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Ethiopie

La renaissance d’un géant 

À l’image de son projet pharaonique de barrage sur le Nil, l’Éthiopie a de grandes ambitions économiques. S’appuyant sur des taux de croissance impressionnants, le pays veut être non seulement un acteur politique majeur, mais aussi l’un des moteurs de la croissance africaine.

Oubliez les images insoutenables d'enfants mourant de faim qui occupaient nos écrans de télévision dans les années 80 et l'élan de solidarité mondial qui s'en était suivi ! Aujourd'hui, l'Éthiopie veut définitivement faire son entrée dans le XXIe siècle. Avec près de 90 millions d’habitants, l'antique Abyssinie est le deuxième pays d’Afrique le plus peuplé derrière le Nigéria. On prévoit qu'en 2050, les Ethiopiens seront 170 millions. Beaucoup d’économistes considèrent cette donnée comme un atout à moyen et long termes, particulièrement à l’heure où la Commission économique des Nations unis pour l’Afrique (CEA) et l’Union africaine (UA) placent les politiques d’industrialisation des économies africaines au cœur de leur stratégie…
Taux de croissance économique annuel de l'Éthiopie de 2000 à 2011- Source UN National Accounts

S'appuyant sur des taux de croissance très soutenus, l’Éthiopie ambitionne de devenir un « African Lion » qui effacerait l’image éculée d’un pays condamné à la famine et à la pauvreté.
Taux de croissance économique annuel de l'Éthiopie de 2000 à 2011- source UN National Accounts

UN CAPITALISME D’ÉTAT

En 1991, victime collatérale de la chute de l'empire soviétique, le régime communiste du Négus rouge, Mengistu Haile Mariam, s'effondre sous les coups de butoir de l'opposition armée. Les nouvelles autorités sous la férule de l'Ethiopian People Revolutionary Democratic Front (EPRDF) de Meles Zenawi – qui deviendra plus tard Premier ministre – décident de transformer l'économie centralisée du pays en une économie de marché. Ces réformes ont permis de porter la croissance annuelle du PIB à 4% entre 1991 et 2003, contre 2,8% sous le régime du Derg (le régime communiste). Et depuis cette date, le pays a connu une croissance annuelle régulière proche de 10%, soit l’une des plus fortes croissances économiques enregistrées dans un pays d’Afrique subsaharienne non producteur de pétrole. Cette réussite doit beaucoup au dirigisme de l'État qui, à l'instar de nombreux pays asiatiques, a une forte implication dans l’économie. Des secteurs entiers demeurent dans son pré-carré direct, comme celui des télécommunications, ou protégés de toute pénétration étrangère comme la banque, l'assurance et la logistique. En outre, le pays reste éminemment agricole, ce secteur pesant 47% du PIB, 60% des exportations et 80% des emplois. Le café (l'arbuste serait d'ailleurs originaire du pays) représente à lui seul 10% du PIB et s’affiche comme le premier produit d’exportation. Mais l'Éthiopie est souvent touchée par la sécheresse qui occasionne des pénuries alimentaires. D'autant que l'agriculture reste peu mécanisée et n'utilise que peu d'engrais.

UN AMBITIEUX PROGRAMME D’INDUSTRIALISATION

À cette dépendance s'ajoute le fait que le pays est encore très peu industrialisé (12% du PIB). Aussi le gouvernement a-t-il élaboré un plan quinquennal pour la période 2010-2015, le Growth & Transformation Plan (GTP), particulièrement volontariste.
L’Éthiopie donne un caractère prioritaire à la modernisation de l’agriculture et au développement de l’agro-industrie afin d’accroître la productivité (le pays a un besoin criant de fertilisants), à l'augmentation des exportations et des productions de substitution aux importations, au développement du tissu industriel, à la modernisation et à l'extension des infrastructures (routes, chemin de fer, énergie, télécommunications). Point fondamental, il a été accordé un appui aux secteurs sociaux (le pays est au 174e rang sur 187 dans le classement de l’indicateur du développement humain avec une espérance de vie de 59 ans et un taux de scolarisation du secondaire de 38%). Le plan, très ambitieux, table sur une croissance de 11% à 14% contre une moyenne de 7,5% pour le FMI. L'antique Abyssinie pourrait atteindre le niveau de pays à revenu moyen en 2025, défini actuellement à 1 430 dollars par habitant par la Banque mondiale, alors qu’il se situe actuellement à 530 dollars.
Bien que la base industrielle de l’Éthiopie soit encore relativement étroite, les perspectives de croissance de ce secteur sont importantes grâce à de nouvelles industries comme le ciment, le textile et le cuir.
Prévu pour entrer en service l'année prochaine, le futur réseau urbain d'Addis-Abeba comprendra deux lignes (en partie aérienne) de 17 km chacune. Il est construit par le fabricant chinois CNR Corporation qui fournira 41 tramways. Le coût serait de 475 millions de dollars. - Jean-Michel Durand

Prévu pour entrer en service l'année prochaine, le futur réseau urbain d'Addis-Abeba comprendra deux lignes (en partie aérienne) de 17 km chacune. Il est construit par le fabricant chinois CNR Corporation qui fournira 41 tramways. Le coût serait de 475 millions de dollars. – Jean-Michel Durand

LA NOUVELLE USINE DU MONDE ?

16 août 2013. C'est par un communiqué laconique que le numéro deux mondial du prêt-à-porter, Hennes et Mauritz (H&M), a indiqué qu'il allait étendre son réseau de fournisseurs à l'Éthiopie, après avoir concentré 80% de sa production sur le continent asiatique. Cette arrivée fracassante est bien l'indicateur que le pays peut également apparaître sur la carte mondiale de l'industrie textile et du cuir. D'autant que d'autres opérateurs venus de Chine et de Turquie (2 000 entreprises sont venues d'Ankara et sont très actives dans le textile) ont déjà débarqué, attirées par les 72 millions de têtes de bétail (le cheptel le plus important d'Afrique, selon la FAO), une main d'œuvre abondante et peu chère. Car malgré une productivité encore faible, c'est surtout le coût des employés qui attire ces entreprises. On estime qu'un ouvrier éthiopien coûte dix fois moins cher qu'un Chinois ! Il y aurait aujourd'hui 40 000 salariés dans les secteurs du textile et du cuir.

UN BESOIN VITAL DE DEVISES FORTES

Les autorités ont été contraintes de mettre un mouchoir sur leur nationalisme et de faire appel à des investisseurs étrangers car le pays reste très dépendant des biens transformés et des équipements. Or, les échanges extérieurs du pays apparaissent depuis plusieurs années très déséquilibrés : 3 milliards de dollars d’exportations contre 10,7 milliards d’importations. Le déficit commercial, qui ressort à 7,5% du PIB, illustre la dépendance forte de l’économie éthiopienne. Quant à la balance des paiements/transferts courants, elle est déficitaire de 2,9 milliards de dollars. Plus grave, les réserves de change sont basses, inférieures à deux mois d’importations, soit 2 milliards de dollars, à comparer avec un requis minimum de trois mois et un optimum de six mois. À cela s'ajoute le fait que le birr (la monnaie locale) n'est pas convertible. Malgré tout, une bonne nouvelle : le pays conserve un faible risque de surendettement car l’augmentation de l’encours de la dette extérieure est passé de 21,6% du PIB en 2011/12 à 24,3% du PIB à la fin de l’exercice 2012/13.  

Depuis trois à quatre ans, la capitale Addis-Abeba vit une vraie frénésie dans l'immobilier. La diaspora éthiopienne, en particulier des États-Unis (selon le recensement américain de 2000, il y aurait 69 530 américano-éthiopiens) construit beaucoup d'immeubles d'habitation et de bureaux. - Jean-Michel Durand

Depuis trois à quatre ans, la capitale Addis-Abeba vit une vraie frénésie dans l'immobilier. La diaspora éthiopienne, en particulier des États-Unis (selon le recensement américain de 2000, il y aurait 69 530 américano-éthiopiens) construit beaucoup d'immeubles d'habitation et de bureaux. – Jean-Michel Durand

ÉTAPE CRUCIALE : INTÉGRER L'OMC

Le gouvernement se trouve aussi contraint d'ouvrir une partie de son économie s'il veut adhérer à l’Organisation mondiale du commerce (159 pays et 97% du commerce mondial). L’organisation escompte des modifications sensibles des politiques et des règles éthiopiennes relatives aux échanges de biens et services – le tout en faveur d’une plus grande facilité à l’échange -, l’acceptation du principe de libre exercice et de libre investissement pour tous les opérateurs et sans distinction d’origine. Cette intégration pourrait permettre au pays d'accroître sa compétitivité, d'augmenter son épargne domestique et de résoudre les problèmes rencontrés dans la chaîne logistique entre Djibouti et l’Éthiopie (le pays, avec l'indépendance de l’Érythrée, n'a plus d'accès à la mer et doit tout exporter par camions via Djibouti). Les secteurs concernés par cette ouverture, en sus du textile, seraient l’exploitation agricole, l’extraction minière et la fabrication de certains biens de consommation courante. On peut également imaginer que soient ouverts les télécoms (ventes de licences de « data centers » ou de paiement électronique, payement mobile, le M-payment) ou la logistique (contrat de gestion à un prestataire privé sur la ligne routière Djibouti-Addis-Abeba). Si la privatisation des actifs bancaires semble exclue, des négociations pourraient porter sur des bureaux de représentation, ce qui permettrait un bien meilleur accès au crédit.

L'Awash International Bank (AIB) est la première banque commerciale privée du pays. Elle compte 80 agences et 480 000 clients. Selon la Banque centrale de l'Éthiopie, il y a 18 banques privées et trois banques publiques dans le pays. - Jean-Michel Durand

L'Awash International Bank (AIB) est la première banque commerciale privée du pays. Elle compte 80 agences et 480 000 clients. Selon la Banque centrale de l'Éthiopie, il y a 18 banques privées et trois banques publiques dans le pays. – Jean-Michel Durand

Après l'historique barrage égyptien d'Assouan, le barrage de la Renaissance sera le premier barrage hydroélectrique d'Afrique et le dixième du monde en puissance. Ce projet fait l'objet de grands enjeux environnementaux et géopolitiques, en particulier avec l'Égypte qui craint pour son autorité sur la région et sur le Nil. - DRLE BARRAGE DE LA RENAISSANCE

Depuis avril 2011, l’Éthiopie s’est investie dans la construction du plus grand barrage hydraulique d’Afrique. Pièce maîtresse du « Growth & Transformation Plan », le barrage de la Renaissance devrait être achevé en 2017. Baptisé Project X, puis barrage du Millénaire, il devrait atteindre une production électrique de 6 000 megawatts et 40 gigawatts à l'horizon 2035. Les revenus de l'exportation d'électricité qui en résulteront sont estimés à 2 millions d'euros par jour, soit 730 millions d'euros par an. Le barrage de la Renaissance revêt aussi une forte dimension symbolique. Alors que les bailleurs de fonds traditionnels se montraient réticents, Addis-Abeba a lancé une vaste contribution publique pour l'autofinancer. Le salaire des fonctionnaires a été directement ponctionné et des millions de citoyens ont acheté des bons ou fait des donations…

 

LE FÉDÉRALISME DE L'ÉTHIOPIE

Alors que la question ethnique cristallise d'énormes enjeux et débats en Afrique, l'Éthiopie a fait un choix original pour gérer cette question. Elle expérimente un fédéralisme ethnique, plus précisément linguistique, en rupture complète avec sa propre et longue tradition centralisatrice à la fois impériale et socialiste. Il s'agissait pour les nouvelles autorités de « corriger les déséquilibres ethnorégionaux ». Ce principe est inscrit dans la constitution adoptée par référendum en 1994. L'Éthiopie comprend donc neuf États fédérés. En plus, deux villes disposent d’un statut particulier : Addis-Abeba (la capitale) et Dire Dawa. Autre originalité : selon la Constitution, un État peut librement et, suivant un certain nombre de dispositions, quitter la fédération.

 

LE NIL : UNE ÉPINE DANS LES RELATIONS AVEC L’ÉGYPTE

L’Éthiopie retrouve peu à peu sa puissance régionale et elle ambitionne, grâce à ses immenses possibilités hydroélectriques de devenir le fournisseur d’électricité régional et de la péninsule arabique. Les intérêts de l’Egypte sont totalement opposés puisqu’il va lui falloir encore plus d’eau pour pouvoir mettre en valeur de nouveaux espaces afin de pouvoir nourrir sa population. L’Egypte est en effet dans une véritable impasse démographique. Avec un indice de fécondité de 3,1 par femme et un taux de croissance naturelle de 18,5 pour 1 000, la population égyptienne est passée de 23 millions d’habitants en 1955 à 40 millions en 1981, lors de l’accession au pouvoir d’Hosni Moubarak, et à plus de 80 millions aujourd’hui. Cette masse humaine est concentrée sur quelques dizaines de milliers de kilomètres carrés le long du Nil et l’accroissement de la population fait que l’urbanisation empiète sur les terres arables.

Bernard Lugan