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Maurice

Le « Knowledge Hub » prend forme dans un certain flou

Indéniablement, l’offre commence à s'étoffer et à attirer des étudiants de l’extérieur avec encore des tâtonnements. De leur côté, les instituts de formation professionnelle tirent leur épingle du jeu, à condition de se spécialiser.

« L'objectif est de générer, d'ici dix à quinze ans, un milliard de dollars de chiffre d'affaires (736 millions d'euros – Ndlr), soit 10 % du PIB mauricien ! »
Rajesh Jeetah, ministre mauricien de l’Enseignement supérieur, se montre très ambitieux en expliquant le projet de faire de son pays un Knowledge Hub (centre de connaissance) régional pour les pays de l’océan Indien et de l’Afrique orientale et australe.
C'est en 2006 que l’État, dans le cadre du développement et de la diversification économique, a commencé à investir dans l’industrie du savoir. Pour montrer sa volonté de s'y investir, il créé, en 2010, un ministère de l’Enseignement supérieur. La stratégie mauricienne de Knowledge Hub passe par l’accueil d'institutions étrangères et l'arrivée d'étudiants venus du monde entier. L'objectif est d’en attirer 100 000 d’ici à 2020 contre actuellement 2 500.
Le marché se révèle gigantesque puisque le nombre d'élèves dans l'enseignement supérieur au niveau mondial va passer à 200 millions en 2015, dont 70 millions en Asie. Et d'ici 2025, il y aura 10 millions d'étudiants africains à former.

ÊTRE MOINS CHER À QUALITÉ ÉGALE D’ENSEIGNEMENT

Le principal argument avancé par l'île pour séduire les étudiants étrangers est le faible coût des formations comparé aux études entamées en Europe (jusqu'à trois fois moins cher, à l’instar des cours de l’European Business School assurés par Rushmore) en Afrique du Sud ou à Singapour. Ajouté à cela le fait que « Maurice est encore un pays assez porteur, avec une stabilité économique et sociale », souligne Éric Charoux, directeur de l’Institut Charles Telfair (CTI), première institution privée d'enseignement supérieur du pays.
Cette dynamique va de pair avec la volonté de démocratiser le savoir auprès de la population locale, c'est-à-dire d’étendre les formations universitaires au plus grand nombre. L'objectif consiste à porter le taux d’admission dans l’enseignement supérieur à 46% (pourcentage pour l’année académique 2011-2012) à plus de 70% d’ici 2015. Cette stratégie s'incarne dans la formule « un diplômé par famille ». Il s’agit de produire, à l'exemple du modèle singapourien, plus de diplômés pour répondre aux besoins en ressources humaines des secteurs émergents.
À cet effet, des budgets ont été décaissés. Ainsi, en 2012, 810 millions de roupies (plus de 20 millions d’euros) ont été injectées dans le projet, dont une bonne partie a été versée dans la construction de campus.
C’est indispensable pour Maurice qui doit faire face à la concurrence mondiale. Même si l’on a parfois du mal à l’admettre, en particulier en France, il existe désormais un marché mondial de l’enseignement supérieur. Et si l’éducation est généralement une prérogative des États, elle tend de plus en plus à devenir un service marchand international. Il s'agit même d'une activité économique hautement lucrative. Les États-Unis en ont fait, depuis bien longtemps, une branche économique à part entière. Les étudiants étrangers contribuent à leur balance des paiements à hauteur de 21 milliards de dollars chaque année. Élèves et étudiants constituent donc, dans le monde entier, un formidable marché potentiel qui suscite l’intérêt des nouveaux entrepreneurs.

ATTIRER LES UNIVERSITÉS ÉTRANGÈRES

Maurice s'appuie sur le BOI (Board of Investment), l'organisme chargé de la promotion de l'île, pour séduire de nouveaux acteurs. Son responsable des secteurs émergents et de leur marketing, Nitin Pandeea, explique qu’il s'agit d'attirer des universités de renom international. Ces institutions que visent le BOI peuvent opérer aussi bien dans le tourisme que dans des secteurs émergents comme les technologies de l’information et de la communication (TIC) et la finance. Les formations en matière de management, de leadership et de marketing répondent aussi aux besoins de Maurice et des pays de la région.
En février 2011, « Study Mauritius » a vu le jour. S'inspirant de Campus France qui accompagne les étudiants étrangers souhaitant poursuivre leurs études supérieures dans l'Hexagone, ce guichet coordonne les informations sur les programmes disponibles, en partenariat avec les institutions locales d'enseignement tertiaire, les agents de recrutement et les ambassades (visas d'étudiant). La TEC (Tertiary Education Commission, commission pour l’enseignement supérieur), dont les statuts ont été modifiés pour mieux les impliquer dans le Knowledge Hub, travaille également avec le BOI sur ces projets d'implantation. Et cette stratégie tous azimuts fonctionne puisque de nombreuses institutions se sont implantées. Certaines écoles d’ingénieur et de commerce ont noué des partenariats avec des homologues mauriciennes ou ont créé des filiales sur l'île. L'Institut Charles Telfair propose déjà depuis de longues années des cours au nom de l'université de technologie australienne Curtin. L'université britannique Middlesex a créé sa filiale locale. Ces universités ont compris la nécessité d’internationaliser leurs formations. « Quand une société s'implante en Inde ou au Kenya, elle a besoin de pouvoir y recruter des cadres formés à certaines méthodes », expliquait dans le quotidien « Les Échos » Jean-François Fiorina, directeur de l'école de Commerce ESC Grenoble.
Depuis 2005, la TEC a procédé à l’enregistrement de 54 institutions privées d'enseignement supérieur qui s'ajoutent aux 10 chapeautées par l'État mauricien.

UNE STRATÉGIE QUI MANQUE (ENCORE) DE COHÉRENCE

Indéniablement, les institutions étrangères de formation semblent séduites par le projet mauricien.
Mais certains observateurs font preuve de scepticisme. On peut, en effet, s'interroger sur la cohérence de la présence des universités de Limkokwing (Malaisie), de Visvesvaraya (Inde), de Sunderland (Royaume-Uni), de Paris-Dauphine, de l'Indian Institute of Technology de New Delhi et de celle du Queensland du Sud (Australie)… et surtout sur leur complémentarité ! Éric Charoux, directeur d’Institut Charles Telfair, n'hésite pas à blâmer les autorités mauriciennes. « Elles misent plus sur le nombre que sur la qualité. Ce n’est pas en remplissant le pays de campus universitaires que cela fera de nous un Knowledge Hub ! Ces universités doivent avoir un minimum de renom au plan international. La qualité de l’enseignement et la reconnaissance des diplômes sont primordiaux. »
En effet, certaines des universités qui veulent venir s’implanter ou qui sont déjà installées à Maurice sont loin d’être des instituts reconnus. Pire, certaines ne seraient même pas pourvues de toutes les accréditations nécessaires dans leur pays d’origine. Un étudiant doit donc bien s’informer avant de faire son choix.


LA BATAILLE DE LA QUALITÉ

Pour assurer la crédibilité de la destination, la TEC veille théoriquement à ce que les institutions qui s’implantent à Maurice disposent des accréditations valides et se plient aux normes nationales et internationales de l’enseignement supérieur. Pour cela, l’État lui alloue un budget annuel de 80 millions de roupies (2 millions d’euros). Par ailleurs, certaines organisations professionnelles ont mis sur pied des procédures internationales de validation, voire d’homologation, des formations et des établissements éducatifs. C’est vrai notamment dans les secteurs de l’ingénierie, de la comptabilité et des technologies de l’information et de la communication.
La question de la qualité se situe au cœur du projet de la dernière des institutions d'enseignement arrivée à Maurice, l'Université des Mascareignes (UdM). Fondée en 2012 et bénéficiant de la collaboration de l'université de Limoges, elle est issue de la fusion de l'Institut supérieur de technologie et du Swami Dayanand Institute of Management. Le directeur de l'UdM, Pierre Guillon, explique l'implantation de son université par le positionnement géographique et les liens qu'entretient Maurice avec l'Inde et l'Afrique. « Profitant du bilinguisme de l'île, des étudiants d'Afrique francophone et anglophone peuvent être intéressés par notre offre ». Autre point à souligner, l'UdM « propose des diplômes bâtis sur les normes européennes – LMD (pour « licence-master-doctorat ») – et reconnus à l’international. Autre spécificité de l’UdM, les cours sont bilingues (français-anglais) et les programmes conçus en tenant compte des besoins du monde socio-économique local et régional.
Et pour lutter contre le chômage des diplômés, l'UdM va constituer un Carrefour de l'Étudiant qui sera un lieu de rencontre avec le milieu socioprofessionnel.

LA SPÉCIALISATION, CLÉ DE LA RÉUSSITE ?

Alors que la stratégie de Knowledge Hub prend peu à peu corps, le secteur de la formation continue se trouve soumis à forte concurrence. À preuve, la Mauritius Qualifications Authority (MQA), l'organisation chargée, entre autres, d'enregistrer et d'accréditer les établissements de formation, recense plus de 450 institutions évoluant dans ce secteur. Ceux qui visent une cible très précise tirent leur épingle du jeu.
Ainsi, l'entreprise réunionnaise Tetranergy de Jean-Luc Fievet propose une approche originale au plus près des besoins des entreprises. Créée en 1987, c'est le plus ancien organisme privé de formation de La Réunion. Il forme 1 000 personnes par an et propose plus de 100 formations dans 18 domaines différents. Il a créé à La Réunion une filière diplômante pour valider l’expérience professionnelle de salariés – du certificat d’aptitude professionnelle (CAP) à la licence. Tetranergy est présent à Maurice depuis 2008. Jean-Luc Fievet, s'il reconnaît le haut niveau de formation du top management des grands groupes mauriciens, estime qu’il existe une problématique concernant les agents de maîtrise. « Leur rôle est pourtant essentiel dans une entreprise. » Aussi Tetranergy propose-t-il des modules spécifiques, conçus sur mesure, pour répondre à des besoins urgents. Pour répondre à la rude concurrence et pour compléter son offre, Tetranergy propose, en partenariat avec le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), des formations en licence et master. Quant à l’entreprise mauricienne Analysis Institute of Management, elle représente le MBA délivré par l'université Paris-Dauphine et l’Institut d'administration des entreprises (IAE) de Paris. Destinée aux cadres de la région possédant un diplôme Bac + 4 ou justifiant d’au moins trois ans d’expérience professionnelle à un poste managérial ou une solide expérience professionnelle de dix ans, cette formation de haut niveau est axée sur les dernières techniques de gestion et fait la part belle au côté pratique. C'est également un exemple concret de coopération régionale puisque 30% de ses élèves proviennent de La Réunion et de Madagascar. En suivant les cours à Maurice, les étudiants déboursent moitié moins que s’ils devaient s’envoler pour Paris. Ce sont les professeurs de Paris-Dauphine et de l’IAE de Paris qui font le déplacement et assurent les seize mois de formation. Autre exemple, l'institut KIP Center for Leadership qui existe depuis plus de deux ans. Il propose des outils spécifiques de formation aux cadres de Maurice et de la région. Selon sa directrice, Lillka Cuttaree, « la méthodologie innovante vise à former une nouvelle génération de managers confrontés quotidiennement aux exigences de la mondialisation ».
KIP Center for Leadership a conclu des partenariats stratégiques avec différents centres de formation et des « business schools » de la région. La Gordon Institute of Business Science (GIBS) et l'université du Cap (UCT) y proposent des formations pour les cadres souhaitant un recentrage sur les marchés émergents. Quant au partenariat avec HEC, Wharton et la Chambre de Commerce de Paris, ils permettent d’offrir des cours sur mesure de leadership et de management. « Il est primordial que le capital humain soit formé aux exigences du marché mondial. Nous devons nous éloigner d’une approche académique pour nous recentrer sur les idées », insiste Lillka Cuttaree.
L'école Vatel, qui possède le premier réseau mondial d’écoles spécialisées en management hôtelier, est présente à Maurice depuis quatre ans. Comme le rappelle son fondateur, Alain Sebban, « nous avions ressenti qu'il y avait le besoin d’un réel développement et donc de ressources humaines et de personnel compétent ». L'offre que propose l'école repose sur une formation initiale : bachelor (Bac +3) et un master (Bac +5) pour former des cadres dirigeants de l’hôtellerie internationale, mais également sur un dispositif de Validation des acquis de l’expérience (VAE). Ce mode d’acquisition d’un diplôme s’adresse aux personnes occupant (ou ayant occupé) des postes à responsabilités. Les managers non diplômés peuvent faire valoir leur expérience et présenter leur dossier à un jury. Vatel leur propose de passer leur bachelor et leur master à travers ce dispositif. Alors que le campus Vatel de Maurice comptait, en 2012, 180 étudiants, issus de 15 pays, il vise d'ici trois ans à en accueillir 500.
Et preuve que l'offre proposée dans l'île est solide, « le récent MBA spécialisé en « resorts », qui vient d’être créé à Maurice, est celui qui a reçu le plus de demandes d’autres étudiants Vatel », se réjouit Alain Sebban.

LES CERTIFICATIONS INTERNATIONALES

De plus en plus d’écoles et d’universités privées annoncent l’obtention d'accréditations et de certifications internationales. Elles constituent des garanties sérieuses, aussi bien pour les candidats que pour les entreprises qui voudraient recruter les diplômés de ces programmes. Elles représentent également des marques de visibilité dans un environnement international concurrentiel, où la simple reconnaissance de l’État ne suffit plus.
À Maurice, il existe de multiples certifications internationales, comme la renommée Association des comptables agréés certifiés (ACCA), l’Analyste financier agréé (CFA), l’Institut des comptables de gestion (CIMA), l’Association of Chartered Institute of Bankers (Bankers), l’Administrateur système et réseau certifié Microsoft (MCSA), le Cisco Certified Network Associate (CCNA), l’Oracle Certified Professional (OCP) et la Chartered Institute of Logistics and Transport (CILT)…