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Océan Indien

La Réunion, nation sans état et Maurice, état sans nation

La formule en titre de cet éditorial est de notre collaborateur Jean-Michel Durand qui, dans une autre vie, a enseigné la science politique à l’université de Maurice. Elle demeure pertinente car, au moment où Maurice vient de fêter ses 50 ans d’indépendance, une étude vient montrer que le sentiment d’identité nationale dans la population ne supplante toujours pas celui d’« identité ethnique ». Ce dernier terme est d’ailleurs impropre puisqu’il vaudrait mieux parler d’identité communautaire. Le métissage est plus fréquent qu’on ne croit, même s’il est souvent nié ou laissé de côté. Et c’est souvent l’appartenance religieuse qui permet de s’identifier. Le sujet reste très sensible et le dernier recensement où la question de l’identité ethnique et religieuse a été posée de façon implicite remonte à 1972. 

Les beaux jours du communautarisme

L’enquête à laquelle je fais allusion, elle, a été menée en octobre 2017 par le cabinet StraConsult pour Afrobaromètre, un réseau africain de recherches et sondages d’opinion publique sur la démocratie. Sur les 1 200 Mauriciens représentatifs de la population adulte qui ont été interrogés, 63 % considèrent que leur identité nationale et leur identité ethnique se situent au même niveau d’importance. Ils sont 18 % à se sentir « seulement mauriciens » et 6 % à s’identifier d’abord comme mauriciens. Mais a contrario, 4 % s’identifient seulement par rapport à une communauté et 4 % font passer leur identité ethnique avant leur identité nationale. Au total, cela signifie que pour 71 % de la population, l’appartenance ethnique est au moins aussi importante que l’appartenance nationale. Près de trois sur quatre. Et il faut souligner qu’il n’y a pas de différence notable selon les groupes d’âge. Ce qui remet en cause l’idée selon laquelle les nouvelles générations seraient moins communautaristes que les anciennes. On peut même se demander si l’on n’a pas régressé, les principaux partis politiques ayant fait, depuis l’indépendance, leur lit dans le communautarisme. Bien loin le temps où un Blanc comme Malcolm de Chazal était l’un des candidats du parti travailliste. C’était en 1959 à Rose-Hill. Depuis, les partis politiques tiennent pour évident qu’il faut absolument présenter un candidat hindou dans une circonscription à dominante hindoue, un Musulman dans une circonscription musulmane et un Créole dans une circonscription créole. Seules de très rares exceptions viennent confirmer cette règle informelle qui ne fait qu’entretenir le communautarisme. 
Quoi qu’il en soit, si le sentiment d’appartenance communautaire demeure fort, il ne se traduit pas par un engagement actif. Selon l’enquête de StraConsult, seuls 23 % des Mauriciens s’impliquent dans un groupe religieux (au-delà de la pratique habituelle) et 17 % dans une association communautaire. Une faiblesse du militantisme qui explique sans doute, pour une bonne part, l’absence de conflits violents. 

Tous créoles

En conclusion, la nation mauricienne serait encore à construire et Maurice serait un « État sans nation » ? Pas si simple puisque, à l’extérieur de Maurice, les Mauriciens s’identifient avant tout comme mauriciens. Mauriciens dehors et membre de telle ou telle communauté dedans ! Un paradoxe pas si surprenant et qu’on doit retrouver dans bon nombre de pays africains où les tensions ethniques sont bien réelles. Mais ces pays n’ont histori-quement rien à voir avec Maurice, terre non peuplée à l’origine et où la population est par définition créole. Quand je dis créole, je me réfère évidemment au sens du mot français définissant ceux qui sont nés dans les îles à plantation et, en premier lieu, les colons. Comme chacun sait, les Mauriciens ont changé le sens du mot créole, sans en avertir l’Académie française, et ne l’utilisent que pour définir une partie de la population. Le sens originel du mot a été conservé à La Réunion où tous les Réunionnais se considèrent comme créoles, les deux mots étant synonymes, ce qui évite les divisions identitaires. Même si une autre question se pose : celle du positionnement par rapport à la France. Mais s’il est clair qu’il n’y a pas d’État réunionnais, il est tout aussi clair qu’il y a une nation réunionnaise (*).

(*) Certains contesteront ce terme de nation. Pourtant, le Larousse nous dit bien que c’est « l’ensemble des êtres humains vivant dans un même territoire, ayant une communauté d’origine, d’his-toire, de culture, de traditions, parfois de langue, et constituant une communauté politique ». Beaucoup plus ancien, le Littré parle d’une « réunion d’hommes habitant un même territoire, soumis ou non à un même gouvernement, ayant depuis longtemps des intérêts assez communs pour qu’on les regarde comme appartenant à la même race ».