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La Réunion doit choisir ses nouveaux relais de croissance

Avec un taux de croissance estimé à 0,6% pour 2013, l’encéphalogramme reste plat pour l’économie réunionnaise. Et même s’il fait mieux que la France métropolitaine, le département d’Outre-mer ne peut s’en contenter au vu de sa pression démographique.

« Pour moi, la baisse des importations de biens de consommation n’est pas forcément une mauvaise chose. » Dominique Vienne, président de la CGPME (Confédération générale des petites et moyennes entreprises), est un partisan de la « valeur-substitution ». Frédéric Lorion, responsable de l’Observatoire de Nexa, l’agence de développement, confirme que les recettes d’octroi de mer ont baissé d’environ 3% en 2013. Le problème, c’est qu’on constate aussi une baisse de l’investissement productif. Le taux de croissance du Produit intérieur brut (PIB) de La Réunion devrait s’établir à + 0,6% en 2013, un peu moins qu’en 2012 où il atteignait + 0,7%. L’île est sortie de la récession qui l’avait frappée en 2009, avec un recul de – 2,7%, résultat d’une combinaison de la crise financière et de la chute des investissements dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP). Mais ça reste très insuffisant face à une croissance démographique de 1,2%. Quoi qu’il en soit, les entreprises réunionnaises se montrent dynamiques et Bérangère Duplouy, responsable des comptes à l’Insee, souligne qu’elles dégagent, pour le secteur marchand (hors agriculture, banques et assurances), près de six milliards d’euros de valeur ajoutée pour une chiffre d’affaires de 24 milliards d’euros. Les activités de commerce et d’agroalimentaire font mieux qu’en France métropolitaine. Des chiffres qui remontent cependant à 2010. Du côté de Nexa, on regrette de ne pas disposer d’indicateurs plus près de l’actualité. Des critiques excessives, selon David Perrain, chargé d’études à l’IEDOM (Institut d’émission des départements d’Outre-mer), qui souligne que le PIB est annoncé après six mois. « L’idée n’est pas de dire qu’on fera mieux que l’Insee ou l’IEDOM. Mais on souhaite dégager des tendances », précise Gaston Bigey, directeur de Nexa. Quoi qu’il en soit, tout le monde s’accorde à dire que l’économie réunionnaise stagne. Ce qui, pour certaines entreprises, signifie des difficultés. « On enregistre quatre dépôts de bilan par semaine », rappelle Maurice Cérisola, président de « La Réunion économique », association qui regroupe une grande partie du secteur privé dont le MEDEF, mais pas encore la CGPME.

 

UN MANQUE DE VISION COLLECTIVE

 

« Le gros problème, c’est qu’on ne voit pas de stratégie claire », regrette François Mandroux, directeur du groupe de communication Master et vice-président du Club Export. Nathalie Bourcier, directrice de l’agence de communication 21°Sud, spécialisée dans le développement durable et l’institutionnel, va dans le même sens. « Il y a des choses qui se font et même de profondes innovations comme le couplage de ferme photovoltaïque avec de l’agriculture bio. Mais notre travail avec des aménageurs montre un manque de vision globale. »

« Il faut définir un projet commun autour duquel on peut rassembler au-delà de tous les clivages », appuie Jean-Marc Laurent, directeur général adjoint de la Cinor (Communauté intercommunale du nord). Et pourtant, ça bouillonne, souligne Maurice Cérisola. « Il y a des tas de projets. » Ce qui manque finalement, c’est une vision inspirée collective, comme le remarque Dominique Vienne. « Les discussions entre patrons et salariés sans intervention de l’État, c’est une preuve de maturité… Le dossier « futur de La Réunion », concocté par des technocrates, n’est pas suffisant. »

 

DES OPPORTUNITÉS À SAISIR

 

Jonathan Gravier, directeur associé de l’entreprise Silicon Village, élargit le débat en faisant remarquer que « La Réunion se trouve en compétition avec le monde entier, mais que cela représente aussi une opportunité d’ouverture ». Le commerce électronique représente justement un potentiel à développer et Silicon Village vient de travailler à la réalisation de Avahis.com, la première place de marché en ligne de l’océan Indien. Une base de données d’une capacité de 100 000 fiches produit, à la disposition des e-commerçants réunionnais. Et un moyen de réaliser justement de la « valeur-substitution ». « Il y a 10 000 colis qui arrivent chaque jour à La Réunion – un chiffre d’affaires annuel estimé à 280 millions d’euros – et 80% de ces biens sont disponibles localement, explique Shanti Meralli-Ballou, Pdg de Silicon Village. Mais nous avons six ou sept de retard sur la Métropole. » Un relais de croissance à exploiter. Autre relais, la marche vers l’autosuffisance alimentaire qui est en bonne voie, souligne Maurice Cérisola. Gaston Bigey en profite pour rappeler que l’Union européenne exige désormais une « spécialisation intelligente » qui conditionne ses financements. Et tout ce qui touche au développement durable ne peut que lui plaire. « L’économie circulaire – pour la question des déchets – est une piste importante et je pense que c’est une hérésie de vouloir faire un incinérateur à La Réunion. Le commissaire européen Johannes Hahn a clairement fait entendre que si nous nous engagions dans cette démarche de l’économie circulaire, nous pourrions disposer de plus de moyens qu’aujourd’hui. »

 

L’HEURE DES CHOIX INTELLIGENTS… ET DE L’ACTION

 

Globalement, il faut faire des choix de relais de croissance, cette fameuse « spécialisation intelligente ». Les Canaries, par exemple, qui sont une Région ultrapériphérique (RUP) de l’Union européenne à l’instar de La Réunion, sont devenues un acteur mondial important en électrotechnique.

Nul doute qu’il existe aussi des verrous et des monopoles à faire sauter, comme bien souvent sur un petit marché insulaire qui ressemble encore trop à une économie de comptoir. Shanti Meralli-Ballou rappelle à ce sujet son impossibilité de faire émerger un projet de recyclage d’huiles usagées en vue de produire du carburant. « Il y a des personnes qui n’ont pas forcément intérêt à ce que les choses bougent. »

Dominique Vienne en revient à son idée de valeur-substitution et à la nécessité de définir ce qu’est une « entreprise du territoire », comme d’autres régions françaises l’ont fait. Jonathan Gravier en profite pour rappeler que le moteur reste l’entrepreneuriat dont l’esprit ne souffle pas encore assez parmi les jeunes Réunionnais. « Il y a de bonnes idées, mais un déficit interne de clairvoyance. Il faut accompagner les porteurs de projets et améliorer leur niveau. » Michèle Goettmann, directrice de la banque d’affaires à la Caisse d’Épargne, en profite pour signaler que les banques s’impliquent aussi dans les nouveaux projets. « Nous sommes prêts à prendre des risques, à condition que les chefs d’entreprise en prennent également. Les risques ne peuvent pas être pris seulement par le banquier. »

Au final, personne ne semble tomber dans la sinistrose. Bien au contraire, la situation difficile que traverse l’île oblige à réfléchir à un nouveau modèle puisque l’ancien ne fonctionne plus vraiment. Pour cela, La Réunion a la chance de pouvoir compter sur le soutien financier de l’Union européenne. À condition d’indiquer des choix clairs et de parler d’une même voix. Il n’y a plus de temps à perdre.