce à notre présence à Madagascar et au Kenya, nous allons développer les échanges de ressources humaines entre Maurice et tous ces pays africains. Mais surtout, et c'est une annonce que je vous fais en exclusivité, nous allons ouvrir une Training Academy dans notre centre de loisirs de Curepipe. 

L'Ile Maurice est déjà bien engagée pour devenir une référence universitaire pour l'Afrique. Avec ce centre, vous voulez répondre à cette carence en formations et encore une fois, c'est le secteur privé qui prend les devants ?
Notre Training Academy sera un modèle dans ce domaine car non seulement l'esprit détente et loisirs sera conservé, mais nous allons y proposer des formations de haut niveau grâce à des partenariats avec des ténors de la Silicon Valley en Californie comme Consensys. Comment, par exemple, faire évoluer la Blockchain Technology pour nos besoins de compensation des devises et des règlements internationaux ? L'émergence d'un incubateur, dénommé Innov8 Centre, dans cette Training Academy va répondre à ce type de question par la mise en place de méthodologies innovantes comme le Sandbox. Comme son nom l'indique, c'est une métaphore : on met en pratique une expérience, mais on l'efface si ça ne marche pas comme un dessin dans un bac à sable ! Vous en saurez plus bientôt… La SBM sera ainsi à l'écoute des start-ups africaines pour les aider dans leur développement, c'est une réponse locale à la FinTech. Les travaux d'aménagement ont commencé, l'idée est d'en faire un FinTech Hub pour l'Afrique dès 2018.

(1) Contactée par L’Eco austral, Aisha Timol, alors Chief Executive de la MBA, a précisé : « La MBA a aussi pour vocation la formation du personnel des banques et nous avons déjà en place toute une panoplie de cours qui sont dispensés sous notre égide par des consultants-formateurs locaux et internationaux et en collaboration avec des institutions de formation professionnelles telles que le Chartered Institute of Bankers of Scotland. La MBA détient déjà une accréditation d’institution de formation des autorités et nous prévoyons pour bientôt la mise en place d’un institut de formation à part entière.» La liste complète des cours est consultable sur le site www.mba.mu. 

« LE DERNIER BUDGET INDIQUE QUE LE PAYS DISPOSE D’UNE VRAIE STRATÉGIE »
Kee Chong Li Kwong Wing se livre à une analyse du dernier Budget de l’État mauricien en quatre points essentiels. Le premier point porte sur l'équilibre de la Loi de finances : « Ce budget est équilibré et bien réfléchi. C'est la première fois que le pays dispose d'une vraie stratégie pour les moyen et long termes, avec des tableaux de bord et des objectifs quantifiés. » Les moyens sont annoncés avec des investissements importants : « La modernisation des infrastructures (métro, routes…), la progression de la connectivité numérique, la modernisation du port et du terminal aéroportuaire, la distribution d'eau et la démocratisation de l'énergie renouvelable sont autant de points positifs. Cela prouve qu'il y a une programmation logique. »
Mais pour le président de la SBM Holdings Ltd, c'est le coup de pouce à l'innovation qu'il faut surtout remarquer : « Il y a tout un package d'incitations au développement des entreprises dans de nouveaux secteurs. Le FinTech, le « Bio Farming », l'industrie artistique, l'Open Data Portal et le Cloud Computing sont autant de domaines qui devraient s'épanouir à Maurice avec des conditions fiscales attractives et permettre l'implantation d'étrangers qui vont amener leur savoir-faire. Eux aussi ne sont pas oubliés dans le Budget avec plus de souplesse administrative annoncée. »
Enfin, l'écart entre riches et pauvres, important dans le pays, devrait être réduit : « Avec cette Negative Income Tax (impôt négatif – Ndlr) qui va s'appliquer aux plus faibles revenus, il faut s'attendre à une relance du pouvoir d'achat. Par ailleurs, le lancement d'ambitieux programmes immobiliers Low-Cost devrait permettre de donner des logements décents au plus grand nombre tout en participant à la relance du bâtiment. »
Stocklib/LuKasz Stefanski
 

LA SBM S'INTÉRESSE AUX CRYPTOMONNAIES
Pour répondre aux rumeurs qui bruissaient sur le fait que la State Bank of Mauritius (SBM) deviendrait la première banque au monde à intégrer les cryptomonnaies – ou monnaies virtuelles (la plus connue étant le Bitcoin) – l'établissement bancaire a organisé un colloque avec deux sommités de la question : les Américains de la société SALT, Shawn Owen, son CEO et Benjamin Yablon, President & Chief strategy. Ils ont indiqué comment les monnaies virtuelles, alternatives aux monnaies encadrées par les banques centrales et les marchés traditionnels, sont sans doute une révolution copernicienne. « SALT est la première plateforme de prêt permettant aux détenteurs d'actifs bloqués d'accéder à la liquidité sans qu'ils aient à vendre leurs jetons virtuels (…) Bref, SALT est un prêt traditionnel avec des garanties non traditionnelles. » Le président du conseil d'administration de la SBM Holdings, Kee Chong Li Kwong Wing, a insisté sur le fait que la SBM ne va pas proposer « tout de suite » la cryptomonnaie et qu’elle se trouve toujours en « mode d’exploration sur les potentiels du Bitcoin ».

LA SBM LANCE LES CERTIFICATS DE DÉPÔT AVEC L’AFREXIMBANK
Le Groupe SBM, à travers ses filiales non-bancaires, a été choisi pour agir comme « Transaction Advisor » de l’African Export-Import Bank (l’Afreximbank) (2) pour l’émission de ses « Depositary Receipts » (certificats de dépôt). C’est la première fois à Maurice qu’une institution financière émet des « Depositary Receipt » cotés sur la bourse mauricienne en dollars, cela depuis le 4 octobre 2017.
Après plusieurs « roadshows » en Afrique du Sud, un total de 165 872 000 dollars a été investi dans les « Dépositary Receipts » de l’Afreximbank, soit la plus grande levée de fonds en dollars ayant eu lieu à Maurice. Ce montant dépasse largement les 100 millions qui étaient le minimum requis pour la cotation sur le marché boursier mauricien. Un petit événement historique qui confirme les performances de la place financière mauricienne. Selon l’Afreximbank, l’Afrique est en pleine expansion et il y a une demande grandissante de capitaux pour son développement. Cette levée de fonds sera donc utilisée pour réduire le « Trade Finance Gap » qui est estimé à plus de 120 milliards de dollars annuellement, et qui est partiellement dû à la sortie de plusieurs grosses pointures financières du continent africain. 
Le Dr Oramah, président de l’Afreximbank, a tenu à déclarer que « le choix s’est porté vers le Groupe SBM en tant qu’institution financière très solide, vu qu’elle possède l’infrastructure, les compétences et le savoir-faire pour émettre ces 'Depositary Receipts'. En ce qui concerne Maurice, elle se positionne déjà comme le Financial Hub de l’Afrique et dispose de tous les atouts pour la réussite d’un projet d’une telle envergure. »

(2) La Banque africaine d'import-export (Afreximbank) est la principale institution financière multilatérale panafricaine consacrée au financement et à la promotion du commerce intra et extra-africain. La Banque a été créée en octobre 1993 par des gouvernements africains, des investisseurs privés et institutionnels africains et des investisseurs non africains.