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Océan Indien

« L’arrivée de nouveaux joueurs a bouleversé l’équilibre géostratégique de la région »

L’océan Indien se situe à l’avant-scène du contexte géopolitique et géostratégique mondial. Le géographe canadien Christian Bouchard présente ces enjeux et les bouleversements que connaît la région.

L'Eco austral : Spécialiste de l’océan Indien et tout particulièrement des petites îles, quelle définition donnez-vous à ce concept ?

Christian Bouchard : Il existe de multiples définitions. Certains chercheurs estiment que passer un million d'habitants, on ne parle plus de petite île, d'autres considèrent que c'est au-delà de 10 000 kilomètres carrés. Quant à moi, j'ai proposé l’acronyme PETI pour Petits États et territoires insulaires. Cette définition inclut tous les petits espaces insulaires, États et territoires, loin ou près des côtes, uni-insulaires ou pluri-insulaires, peuplés ou non, et de tailles fort variées. Comme vous le constatez, il n'y a pas encore de définition définitive tant les situations sont complexes.

Vous évoquez la complexité de notre région, n'est-elle pas le nouvel enjeu de grandes et moyennes puissances ?

L'océan Indien, c'est un tiers de l’humanité, 70% du trafic pétrolier mondial et la moitié du fret commercial. - Stocklib/Martine Oger

Entre 2005 et 2008, votre région a connu un changement géostratégique important avec la crise de la piraterie maritime en Somalie. En réaction, on a vu l'arrivée de nouveaux joueurs qui ont bouleversé l'équilibre dans cet océan. Les Indiens sont probablement en ce moment les plus actifs. Ils considèrent cet océan comme leur Méditerranée. Quant aux Américains, ils ont augmenté leur présence à partir des Seychelles. La France a une présence historique dans cette région. Mais l'événement majeur est l'arrivée des Chinois. Déjà très présents dans l'économie et la diplomatie, ils ont depuis 2008 des navires présents en permanence dans l'océan Indien. Ils y effectuent des opérations contre la piraterie maritime mais également sanitaires avec des bateaux-hôpitaux ou d'aide technique. Ainsi, ils se trouvent aux Maldives pour aider dans la crise de l'eau. Ils ont aussi participé très activement aux recherches du vol de la Malaysia Airlines disparu en mars 2014. Preuve de l'intérêt de Pékin : des sous-marins ont été déployés l'an dernier dans le grand, voire le très grand, océan Indien.

Justement, on parle plus de rivalité que de complémentarité entre nos différents territoires. Comment la géostratégie peut-elle permettre d'identifier et surtout de développer des axes de coopération entre nos îles ?

L’une des définitions de la géostratégie est l'art de se positionner ou d'occuper un territoire. Quand on occupe cet espace, on empêche d'autres joueurs de s'installer. Vu sous cet angle, on pourrait penser que les militaires ne participent pas beaucoup à la coopération régionale. Pourtant, ce n'est pas le cas et en particulier dans le sud-ouest de l'océan Indien. Par exemple, traditionnellement, la France, avec ses FAZSOI (Forces armées de la zone sud de l'océan Indien), est extrêmement active dans la coopération régionale. Elle a des relations avec tous les pays de la région, y compris le Mozambique et même la Tanzanie. Les Indiens, eux, ont signé des accords de coopération militaire et même des accords de sécurité avec Maurice et les Seychelles.

La question est de savoir comment ces différentes puissances qui s'intéressent aux mêmes îles peuvent cohabiter sur ces territoires ?

Les Seychelles ont vu l'arrivée des Américains et des Européens avec l'opération Atalante. Elles ont offert leurs services pour accueillir des navires chinois. Et Moscou a demandé à accoster à Victoria. Quant aux Indiens, ils ont renforcé leur présence, notamment dans la Zone économique exclusive des Seychelles.
 

Mahé se trouve donc au centre du jeu. Tous les principaux acteurs ont convergé vers ce même archipel. - Peter Hermes Furian@Stocklib
Mahé se trouve donc au centre du jeu. 

Tous les principaux acteurs ont convergé vers ce même archipel. Et il y a encore un flou car on peut difficilement imaginer que leurs relations soient égalitaires, en particulier sur le plan militaire où ils sont tous des concurrents. Malgré tout, il existe aussi des voies de collaboration. La lutte contre la piraterie étant un excellent exemple. Toutes les marines présentes ont participé à des exercices conjoints pour la communauté internationale.

Nos îles sont très vulnérables au changement climatique et cela a des conséquences sur leur sécurité alimentaire et énergétique. Quel est votre point de vue ?

Effectivement, si l’on peut estimer que la zone de l'océan Indien est un espace qui émerge sur plan stratégique, c'est aussi une région qui a d'énormes besoins sur le plan de la sécurité alimentaire et énergétique. Ce sont des axes qui sont déjà exploités, la COI est même un excellent exemple de coopération à l'échelle micro-régionale. Dans le futur, ces questions vont toucher l'ensemble des États qui ne peuvent pas seuls y faire face. Et là, je pense que les petites îles de l'océan Indien sont sur la bonne voie. Car elles ont, depuis les années 90, bien mis en avant leurs spécificités à l'échelle internationale. Non seulement les structures sont déjà mises en place, mais elles vont dans la bonne direction.

 

Christian Bouchard

Ce docteur en géographie et professeur agrégé de l'université Laurentienne (Ontario) est un spécialiste de l’océan Indien. Ses recherches portent sur les questions de développement dans les petits États et territoires insulaires (PETI), sur la géopolitique de l’espace indianocéanique et les enjeux liés au changement climatique et à la hausse du niveau marin. Il a participé à de nombreuses conférences internationales, dont les quatre premières conférences de l’Indian Ocean Research Group (IORG), ainsi qu'à des conférences à La Réunion.