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Maurice

Le tourisme peine à faire sa mue

Maurice a perdu sa place de leader des destinations de l’océan Indien. Le modèle de développement du secteur doit être repensé. Pour les groupes hôteliers, l’avenir passe par des implantations à l’international.  

« Le tourisme mauricien reste à la croisée des chemins et réagit peu aux évolutions du secteur. Les acteurs du modèle mauricien font de l'autosatisfaction et la destination a inéluctablement été éclipsée par une concurrence plus réactive. En l'absence de stratégie concrète à moyen et long termes, Maurice a stagné alors que les autres îles de l'océan Indien enregistraient de fortes progressions. »
Le dernier rapport du courtier en bourse Axys Stockbroking sur le tourisme est sans appel.

UNE CHUTE TRÈS NETTE DES RECETTES

De fait, depuis 2009, les arrivées de touristes à Maurice progressent à un rythme annuel de 3% alors que les Seychelles connaissent un taux de 10%, les Maldives de 14% et le Sri Lanka de 30%. En quatre ans, Maurice a perdu sa place de leader des destinations océan Indien (41% de parts de marché) pour retomber à la troisième place avec 27% du marché derrière les Maldives (31%) et le Sri Lanka (35%). Plus grave : les analystes d'Axys Stockbroking déplorent l'absence de réaction des autorités face au plongeon des dépenses des touristes. En 2012, les revenus du tourisme avaient atteint le niveau record de 44,4 milliards de roupies (1,11 milliard d’euros) mais ils ont baissé de 8,6% en 2013 pour représenter 40,6 milliards (1,01 milliard d’euros). Le revenu par visiteur est au plus bas depuis 2006. En terme réel (corrigé de l'inflation), on se situe même au plus bas depuis… 1986. Le broker avance trois hypothèses pour expliquer ce recul. Tout d'abord une prudence accrue des touristes dans leurs dépenses du fait de la crise.

LES ARRIVÉES DE TOURISTES ET LES RECETTES À MAURICE (en milliards de roupies) - Axys Stockbroking
Deuxième explication : les hôtels ont de nouveau consenti des baisses de tarifs, soit directement, soit par l'intermédiaire de promotions comme les nuits gratuites. Enfin, de plus en plus de touristes privilégient la formule « all inclusive » et ne dépensent donc pas hors des hôtels.

AUTRE POINT NOIR : L'AÉRIEN

Le prix du billet d'avion Paris-Maurice est largement supérieur (30%) à la moyenne des destinations équivalentes en terme de distance, du fait notamment d'une forte taxe d'aéroport. Les analystes d'Axys Stockbroking estiment que le prix du billet pourrait baisser de 12% grâce à un allègement de cette taxe. Toutefois, ils remarquent que les autorités ne devraient pas accepter de la diminuer car elle permet en partie de rembourser l'emprunt contracté pour la construction du nouveau terminal de Plaisance. Par ailleurs, malgré les efforts d'Air Mauritius, la montée en puissance d'Emirates à partir du hub de Dubaï et la perspective de l'arrivée de China Eastern Airlines, Maurice connaît toujours un problème de connectivité aérienne qui touche non seulement le tourisme, mais également le développement du pays qui aspire à devenir le pont entre l'Asie et l'Afrique.

LES ARRIVÉES DE TOURISTES PAR RÉGIONS DU MONDE (en milliers) - Axys Stockbroking

Pour atteindre l'objectif de 2 millions de touristes, initialement fixé pour 2015, Plaisance devrait accueillir tous les jours 22 jumbo jets remplis à 75%. On est très loin du compte. Actuellement, seule une quinzaine d'appareils moyens et longs courriers se posent quotidiennement. Il faudrait donc que le nombre de longs courriers augmente d'au moins 50%.

L’HÔTELLERIE DANS UNE MAUVAISE PASSE

Les 2 millions de touristes annoncés pour 2015 ont provoqué une véritable frénésie de constructions d'hôtels 5 étoiles financées par l'endettement. En cinq ans, une vingtaine d'établissements sont sortis de terre, ce qui représente 1 700 chambres de plus. En fait, l'erreur des opérateurs et des autorités est d'avoir cru que le boom des années 2006-2008 allait perdurer. Aujourd'hui, l'endettement de l'industrie hôtelière se situe juste en dessous des 49 milliards de roupies (1,22 milliard d’euros). Le rapport dettes sur fonds propres dépasse les 100%. Dès lors, les profits (quand il y en a) sont consacrés au remboursement des emprunts. La solution pour éviter la faillite pourrait passer par la revente des murs, mais là aussi l'environnement a bien changé. La récente liquidation des hôtels Apavou est intervenue sur la base de 4 millions de roupies (100 000 euros) la chambre alors que les récentes constructions ont fait ressortir le prix de la chambre à 10 millions (250 000 euros). Les hôtels de luxe pâtissent aussi de la banalisation de la destination Maurice qui, malgré le coût important du billet d'avion, ne constitue plus une exclusivité haut de gamme. La montée en puissance du secteur informel (bungalows, appartements de plage et autres chambres d'hôtes) vient entamer leur profitabilité. La part de marché des hôtels est en effet passé de 65% en 2008 à 54% en 2013, soit son plus bas niveau du siècle. Les dépenses de transport (location de voiture, taxis…) ont doublé entre 2009 et 2010 alors que les dépenses consacrées à l'hébergement n'ont elles progressé que de 5%. Pour les analystes d'Axys Stockbroking, la juxtaposition de ces deux tendances montre que les touristes choisissent de plus en plus le secteur informel, plus souple, et n'hésitent plus à utiliser les transports personnels pour visiter l'île et aller faire leurs courses dans les épiceries ou les grandes surfaces.

DES PISTES POUR SORTIR DE L’ORNIÈRE

Après cet état des lieux quelque peu alarmiste, les analyste d'Axys Stockbroking proposent quelques pistes de réflexion pour sortir de l'ornière. Prenant exemple sur la mutation de l'industrie sucrière qui a procédé à des fusions, à la création de filières à haute valeur ajoutée (production d’énergie, sucres raffinés et spéciaux et rhum de qualité) et à la recherche de nouveaux acheteurs comme le géant allemand Sudzücker, ils appellent à une plus grande cohésion des acteurs du tourisme. En effet, l'absence de cohésion des parties prenantes rend beaucoup plus difficile la recherche de positions communes afin de résoudre la crise. Pourtant, les questions ne manquent pas.
Quels types de clientèle veut-on cibler ? Comment les attirer et les amener à Maurice ? Les hôtels sont-ils adaptés ? Y-a-t-il suffisamment d'interprètes pour guider les touristes dans les excursions et le shopping ?
Pour répondre à ces interrogations, il faudrait une approche commune afin de mieux vendre la destination. Or, les groupes hôteliers sont concurrents, ce qui amène une fragmentation de la commercialisation. Au lieu de promouvoir la destination, ils attaquent directement les marchés par des approches marketing propres. C'est pourquoi Axys Stockbroking préconise une intervention des pouvoirs publics pour redorer le blason de Maurice et présenter une seule marque pour la commercialisation. C'est théoriquement le rôle de la Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA), mais cet organisme, créé il y a dix ans, se révèle aujourd'hui obsolète car le « business model » du secteur a changé. L'échec du slogan « Mauritius c'est un plaisir » illustre bien cette inadéquation. Le modèle « sea and sun » est complètement dépassé dans un contexte où le tourisme vert fait par exemple une percée un peu partout dans le monde. En outre, la MTPA ne dispose par de budgets suffisants pour les grands salons internationaux et ses « road shows » n'ont guère évolué ces dernières années. L'organisme a aussi du mal à prendre le train du numérique alors que les réseaux sociaux, les sites de voyages et le « microblogging » explosent sur le Web.
Une dernière certitude : le marché touristique mauricien ne constitue plus un véritable relais de croissance pour les groupes hôteliers. Les perspectives de développement ne se dessinent pas au niveau local, mais à l'international. C'est d'ailleurs ce qu'ont compris des groupe comme NMH avec son implantation au Maroc, Lux avec ses projets en Chine et dans les Emirats Arabes Unis et Constance aux Maldives.  

GREGORY DE CLERCK, NOUVEAU DIRECTEUR DE L’AHRIM

Gregory De Clerck, nouveau directeur de l’AHRIM - DA
« Mes priorités restent la coopération entre tous les acteurs de notre secteur. Nous devons  communiquer, tous et tout le temps, le même message. Quant à notre offre, elle doit aussi évoluer car l'île a elle-même beaucoup évolué. À l'image du nouvel aéroport ultra-moderne, Maurice s'est transformée ! » Ces mots furent martelés par Gregory de Clerck, directeur général de l'hôtel Touessrok, juste après son élection comme président de l'Association des hôteliers et restaurateurs de l'île Maurice (Ahrim). L'association représente 85% des 111 hôtels de l'île, des restaurants et des Integrated Resort Scheme (IRS – villas haut de gamme). Tous les professionnels reconnaissent que le secteur traverse une situation difficile. Et le ministre du Tourisme, Michael Sik Yuen, parle enfin d'un « nouveau plan stratégique pour le secteur pour la période 2016-20 ». Il y a urgence!
JMD

 

BOURSE : NMH PLÉBISCITÉ PAR LES INVESTISSEURS ÉTRANGERS

À la bourse de Port-Louis, le compartiment des valeurs hôtelière avec New Mauritius Hotels (NMH), Sun Resorts, Lux Island Resorts et Constance Hotel Services (CHS) a connu une année 2013 mitigée malgré une hausse généralisée des résultats. L'ensemble du secteur a en effet vu ses bénéfices progresser en moyenne de 57% avec une mention particulière pour Lux dont les profits se sont envolés de 143%. Mais en bourse, le secteur a reculé de 2,1% alors que l'ensemble du marché a cédé 0,9%. Seul Lux a enregistré un gain (+ 9,4%). NMH a baissé de 4,9%, Sun a cédé 2,6% et CHS a plongé de 19% malgré une hausse de 61% de ses bénéfices. Selon les analystes, le secteur a pâti de la crise politique en Crimée et de dégagements liés à l'introduction en bourse du Loto. Certains ont ainsi procédé à des ventes de titres du secteur hôtelier pour acheter des actions du Loto. Depuis le début de l'année, seul Lux tire son épingle du jeu avec une hausse de 12%. NMH perd 4%, Sun cède 2,6% et CHS plonge de 5,7%. À noter que la participation des étrangers, qui font la pluie et le beau temps à la bourse de Port-Louis, a baissé de 60% dans le secteur hôtelier depuis le début de la crise. Mais l'action NMH reste plébiscitée par les investisseurs non-résidents puisqu'elle représente 80% de leur participation dans le secteur.