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Abdéali Goulamaly (à gauche), visionnaire qui, dès 2011, avait lancé l’idée d’un câble indépendant, et Xavier Hermesse, directeur général de Zeop.
Océan Indien

Le câble METISS vingt-quatre fois plus puissant que les câbles actuels

C’est un vieux rêve de visionnaires comme Raj Mohabeer, chargé de mission à la COI, et Abdéali Goulamaly, président du groupe réunionnnais Océinde, qui se réalise actuellement avec l’installation du câble sous-marin METISS. Ce câble de 3 000 km va relier Maurice, La Réunion et Madagascar au hub de Durban, en Afrique du Sud, en apportant de la sécurité et de la performance. Et l’on parle déjà d’un METISS 2 pour relier nos îles à l’Asie.

Le 2 juin à Fort-Dauphin, à Madagascar, puis le 14 juin au Goulet (au nord de Port-Louis), à Maurice, et enfin, le 19 juin au Port, à La Réunion. Trois étapes, trois événements dans l’installation du câble METISS qui signifie MEltingpoT Indianoceanic Submarine System. Un consortium composé de six opérateurs télécoms : Emtel et CEB Fiber- Net à Maurice, Canal+, SFR et Zeop à La Réunion, Telma à Madagascar. Sa présidence est tournante et c'est actuellement Xavier Hermesse, directeur général de Zeop, qui préside. 
Le câblier Teliri, battant pavillon italien, a assuré les trois « atterrissages » de cette fibre optique d'une capacité de 24 térabits/ sec (*), à comparer avec les câbles LION 1, 2 et 3 de 1,3 térabit et le câble « historique » SAFE de… 0,13 térabit ! Ce nouveau câble a été fabriqué par Alcatel Submarine Network (ASN) à Calais. METISS va connecter nos îles avec l'Afrique du Sud qui est ellemême connectée par câble très haut-débit, d'un côté à l'Amérique du Sud (et par ricochet à l'Amérique du Nord) et de l'autre côté à l'Europe. La pose du câble METISS représente cinq ans de travaux et un investissement de 50 millions d’euros (intégralement porté par les six investisseurs privés), pour une durée de vie estimée à 30 ans. Grâce à cet investissement, nos îles vont « briller » un peu plus sur la carte du monde, où les routes numériques ont maintenant autant d'importance que les routes maritimes. 

 

Abdéali Goulamaly (à gauche), visionnaire qui, dès 2011, avait lancé l’idée d’un câble indépendant, et Xavier Hermesse, directeur général de Zeop.
Abdéali Goulamaly (à gauche), visionnaire qui, dès 2011, avait lancé l’idée d’un câble indépendant, et Xavier Hermesse, directeur général de Zeop.  Photo : Guillaume Foulon
 

Sécuriser le réseau 

Si le premier des GAFA, Google, a ses bureaux africains et tous les services s'y rapportant en Afrique du Sud, c'est justement parce que ce pays est le mieux relié d'Afrique aux autoroutes de l'Internet. En fait, Google a également des bureaux secondaires à Nairobi (Kenya), Accra (Ghana), Dakar (Sénégal) et Kampala (Ouganda), également bien reliés, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle les câbles Lion 1, 2 et 3 nous relient au Kenya. 
Rappelons également que Madagascar est déjà reliée à l'Afrique du Sud par le câble EASSY (East African Submarine Cable System) où Telma est partie prenante au sein d'un vaste consortium. 
METISS va sécuriser notre réseau, nous permettre d'échanger de plus gros fichiers (vidéos HD et télé 4K) à l'autre bout de la planète, mais va surtout être beaucoup plus rapide (« ping » divisé par 4), ce qui est vital pour l'emporter sur un adversaire dans un jeu en ligne, mais aussi pour acheter des actions dès l'ouverture de la bourse, ou piloter une machine-outil à distance. Avec METISS s'ouvrent donc de nouvelles perspectives de développer des activités économiques dans nos îles. 
METISS sera opérationnel au dernier trimestre 2020. Ensuite,  le consortium va se lancer dans un autre projet : relier les îles de l'océan Indien à l'Asie avec le câble METISS 2. 
METISS, c’est aussi la réalisation d’un rêve porté par des visionnaires depuis de longues années. On peut citer le Mauricien Raj Mohabeer, chargé de mission à la Commission de l’océan Indien. « Sans Raj, il n’y aurait pas eu de câble », soulignent plusieurs acteurs qui ont suivi de près le dossier. Autre visionnaire, le Réunionnais Abdéali Goulamaly, président du groupe Océinde, à qui l’on doit l’arrivée de la téléphonie mobile à La Réunion en 1995. Zeop, filiale d’Océinde, a été le premier opérateur à s’engager pleinement dans la fibre optique. En juin 2011, dans les colonnes de L’Éco austral, Abdéali Goulamaly évoquait le besoin de disposer d’un câble sous-marin permettant d’être indépendant tout en anticipant le développement du digital. Neuf ans plus tard, les faits lui donnent raison et il était présent lors de l’« atterrissage » du câble à La Réunion le 19 juin. 

 

Le navire Teliri, qui vient d'atterrir le câble METISS à Madagascar, à Maurice et à La Réunion, appartient à la société italienne Elettra, dont le groupe Orange (qui ne fait pas partie du consortium) a acquis 70 % du capital en 2010.
Le navire Teliri, qui vient d'atterrir le câble METISS à Madagascar, à Maurice et à La Réunion, appartient à la société italienne Elettra, dont le groupe Orange (qui ne fait pas partie du consortium) a acquis 70 % du capital en 2010.  Photo : Guillaume Foulon
 

Redistribution des cartes 

Si l’on se penche sur le modèle économique, on constate que chaque membre du consortium paie au prorata des capacités dont il a besoin. Globalement, ils se situent tous à la même hauteur, à l’exception du Malgache Telma qui est présent à la fois à Madagascar et à La Réunion (via Free). Chaque membre du consortium peut vendre des capacités. Ce qui veut dire que même si Telma est le seul opérateur à Madagascar, cela n’empêche pas un autre opérateur de profiter de METISS. « Le consortium peut accueillir de nouveaux membres », précise d’ailleurs son président, Xavier Hermesse. 
On a vu que METISS apportait de la puissance, mais va-t-il faire baisser les prix à la consommation ?  
« Pas à La Réunion, répond Xavier Hermesse, car les prix ont déjà été divisés par deux depuis 2011. On propose aujourd’hui de l’Internet illimité à 49 euros par mois. » À Madagascar, c’est possible puisque Telma aura un avantage concurrentiel dont il pourra profiter pour prendre des parts de marché. À Maurice, rien n’est garanti puisque le leader, quasiment en situation de monopole sur le marché grand public de la fibre optique, est Mauritius Telecom qui ne fait pas partie du consortium. 
Le trouble-fête pourrait être le CEB (entreprise publique distribuant l’électricité), membre du consortium, mais il apparaît que, pour le moment, il ne vise pas le grand public. En utilisant son réseau de lignes à haute tension, le CEB viserait plutôt à vendre de la capacité aux opérateurs et aux grosses entreprises. Peut-on imaginer le CEB vendant à Mauritius Telecom de la capacité sur METISS ? Tout est possible. 

(*) Le térabit équivaut à mille milliards de bits, soit mille gigabits, ou encore un million de megabits. 

 

Xavier Hermesse
Photo : Guillaume Foulon

XAVIER HERMESSE, PRÉSIDENT DE METISS : « Le câble METISS, c’est l’indépendance » 

L’Éco austral : Qu’est-ce qu’apporte le câble METISS ? 
Xavier Hermesse
: Ce câble dit open access est une grande première pour la région. Le mode retenu par le consortium permettra en effet à chaque membre de se connecter facilement et à moindre coût aux autres membres sur chaque territoire. Cette philosophie prend le contre-pied des grands câbles sous-marins existants, pour lesquels les coûts d’interconnexion sont souvent exorbitants et renchérissent sensiblement le coût de l’Internet. Comme l’a souligné Raj Mohabeer de la Commission de l’océan Indien, les câbles existants vieillissent (c’est le cas du SAFE) ou ont besoin d’être sécurisés et complétés par de nouveaux câbles capables d’absorber la croissance des usages internet. METISS apportera une connectivité accrue et une sécurisation supplémentaire pour les routes de l’Internet entre nos îles, l’Afrique et le monde entier. 

Peut-on parler vraiment d’indépendance ? 
Oui, METISS est pour nous tous un enjeu d’indépendance, technologique, stratégique et financière. Rendez-vous compte que les opérateurs de nos territoires payent encore, selon les régions et selon les câbles sous-marins, le transit internet cinq à vingt fois plus cher qu’à Paris, par exemple ! C’est donc un cas unique que des acteurs régionaux, enracinés sur leur territoire et leurs marchés, se soient unis pour se doter d’un outil autonome et indépendant des grands consortiums internationaux, pour accéder aux grands noeuds de l’Internet mondial, notamment en Afrique du Sud. J’espère que ce projet en appellera d’autres.

Raj Mohabeer
©Droits réservés
 

Le visionnaire Raj Mohabeer 
Chargé de mission à la Commission de l’océan Indien (COI), le Mauricien Raj Mohabeer est un converti de la première heure à la nécessité d’avoir un nouveau câble, propriété des opérateurs de la région. La COI a commencé une réflexion dès 2005, qui a abouti à un accord des pays en 2009 pour la mise en place du projet Seganet sous la forme d’un PPP (partenariat public-privé) régional. Mais les conditions n’étaient pas réunies à l’époque pour sa concrétisation. Le problème de connectivité et de redondance restait entier. Puis, avec le soutien de l’Union européenne, la COI a conduit plusieurs études en 2014 et 2015, dégageant les orientations stratégiques, techniques, juridiques et financières nécessaires pour agir concrètement. « Le plaidoyer de la COI a été entendu et compris par nos instances et le secteur privé. La COI a participé activement à l’élaboration du business plan, à la structuration financière et à la gouvernance du consortium jusqu’à la signature de l’accord en décembre 2017 », expose Raj Mohabeer. Pour ce dernier, « METISS est un résultat majeur de la COI, une preuve de l’utilité concrète de notre coopération régionale. » Mais pour Raj Mohabeer, le rôle de la COI ne s’arrête pas là. « Il nous reste à contribuer à l’amélioration de l’environnement des affaires et de la gouvernance dans ce secteur. Par exemple, nous réfléchissons à la création d’un observatoire régional des TIC ou encore à une e-Governance Academy régionale à l’exemple du modèle de l’Estonie avec qui nous avons un protocole d’accord. Il s’agirait de renforcer les compétences techniques, les services publics numériques et la cybersécurité. »