La filière Bois cherche à mieux se structurer
L’ONF mise sur le cryptoméria, la Chambre des métiers sur le tamarin et le Conseil général sur le goyavier. En vue de doper une filière qui reste encore trop dépendante des importations mais peut profiter du renouveau de la construction en bois.
À La Réunion, plus de 80 % du bois utilisé pour la fabrication de meubles ou pour la construction est importé, ce qui représente environ 50 000 mètres cubes. Il s'agit de bois scié.
Parallèlement, l'île produit quelque 8 000 mètres cubes de cryptoméria de sciage et à peu près 500 mètres cubes de tamarin. L'utilisation de ce bois se partage en trois tiers entre la construction, l'aménagement extérieur et l'aménagement intérieur. Le constat est donc sans appel, la production locale ne peut pas satisfaire la demande. Il n'en reste pas moins qu'il existe une volonté de développer la filière car la consommation progresse.
Au dernier salon de la maison, qui s'est tenu en mai dernier au parc des expositions de Saint-Denis, les chalets en bois et autres kiosques ont en effet attiré de nombreux visiteurs. À tel point que plusieurs projets sont en cours de réalisation. L'un d'entre eux est développé par le Réunionnais Cédric Picard qui, après quatre ans de formation au Québec, a créé une société de construction de chalets en rondins en France métropolitaine et envisage d'importer le concept à La Réunion en utilisant du cryptoméria. « On a constaté plus de demande pour le bois malgré un surcoût de 10 % à 15 % par rapport au béton. Il est vrai que le bois isole beaucoup mieux et offre plus de souplesse dans la construction des charpentes. En outre, nous avons réussi à convaincre nos clients comme CBO Territoria et la SHLMR de généraliser les coursives en bois. D'ailleurs, on nous impose désormais de construire des logements traversants avec des coursives déportées du bâtiment », remarque de son côté Laurent Devaud, gérant du bureau d'étude Bois de Bout. « Nous utilisons en moyenne 10 % à 15 % de bois dans nos constructions, mais, pour certains projets comme les villas du Galion, tout est fait en bois », affirme pour sa part Sorya Thieblemont, responsable d'opération chez le promoteur CBO Territoria.
UN MATÉRIAU RENOUVELABLE ET QUI PRÉSENTE UN BON BILAN CARBONE
Il n'existe donc plus d'obligation. Pourtant, il faut sept fois moins d'énergie pour une construction en bois que pour une construction en acier et 2,5 fois moins que pour le béton. Il s'agit d'un matériau qui est renouvelable et présente un bon bilan carbone. Mais le recours au bois ne doit pas intervenir n'importe comment. Il convient, par exemple, de l'éviter dans la construction des façades les plus exposées aux intempéries. Sur le projet de Beauséjour, à Sainte-Marie, CBO Territoria a ainsi été prudent dans l'utilisation du bois car la zone est souvent exposée au vent et à la pluie. « Il existe en outre un problème de perception du vieux bois car le vieillissement n'est pas accepté par tous les habitants », précise Laurent Devaud.
Il existe pourtant à La Réunion un bois imputrescible : le cryptomeria, encore appelé « cèdre du Japon ». Cet arbre à croissance rapide (20 mètres cubes par hectare et par an) a été introduit à La Réunion à la fin du XIXe siècle dans les partie hautes de l'île (au-dessus de 1 000 mètres d'altitude). Outre la ressource en bois, le cryptoméria assure souvent une fonction de protection contre l'érosion des sols et d'ombrage pour les aires de repos et d'accueil en forêt. Ce bois présente une bonne aptitude au collage et permet la fabrication de produits collés satisfaisant aux exigences réglementaires de la menuiserie et de la construction. Son aptitude au collage peut se comparer à celle du peuplier. Il se comporte bien au séchage, présente une durabilité naturelle vis-à-vis des champignons et a une excellente aptitude à l'usinage en donnant de très bonnes qualités de surface. Le récent classement du cryptoméria dans la norme française NFB 52.001 et en norme européenne EN 1912 lui ouvre de nouvelles perspectives pour le développement de ses parts de marché dans la construction durable. L'Office national des forêts (ONF) a lancé en 2013 un inventaire de la ressource. Il en ressort que le cryptoméria couvre 1 493 hectares dont 1 198 sont exploitables et 295 trop difficiles à exploiter. 568 hectares sont desservis par des pistes et 720 hectares nécessitent la création de pistes ou une exploitation par câble ou hélicoptère. « Actuellement, le cryptoméria fournit à peu près 10 000 mètres cubes de bois sciable dont 8 000 mètres cubes de premier choix, 1 000 mètres cubes pour les petites scieries et 1 000 mètres cubes pour les copeaux de litières dans les élevages. Les 8 000 mètres cubes de premier choix constituent le maximum de la ressource », indique Florent Ingrassia, responsable du service forêt à l'ONF Réunion.
DE BONNES PERSPECTIVES POUR LES DIX PROCHAINES ANNÉES
Pour développer la filière bois, la présidente du Conseil général, Nassimah Dindar, a signé en 2013 un crédit-bail avec Sciages de Bourbon, la seule scierie industrielle de l'île, basée à la ZAC Bras Fusil, à Saint-Benoît. Cette entreprise créée en 2008 faisait déjà l'objet d’un partenariat public-privé entre l'ONF, la Chambre des métiers et de l'artisanat et des acteurs privés majoritaires. La participation de l'ONF représente 20 %, celle de la Chambre des métiers 29 % (dont près de 20 % détenus par le Conseil général). Côté privé, le groupe Ravate possède 25 % de la scierie, la SAS Mogamat 20 % et Copobois, une entreprise spécialisée dans l'exploitation de déchets ligneux, 6 %. Au total, la scierie aura coûté 3,19 millions d'euros dont 1,27 million provenant de fonds européens FEDER. Mais malgré la volonté politique, l'entreprise n'a pas atteint son seuil de rentabilité. « Nous disposons d'une capacité annuelle de 15 000 à 20 000 mètres cubes, mais nous tournons à moins de 50 % de cette capacité en raison de la baisse des entrées de grumes (écorce demeurée sur le bois qui a été coupé – Ndlr). En 2014, nous avons dû nous arrêter pendant deux mois et demi en dehors des congés et mettre notre personnel au chômage technique, ce qui a occasionné un manque à gagner de 400 000 euros et des pertes de 110 000 à 120 000 euros », déplore Paul Pineau, directeur général de Sciages de Bourbon. « Les livraisons de juillet à novembre sont bonnes, du fait de la météo favorable, mais nous sommes confrontés à un problème de lissage pour l'approvisionnement de la scierie », reconnait Didier Hoareau, l'adjoint au directeur de l'agence travaux à l'ONF Réunion, chargé du service bois. La solution à ce problème récurrent viendra peut-être du développement du projet en cours de Terre Plate, à Salazie. Le site pourrait fournir 60 000 mètres cubes à exploiter sur les dix prochaines années avec des pistes et un système d'exploitation par câble. « D'ici 2021, Terre Plate pourrait couvrir 39 % des besoins d'approvisionnement de Sciages de Bourbon. Ce qui permettra un début de substitution aux importations », souligne Didier Hoareau.
UNE STRATÉGIE À DÉVELOPPER SUR LE TRÈS LONG TERME
Plus généralement, l'ONF cherche à prévoir les volumes de sorties de bois, ce qui suppose une programmation sur dix à vingt ans afin d'obtenir de la visibilité et de définir la ressource. « Les replantations vont commencer en 2016, sinon il y aura une mise en péril de la filière à partir de 2045. Dans les quinze prochaines années, il faudra reboiser 92 hectares, sachant que le cryptoméria ne devient exploitable qu'au bout de quarante à cinquante ans », annonce Florent Ingrassia.
En fait, l'ONF a travaillé sur trois scénarios. Le premier envisage une exploitation de la ressource actuelle mais pas de replantation, ce qui aboutirait à l'extinction de l'espèce à l'horizon 2045. Le deuxième scénario, qualifié d'intermédiaire, consiste à maintenir le niveau actuel d'exploitation et à renouveler les surfaces. « Ce qui n'a pas été fait ces dernières années », souligne Didier Hoareau. Mais le scénario le plus ambitieux prévoit d'augmenter le reboisement en cryptoméria de 320 hectares sur les soixante-quinze prochaines années. « Pour cela, il va falloir chercher les financements, créer une accessibilité pour les exploitations et surtout trouver les surfaces », prévient Florent Ingrassia. La question des surfaces butte parfois sur le périmètre du Parc national de La Réunion où les cryptomérias coupés ne peuvent être remplacés que par du bois de couleur qui n'est exploitable qu'au bout d'un siècle. C'est ainsi que 151 hectares de cryptoméria ont dernièrement été replantés en bois de couleur dans le cadre du Parc national.
Dernier problème pour le cryptomeria : contrairement au tamarin qui est géré à 100 % par l'ONF, il dépend à près de 90 % de prestataires extérieurs. « Les équipements sont coûteux, l'investissement se fait souvent dans du matériel d'occasion, ce qui provoque des casses, et il est difficile de trouver des prestataires prêts à investir pour exploiter des volumes assez restreints », indique Didier Hoareau. De fait, il ne reste plus que deux prestataires extérieurs sur quatre pour épauler la régie ONF.
VERS UNE RELANCE DU TAMARIN
Concernant le tamarin, la Chambre des métiers et de l'artisanat tenu à sensibiliser les acteurs de la filière pendant le dernier salon de la maison avec la signature d'une convention avec la Nordev, société d’économie mixte du développement du nord de La Réunion.
« Nous souhaitons relancer la filière en montrant notamment le savoir-faire de nos entreprises en matière d'ameublement. Grâce à l'innovation, nous pensons attirer une clientèle plus jeune. Plus nous sortirons du bois, plus cela nous permettra de faire baisser les prix. Et à terme, nous pourrons un peu contrebalancer les importations puisque 95 % du volume exploité par nos ébénistes proviennent de pays étrangers », remarque Bernard Picardo, président de la Chambre des métiers et de l'artisanat. Un effort tout particulier a d'ailleurs été consenti sur les prix puisque, aujourd'hui, le mètre cube de tamarin se négocie entre 600 euros pour l'entrée de gamme et 1 500 euros pour les qualités supérieures.
Les principaux usages du tamarin sont l'ébénisterie (150 mètres cubes), la fabrication de bardeaux et la menuiserie (150 mètres cubes) et le bois de chauffage (150 mètres cubes). Cette essence couvre actuellement 1 990 hectares répartis sur quatre forêts à Bélouve, dans les Hauts sous le vent (entre le Maïdo et le Tévelave), aux Makes et à Petite Ile. 790 hectares concernent un peuplement très jeune (inférieur à 30 ans). Les jeunes tamarinaies (31 à 60 ans) représentent 930 hectares mais sont sans débouchés commercialisables et les vieilles tamarinaies couvrent 270 hectares. À noter qu'il n'existe pas de tamarinaies dans la classe d'âge de 60 à 90 ans. Seul le massif des Hauts sous le vent est en mesure, à court terme, d'approvisionner en tamarin la filière bois. Il s'agit principalement des bois brûlés en 2011 lors des incendies du Maïdo. Le volume prévisible exploitable est d'environ 8 000 mètre cubes. Sur la forêt de Bélouve, les peuplements commenceront à produire du bois exploitable d'ici une trentaine d'années. Quant aux peuplements des Makes et de Petite Ile, ils n'atteindront les critères d'exploitation que dans quatre-vingts ans au minimum.
COMMENT PROFITER D’UNE PESTE VÉGÉTALE : LE GOYAVIER
Soutenue par le Conseil général, la filière goyavier entend tirer parti des caractéristiques exceptionnelles en matière de durabilité de ce bois longtemps considéré comme une peste végétale. La filière devrait se constituer autour de plusieurs axes : le mobilier urbain (poubelles, bancs, abris voyageurs…), le mobilier d'intérieur (chaises, tables, lampes…), les objets divers (cendriers, porte-crayons, range-CD…), les cabanes et les aménagements extérieurs comme les kiosques.
Un plan stratégique a été mis en place afin de structurer la filière de la récolte à la fabrication des produits. Ce qui suppose également un cycle de formations des personnes et le développement de l'activité dans le secteur marchand. Depuis décembre 2011, un atelier forme des dizaines de personnes sous la houlette de Jean-François Hoareau, ébéniste de formation et responsable de la structuration de la filière bois de goyavier.
Quant aux bois de couleur (nattes, benjoins, bois de pomme, takamakas…), ils ont pratiquement disparu du marché en raison du défrichement agricole et d'une consommation excessive sans remplacement. Plusieurs essences précieuses (camphrier, cassia du Siam, champac…) ont également été testées, mais ces essais n'ont pas été aussi prometteurs que prévu ou ont été arrêtés par crainte d'invasion intempestive. La production reste donc anecdotique compte tenu des très faibles superficies concernées.
UN ATOUT POUR LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ENDOGÈNE
Malgré ses soubresauts et parfois ses déboires, la filière bois constitue une composante non négligeable de l'activité économique réunionnaise.
Selon l'Observatoire économique de l'artisanat, le bois de bâtiment (menuiserie et travaux de charpente) était représenté en 2014 par 258 entreprises employant 320 salariés pour un chiffre d'affaire de 22,8 millions d'euros. Le bois d’ameublement qui, en 2014, concernait 262 entreprises employant 382 salariés, souffre plus particulièrement de la concurrence des importations. En 2013, 36,1 millions d'euros de meubles en bois ont été importés à La Réunion. L'orientation en grande masse des achats vers des meubles d'entrée de gamme distribués par les grandes surfaces spécialisées a favorisé l'importation massive de mobiliers au détriment de la production locale. Ces importations viennent principalement d'Europe et d'Asie. Dans le même temps, la part des meubles de style créole ou ancien n'a cessé de diminuer au profit de mobiliers modernes et à bas prix. On estime aujourd'hui que plus de 80 % des besoins du marché sont couverts par l'importation. Le recul de la production locale s'explique également par un déficit de notoriété, une inadéquation de l'offre par rapport aux critères d'achat de la clientèle et l'absence de visibilité et de confort des points de vente. Par ailleurs, les artisans du bois ne luttent pas à armes égales contre les distributeurs-importateurs en matière de marketing, de communication et de variété de l'offre. Une situation qui peut s’améliorer avec la volonté actuelle de structurer la filière bois réunionnaise. Comme le montre la création en 2014 d'un syndicat professionnel du bois. « Avec ce syndicat, nous allons pouvoir défendre la profession, regrouper les achats, soutenir les ébénistes face aux importations ou encore négocier les appels d'offres », explique son président Max-Willy Séga. Mais pour être opérationnel, le syndicat va devoir intégrer une fédération professionnelle. « Nous avons choisi de nous affilier à la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) », indique Max-Willy Séga.
Ce qui va notamment permettre au syndicat du bois de fixer son niveau de cotisation.
La société Fibres, située dans la zone d’activité de Cambaie (commune de Saint-Paul), réalise un chiffre d'affaires de 15 millions d'euros et dégage une marge bénéficiaire nette de 3 % à 5 % par an. Elle importe 20 000 mètres cubes de bois sciés répartis sur 33 essences mais ne travaille pas avec le bois local. L'entreprise, qui dispose d'une surface de stockage de 40 000 mètres cubes, possède également un atelier de transformation (séchage et rabotage) pour les bois résineux et les bois exotiques. Elle travaille avec les charpentiers locaux pour la taille des charpentes. Fibres distribue également directement ses produits en Nouvelle Calédonie (7 000 mètres cubes de stockage) et à Mayotte (3 000 mètres cubes de stockage). À La Réunion, Fibres projette de s'étendre en diversifiant sa gamme avec notamment des produits de quincaillerie et de l'outillage. « Nous allons créer un outil de commercialisation orienté vers les particuliers », précise son directeur général, Yvan Mainix.
Implanté au Mozambique depuis 2005, Fibres y possède une exploitation forestière de 145 000 hectares et une scierie (Maza) qui emploie une centaine de personnes. Cette filiale à 100 %, qui représente 10 % de l'activité du groupe, exporte sur Maurice, La Réunion, l'Afrique du Sud et l'Europe (essentiellement en France et en Allemagne).