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Le Nigeria, ce colosse aux pieds d’argile

Désormais première puissance économique africaine, le Nigeria présente un environnement social, économique et politique déplorable. Mais il attire les investisseurs par la taille de son marché et le dynamisme de ses entrepreneurs.

Pour les investisseurs les plus avertis, cela ne faisait plus de doute. La taille du marché nigérian, le dynamisme du secteur de la communication et du commerce et le potentiel de ses ressources naturelles étaient autant d’éléments qui devaient placer ce géant d’Afrique au rang d’une économie de premier ordre sur le continent. Mais en l’absence d’un calcul exhaustif et actualisé du PIB du pays, ils n’auraient osé jurer de rien tant le Nigeria présente de violents contrastes. Lorsque le bureau nigérian de la statistique a sorti en avril dernier le chiffre actualisé de 510 milliards de dollars de PIB pour l’année 2013 (459,6 milliards en 2012) prenant en compte, sous la surveillances des experts du FMI, les secteurs nouveaux des télécommunications, de la banque et du cinéma, le pays s’est d’un seul coup trouvé propulsé à la première place du continent devant l’Afrique du sud qui n’affichait qu’un maigre… 384,3 milliards de dollars de PIB en 2012 (cf. Banque mondiale). À cette annonce, les commentaires fanfarons se sont succédés sur les réseaux sociaux du pays, de même que les constats amers. « Si les chiffres donnés par le Nigéria sont un phénomène, ses problèmes géants le sont plus encore », titrait non sans humour un commentateur de « The Economist », à la publication de la nouvelle.

LE PÉTROLE EST PILLÉ À MÊME LES PIPELINES

Comme le souligne d’emblée le chercheur français Marc Antoine Pérouse de Montclos, « le pays est un étonnant paradoxe. Il a certes un marché immense de 170 millions d’habitants, c’est le premier producteur de pétrole d’Afrique, il a un dynamisme économique hors norme, mais l’environnement juridique, économique et politique y est l’un des plus mauvais d’Afrique ».  Le mot « mauvais » n’est pas exagéré. Le meilleur exemple est donné par le secteur pétrolier. Avec une production de 2,39 millions de barils par jour en 2014, le Nigéria est classé par l’OPEP au rang de 8e producteur mondial, mais il est simultanément le pays qui affiche le plus haut taux de détournement de brut de la planète. Une estimation récente publiée par le « Financial Times » parle de 400 000 barils/jr, ce qui constituerait près du sixième de la production journalière ! « C’est un circuit illégal qui s’est professionnalisé, explique le chercheur au CNRS Daniel Bach, le brut est pris dans les puits de forage, sur les pipelines ou même sur certaines plateformes, puis acheminé vers des pays voisins et revendu ». Mais le secteur pétrolier ne souffre pas que du pillage direct. Les détournements de fonds sont abyssaux. Dernier épisode en date : lorsque Lamido Sanusi, le gouverneur de la Banque centrale a publiquement dénoncé la corruption au sein de la Nigerian National Petroleum Corp (NNPC), accusant ses dirigeants d’avoir « conservé » quelque 20 milliards de dollars de revenus,  le président Goodluck Jonathan a simplement décidé de « suspendre » l’« honnête homme » de ses fonctions. Aujourd’hui, la dégradation de l’environnement politique, financier, mais aussi juridique du secteur pétrolier – avec le report incessant du vote de la Petroleum Industry Bill, destiné à le réorganiser – est telle que certaines compagnies étrangères montrent des signes de départ, comme le géant anglo-néerlandais Shell qui a mis certains acquis en vente.

Les secteurs traditionnels de l’agriculture et de la pêche sont désormais dominés par ceux des services qui pèsent 50% du PIB. - Gov. Nigérian

TÉLÉCOMMUNICATIONS : L’ENFER DU DÉCOR

Il n’y a pas que le secteur pétrolier qui est victime des vicissitudes d’un environnement chaotique. D’autres secteurs buttent également sur le désordre nigérian, affectant gravement leur potentiel, comme celui des télécommunications. Alors que le nouveau calcul du PIB estime sa part à 8,7% dans l’activité économique du pays et que les opérateurs téléphoniques se félicitent de compter plus de 110 millions de clients, joindre quelqu’un par téléphone au Nigéria est simplement… un enfer. « Il faut au moins appeler dix fois le numéro d’un interlocuteur avant de parvenir à lui parler, explique Marc Antoine Pérouse de Monoclos, qui se rend régulièrement dans le pays, le réseau est complètement saturé. » Même scénario pour Internet : alors que les études montrent que le pays a un taux de connections élevé et qu’il fait figure, selon l’ACET, le centre africain pour la transformation de l’économie, de pionnier dans l’usage des nouvelles technologies, il est difficile au Nigéria non pas d’entrer dans un cybercafé, mais d’entrer sur le Net. « Si le pays enregistre beaucoup de clics, c’est parce que les gens doivent en faire 50 avant d’arriver à ouvrir une page… », remarque calmement un investisseur étranger.

UNE ÉCONOMIE DE SERVICES

Mais le paradoxe nigérian est celui-là : cet environnement déplorable que la dame de fer de l’économie du pays, Ngozi Okonjo Iweala, ne cesse d’essayer d’assainir, n’empêche pas le miracle nigérian de se produire chaque matin. Selon l’édition 2014 des « Perspectives économiques en Afrique », publié avec la Banque africaine de développement (BAD) et l’OCDE, le pays devrait continuer à connaître une croissance de près de 7% en 2014. Cette croissance n’est plus tant soutenue par le secteur pétrolier, qui ne compte plus que pour 20% dans le PIB, que par le secteur des services qui compte pour plus de 50% dans le nouveau PIB, laissant dégringoler la part de l’agriculture à 22%… Des chiffres qui démontrent un changement de structure de l’économie nigériane et fait clairement sortir le pays de l’alternative agriculture/pétrole.

UN DYNAMISME QUI SÉDUIT LES INVESTISSEURS

Le Nigéria a développé un important secteur industriel, notamment dans le bâtiment, avec le mastodonte Dangote Ciment ou encore dans le textile, la pharmacie ou les pièces détachées. Des petites et moyennes entreprises se sont multipliées, qui ont souvent un pied dans la légalité et l’autre dans l’illégalité, voire les deux dans le second. Les maîtres de la contrefaçon ne manquent pas d’inventivité pour créer de vrais faux Vuitton ou Dior qu’ils envoient sur les marchés de toute l’Afrique de l’Ouest. Le Nigéria est aussi devenu un « éminent » producteur de faux médicaments, entraînant régulièrement des conséquences funestes sur ceux qui les consomment. Autre miracle, moins nocif pour la santé, mais révélant la « vitalité » nigériane : deux start-up de l’e-commerce, Konga et Jumia, se sont imposées au milieu des coupures de courants et des réseaux injoignables pour se livrer une bataille sans merci dans la conquête des 40 millions d’utilisateurs Internet. Enfin, cerise artistique sur le gâteau, le pays offre une production pléthorique de films made in Nollywood (Hollywood Nigeria) qui compte désormais, aux côtés de la production musicale, pour plus d’1% dans le PIB national.
Un dynamisme communicatif car les investisseurs étrangers continuent de pousser la porte du Nigéria, malgré la corruption, malgré les délais administratifs insensés, malgré l’absence d’État de droit, la défaillance des infrastructures et les embouteillages titanesque de la capitale où les voitures se mettent parfois à sept de front sur des bandes prévues pour deux… « Il faut tout de même se rappeler que la seule ville de Lagos a un PIB supérieur à ceux cumulés de tous les pays francophones d’Afrique de l’Ouest » affirme Marc Antoine Pérouse de Montclos. Un comparatif qui a dû motiver le Sud-africain Shoprite ou le Suisse Nestlé à s’installer, prouvant qu’avec un cœur bien accroché, il est possible de tenir et même de prospérer au Nigeria.

BOKO HARAM : LE NOUVEL ÉCUEIL

Depuis deux ans, la recrudescence des attaques terroristes de la secte islamiste Boko Haram fait cependant planer une ombre sérieuse sur l’équilibre précaire mais miraculeux de l’économie nigériane. L’enlèvement des 223 jeunes filles, que le leader de la secte promet de vendre comme esclaves sur les marchés de la région, n’est pas de nature à encourager les investisseurs. Le regain d’activités de cette secte est à inscrire dans un contexte politique de corruption endémique, mais il exprime aussi le malaise social ressenti face à l’écart grandissant qui existe entre les 100 millions de personnes qui vivent avec à 1,5 dollar par jour et les quelques milliers de nouveaux millionnaires qui se forment chaque année. Car si le Nigéria peut fanfaronner devant l’Afrique du sud au niveau national, il est loin derrière si l’on divise le PIB par habitant : le Nigérian ne serait qu’à 2 770 dollars, selon les estimations du FMI (2013), alors que le Sud-africain aurait plus du double dans sa poche.
Un pays où la population est estimée à 170 millions dont 100 millions vivent avec 1,5 dollar par jour. - Gov. Nigérian