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La Réunion terre d’images et de tournages : L’éductour 2018 cultive l’authenticité

Organisé par la Région Réunion, l’agence de développement Nexa, l’Agence Film Réunion (AFR) et Ile de La Réunion Tourisme (IRT), l’éductour a pris encore de la consistance avec cette cinquième édition. De quoi séduire quinze producteurs et réalisateurs venus de France métropolitaine, de Belgique, d’Allemagne, d’Afrique du sud et de Chine.

Démarrage tout en finesse pour la cinquième édition de La Réunion, terre d’images et de tournages, le dispositif de promotion du cinéma et d’aide à la création d’œuvres audio-visuelles. L’éductour 2018 a réuni le dimanche 30 septembre les producteurs et réalisateurs au restaurant Le Zinzin, à Grand-Bois. Cette soirée d’ouverture a permis aux invités de goûter à l’authenticité réunionnaise dans toute sa saveur. Gilbert Pounia, le leader du groupe légendaire Ziskakan et patron des lieux, sa compagne la conteuse Annie Grondin et leur fille, la chanteuse Maya Kamaty, ont tour à tour montré toute l’étendue et la richesse du patrimoine culturel réunionnais. Pendant plus d’une heure, ils ont décliné, sur tous les tons – humoristique, mélancolique, énergique – quelques épisodes des plus belles histoires de La Réunion, ce bato fou né de la « violence de l’oppression » et qui célèbre aujourd’hui le métissage dans toute sa splendeur. Gilbert Pounia n’a d’ailleurs pas raté l’occasion de lancer un appel aux producteurs pour qu’ils intègrent plus de ce savoir-faire et du mode de vie local dans leurs productions. 

Valoriser le patrimoine et l’art de vivre

« Depuis cinq ans, nous nous efforçons de remettre les professionnels de la filière locale dans leur champ d’activité et de permettre aux auteurs de percer », indique Edy Payet, délégué général de l’Agence Film Réunion (AFR), cheville ouvrière des éductours avec Nexa, l’Agence régionale de développement, d’investissement et d’innovation et Ile de La Réunion Tourisme (IRT). Cette initiative est née de la volonté de la Région Réunion d’ouvrir l’île au monde du cinéma en lançant, en 2011, le label La Réunion terre d’images et de tournages, destiné à y attirer des producteurs et développer la filière audio-visuelle et cinématographique. Parallèlement, tout un dispositif d’aides à la création a été mis en place (lire notre encadré à ce sujet). 
Après cinq ans, les organisateurs veulent passer à la vitesse supérieure, élargir la palette, en valorisant toute la richesse du patrimoine culturel et l’art de vivre « péi ». Ainsi, en 2019, les productions seront fortement encouragées à intégrer de la musique locale dans leurs films à travers des « points de bonification » accordés dans les mécanismes de financement. « Il fallait exister d’abord avant de mettre en avant les spécificités réunionnaises », insiste, pour sa part, Gaston Bigey, directeur général de Nexa. 
Comme leurs confrères les années précédentes, les producteurs et réalisateurs invités à l’éductour 2018 sont venus pour découvrir le potentiel des sites naturels de La Réunion comme lieux de tournage, se familiariser avec les dispositifs d’aides régionales et faire la connaissance des professionnels et créateurs locaux. Et comme précédemment, quelques liens se sont vite créés devant aboutir à des projets concrets, notamment celui de Stéphane Robelin qui a réalisé Et si on vivait tous ensemble, avec Jane Fonda, Géraldine Chaplin, Pierre Richard et Un profil pour deux, toujours avec Pierre Richard, sorti en 2017. « Les conditions ici sont parfaites pour tourner un film », confirme le réalisateur français. Et il n’est pas le seul à apprécier les spécificités de La Réunion puisque, depuis 2013, plusieurs projets de films se sont concrétisés à l’issue des éductours. 

On est passé à la vitesse supérieure

Première moisson il y a quatre ans avec Allées Coco, produit par Julie Lafore qui avait participé au premier éductour. En 2015, le producteur sud-africain Jeremy Nathan a produit deux films, celui du jeune réalisateur réunionnais DK Pit, Max Paradise, et Sweet Black Water, avec la société locale Lithops Films, première coproduction entre La Réunion et l’Afrique du Sud. À partir de 2016, les choses se sont accé-lérées. Cette année-là, lorsque le producteur Philippe Pujo découvre La Réunion, il convainc la réalisatrice Eloïse Lang de venir y tourner le long métrage Larguées, avec Miou Miou. Le film se fait en 2017 et sort sur les écrans en 2018. En 2017, le producteur Cyrille Perez et Beatrice Nivois, directrice de l’unité documentaire de France O, décident, lors de l’éductour, de tourner à Cilaos l’un des neuf documentaires de la série Nous, paysans d’Outre-mer. La même année, la Sud-africaine Sara Blecher coproduit le documentaire Carton rouge avec la société réunionnaise En Quête Prod.
Parallèlement, les films d’animation Adama (2015), Zombillénium (2017) et en 2018 Funan ont bénéficié des dispositifs d’aides à la création mis en place sous le label La Réunion, terre d’images et de tournages. De plus, Arnaud Boulard, un habitué des films d’animation qui a géré la production d’Adama et co-produit Zombillenium, s’est associé à l’Américain Dan Saint-Pierre pour produire Beiing Safari. Forte de toutes ces initiatives récurrentes, la filière devient un véritable levier au sein de l’économie réunionnaise. La Réunion a désormais une visibilité à l’international, le savoir-faire de ses professionnels de l’audiovisuel est reconnu. L’éductour suscite un grand intérêt auprès des professionnels du monde du cinéma et de nombreux participants des années précédentes reviennent pour des repérages ou pour développer des projets. L’opération est surtout un moment privilégié pour mettre en lien les producteurs et la filière locale. Ainsi, le 3 octobre, une vingtaine d’auteurs, réalisateurs et producteurs réunionnais avaient rendez-vous au Mercure Créolia avec les invités de l’éductour 2018 pour des rencontres B to B. Yannick Marry, qui a réalisé en 2015 et 2016 deux documentaires et des clips, a aujourd’hui un projet de documentaire sur des personnes atteintes de schizophrénie à La Réunion. « Ils m’ont écouté, on verra bien », avance le réalisateur, prudent mais déterminé.

De plus en plus de projets

Julie Jouve, qui a réalisé Tangente, fiction de 26 mn, projeté en avant-première à la Quinzaine des Réalisateurs 2017 et sélectionné pour le César du Meilleur Court-Métrage 2018, développe aujourd’hui son premier scénario. Intitulé Kwassa Kwassa, écrit et primé en 2015, elle veut en faire un long métrage et réfléchit à une version longue de Tangente. « Les rencontres ont été très intenses et très intéressantes. Il y a eu des manifestations d’intérêt », lâche-t-elle, sans plus de détails. Julie Jouve a longuement dialogué avec les producteurs présents, tout comme Fred Eyriey de Lithops Films, qui a enchaîné lui aussi les rencontres. Ce producteur réunionnais organise depuis vingt ans des tournages à La Réunion et dans l’océan Indien. Outre Sweet Black Water, coproduit en 2013, il a travaillé sur Lonbraz Kann, long métrage mauricien, sur la série In America, pour le téléfilm Une famille formidable et le long métrage Papa ou maman 2.
« Soit ça accroche tout de suite, soit on en sort avec des conseils », commente Christophe Hamon, un autre professionnel local qui a réalisé, depuis 2012, plusieurs courts métrages et documentaires. Son projet actuel a reçu l’aide à l’écriture de la Région Réunion, c’est une adaptation de la BD Un marron qui raconte l’histoire de Caf Labou, esclave malgache, poursuivi par des chasseurs sur une île co-loniale. La comédienne Morgane Chavot a, elle aussi, bénéficié des « conseils » des producteurs pour l’élaboration de son projet, un do-cumentaire de fiction qui mettra en avant les richesses de La Réunion. Tous ces projets sont éligibles au financement proposé par la Région. Et comme le financement reste le nerf de la guerre de l’industrie ciné-matographique, il avait fait l’objet d’une conférence la veille, le 2 octobre, à l’hôtel Saint Alexis, à Boucan Canot. Organisée en présence des quinze invités et d’une trentaine de professionnels locaux, cette conférence était axée sur les dispositifs d’aides régionales du secteur audiovisuel. 
Pour Valérie Lépine, directrice générale de la commission nationale de Film France, le réseau national du film français dont fait partie de l’AFR, « La Réunion est vraiment un fleuron ». La représentante de Film France a profité de la conférence pour mettre en avant tous les avantages que proposent l’Hexagone et les DOM-TOM : 15 000 lieux de tournage, des fonds nationaux et régionaux, des crédits d’impôts et un savoir-faire de haut niveau. Le dispositif est complexe et complet.
Des images plein les yeux et des idées plein la tête Pour Xavier Rigault, producteur et président de l’Union des producteurs de cinéma (UPC), qui est lui aussi intervenu à la conférence, La Réunion présente des atouts particuliers. « L’océan Indien et La Réunion sont au centre d’un système international diversifié où les producteurs ont le choix entre des aides à la française et d’autres types d’aides. Pour les producteurs français, il s’agit de se bouger et de se tourner vers l’international », insiste le président de l’UPC. 
« Pour nous, il s’agit surtout de mettre en avant la compétitivité de La Réunion », souligne pour sa part Gaston Bigey. Et c’est aussi l’objectif de l’éductour : inciter les producteurs à bouger et à venir tourner à des milliers de kilomètres des lieux de tournage habituels. Même si La Réunion est un peu éloignée, comme le reconnaît Raphaël Benoliel, coproducteur chez Firstep. « Dans un tel schéma, il faut privilégier les coproductions », affirme-t-il.
Mais il n’a pas seulement été question d’argent, lors de l’éductour 2018. Septième art oblige, le programme a été enrichi par la projection de trois films. D’abord, le 2 octobre, Baba Sifon, court-métrage du Réunionnais Laurent Pantaléon, qui a déjà réalisé La face cachée du Père Noël, sélectionné au Fespaco, le plus grand festival d’Afrique et du monde arabe. Attaché à l’identité et au patrimoine réunionnais, Laurent Pantaléon met en scène Érick, un père divorcé qui traverse La Réunion en stop pour ramener à sa fille de six ans son doudou avant que la nuit ne tombe…  Le film a pu se faire grâce aux contacts pris, à travers le réseau Film France, avec la productrice Céline Farmachi. Également projeté le 2 octobre, Funan, film d’animation de Denis Do, coproduit par Arnaud Boulard, a reçu le Cristal du long-métrage à Annecy. Il raconte le combat d’une jeune mère et de son mari durant la révolution Khmère rouge pour retrouver leur fils de 4 ans, récit très proche de l’histoire familiale du réalisateur. Le troisième film, projeté le 3 octobre, est l’œuvre d’un des invités à l’éductour 2018 : Radu Mihai-leanu. L’histoire de l’amour raconte le parcours de Léo, qui aimait Alma et lui a promis de la faire rire toute sa vie. Il fait tout pour tenir sa promesse, de la Pologne des années 30 au New York d’aujourd’hui. Entre les rencontres, les conférences et les séances de networking, les quinze participants à l’éductour ont aussi pu apprécier toute l’étendue de la beauté réunionnaise à l’état brut. Avec un groupe plus restreint qu’en 2017, mais aussi plus homogène et plus flexible, les visites, étalées sur une semaine, depuis la soirée du 30 septembre à Grand Bois jusqu’à la matinée du 6 octobre à Hell-Bourg, ont pu s’en-chaîner à un bon rythme. Le volcan, la Plaine des Sables, la Plaine des Cafres, puis Grande Anse et la Cascade Langevin, ainsi que la Cap La Houssaye et sa savane pour terminer par une croisière au large de la côte ouest…
Les producteurs et réalisateurs ont aussi pu découvrir la diversité culturelle et goûter à la qualité des structures d’accueil avec une visite de temples, des haltes à l’auberge La Cayenne et à l’établissement L’Arrangé à Hell-Bourg et une nuit au Diana Dea Lodge, entre autres. Au final, ils sont repartis avec des images plein les yeux et des idées plein la tête. Et surtout, avec l’envie de revenir… 

La Réunion des cinémas en chiffres
Le cinéma réunionnais, c’est 38 millions d’euros de chiffre d’affaires (2015). C’est aussi 173 entreprises aujourd’hui, contre 141 en 2009, et 941 salariés. Les aides à la production, à La Réunion, se sont montées à 79 millions d’euros en 2017, comparé à 46 millions d’euros en 2016. Ce qui veut dire qu’il y a eu plus de longs métrages, plus de documentaires, plus de séries et plus de films d’animation qui ont été tournés et produits dans l’île. La Réunion c’est aussi 17 festivals du cinéma chaque année et 13 cinémas, l’un des plus forts taux de France. En résumé, c’est la troisième région de France pour la promotion et le développement de la création cinématographique, après l’Île de France et la région Rhône-Alpes.
Un dispositif d’aides bien rodé
Le dispositif d’aides à la création audiovisuelle mis en place par la Région Réunion s’adresse à des projets d’écriture, de développement ou de production, ainsi qu’aux maquettes et aux projets multimédias. Il vise « les sociétés de production ayant déjà une expérience de la production télévisuelle ou cinématographique et produisant un ou des auteurs ressortissants de La Réunion, ou dont le projet mettra particulièrement en valeur La Réunion ou La Réunion dans l’océan Indien ». Cela concerne les long-métrages de fiction ou les courts métrages, les films d’animation, les séries de fiction, les documentaires de création, courts ou longs, ainsi que la production de CD/DVD, bornes interactives de sites internet et d’installations scéniques interactives. 
L’aide publique maximale peut représenter, selon les cas, de 40 % à 50 % des dépenses locales. Avec cependant des plafonds, qui peuvent aller jusqu’à 300 000 euros pour un long métrage de fiction en prise de vue réelle ou en animation. Pour les séries, l’aide est limitée à deux fois le plafond unitaire par an et dans la limite de quatre saisons, sauf demande exceptionnelle justifiée (tournage en bloc de quatre épisodes ou plus, feuilleton récurrent sur deux années ou plus).