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L’entrepreneuriat au féminin : un moteur pour l’innovation

À La Réunion, les femmes sont aujourd’hui à l’origine d’un tiers des créations d’entreprise, au même niveau que dans l’Hexagone. Mais les Réunionnaises entrepreneurs se distinguent par une plus grande capacité d’innovation. « Cette dynamique de l’entrepreneuriat au féminin incite à échanger sur le potentiel d’innovation des créatrices d’entreprise, déclare Jenny Seibert, responsable marketing territorial et communication au sein de l’Agence de développement Nexa. Les femmes ont-elles des atouts particuliers en terme d’innovation ? On observe que de nouveaux modèles économiques, en train d’émerger, sont plus centrés sur l’humain. Peut-être les femmes ont-elles davantage cette sensibilité pour être créatives et efficaces dans ces nouvelles formes d’entrepreneuriat. »

Un Plan d’action de l’entrepreneuriat au féminin, présidé par la « Délégation régionale aux droits des femmes et à l’égalité », a fait l’objet d’une convention en décembre 2014 entre l’État, la Région Réunion et la Caisse des Dépôts. C’est dans ce cadre que Nexa a mis en place un Observatoire de l’entrepreneuriat au féminin. « Les femmes réunionnaises innovent mieux que la moyenne nationale, et mieux que les hommes réunionnais, dans toutes les catégories : produits, services, modes d’organisation et marketing », témoigne Rekha Grimoire, chargée d’études au sein de l’Observatoire de Nexa.

LES FEMMES PROGRESSENT DANS LES TIC
Les domaines d’activité des femmes sont avant tout ceux du commerce et des services. « 29% des créations, pour les femmes, interviennent lorsqu’elles ont moins de 30 ans, contre 19% seulement chez les hommes », indique Rekha Grimoire. Ces derniers bénéficient plus facilement d’un soutien familial pour créer, plus tardivement, une activité.
« 30% des femmes créatrices d’entreprise opèrent désormais dans le numérique, révèle Réjane Panechou, chargée de mission pour Nexa, 30% des projets concernent les services et 15% le secteur agroalimentaire. » Les créations féminines dans le secteur du numérique progressent chaque année.

« Sitôt que l’on élargit les critères d’innovation, on voit apparaître davantage de projets féminins, commente Anne-Marie Grenier, responsable du Pôle projets innovants à la Technopole de La Réunion. Cette mutation de l’innovation d’usage et, plus largement, l’évolution du marché des projets confirment la progression de l’implication féminine dans le secteur des TIC. » En témoigne la startup Immersive Ways qui a développé au sein de l’Incubateur ses solutions en immersion visuelle et sonore et s’apprête à les commercialiser. « Nous lançons un mode de production transmédia, immersif et interactif, et un logiciel pour produire ces contenus innovants immersifs, explique Moea Latrille, présidente d’Immersive Ways. Nous recherchons un investisseur pour accélérer notre arrivée, parmi les précurseurs, sur le marché international qui va vivre une très forte croissance dès 2016. »

LE « TRAVAILLER-ENSEMBLE » EST IMPORTANT
En créant le site Beamjobs.com, Anne-Laure Payet utilise les codes des sites de rencontre pour mettre en relation les recruteurs et les demandeurs d’emploi. Illustrant la capacité d’innovation féminine en matière de management centré sur l’humain et le bien-être au travail. « L’objectif est de dire au revoir au CV traditionnel pour valoriser toutes les compétences d’un candidat. On demande de plus en plus au collaborateur de travailler au développement de l’entreprise, au-delà d’une tâche isolée. On recherchera davantage à recruter des « cœurs » et à s’assurer que l’on pourra travailler ensemble », expose Anne-Laure Payet, présidente de Beam dont l’univers émarge sur la notion de bonheur.

Pour aider les jeunes femmes qui se lancent dans le digital, Isabelle Albert entreprend de fonder le site « Girls In Tech » à La Réunion. « Girls In Tech est une marque internationale, créée en Californie, qui prend une énorme ampleur, y compris en Afrique. Nous créons une branche française et régionale pour donner une tribune internationale à La Réunion et participer à l’ambition d’un French Tech Hub dans l’océan Indien », annonce Isabelle Albert.

En tant que designer industriel, Tatiana Hossein réalise des études centrées sur l’humain. « J’accompagne les entreprises dans leurs nouveaux concepts, en analysant l’usage que l’on fera d’un produit ou d’un service, à travers le prisme de l’innovation sociale et technologique, entre l’ingénierie et l’esthétique. » La startup Oscadi en a bénéficié pour le design de sondes pour l’échographie.

FAVORISER L'INTELLIGENCE ÉMOTIONNELLE
Le premier centre de coworking de La Réunion a été créé en 2013 par une femme. « J’étais pionnière dans cette innovation, souligne Massi Rivière, gérante de Starter +. Il y a désormais d’autres centres de coworking et ma structure a évolué en petit centre d’affaires pour la location de bureaux, de salles de formation et la domiciliation d’entreprises. »
La Banque de La Réunion soutient l’entrepreneuriat au féminin et décerne chaque année le Prix Julie Mas qui récompense une femme entrepreneur. « En 2015, nous avons signé une convention avec le Département de La Réunion, qui réserve une enveloppe de financement spécifique pour les porteurs de projets féminins, annonce Dominique Leung-Pin, responsable des offres et animations commerciales de la Banque de La Réunion. L’empreinte masculine est toujours dominante en 2016 dans le monde économique, mais la prise en compte de l’intelligence émotionnelle avantage désormais les femmes. »

Séva Caroupapoullé, gérante de Nemrod Technology, témoigne des particularités du management féminin : « Nous passons beaucoup de temps à échanger pour comprendre nos salariés. C’est une forme de dualité qui n’est pas toujours simple. J’exerce sur un marché essentiellement masculin, celui du contrôle d’accès, de la sécurité et de la gestion du temps dans les entreprises. On cherche souvent le point faible chez une femme et nous devons en permanence cultiver l’excellence. » Elle observe également que ces moyens de contrôle apportent aussi de l’apaisement dans les entreprises et contribuent à y « mettre du bonheur ».

Les femmes sont mieux préparées, remarquent les professionnels de l’accompagnement à la création d’entreprise. « Elles ne veulent pas se tromper et gèrent le risque plus soigneusement que les hommes, ajoute Anne-Marie Grenier. Elles démontrent un grand courage lors des premiers écueils. »
Créée il y a plus de dix-huit ans, l’agence 21° Sud a été la première agence de communication à La Réunion spécialisée dans le développement durable, bien avant que ce terme ne soit à la mode. Selon sa fondatrice et dirigeante, Nathalie Bourcier, « les femmes ont de fortes capacités d’innovation dans le management et nous devons faire nos preuves, encore plus que les hommes, en tant que dirigeantes. C’est une autre façon d’envisager l’entrepreneuriat, qui donne la priorité au bien-être relationnel plutôt qu’à une profitabilité maximale. »

ACCROÎTRE LA CRÉATION DE VALEUR PAR LES FEMMES
Comment La Réunion pourrait-elle mieux bénéficier de la création de valeur par les femmes ? L’attachement des familles réunionnaises au salariat et au secteur public, comme perspective pour leurs enfants, est-il un frein à l’entrepreneuriat au féminin ? « Il faut développer l’information des jeunes filles dès la sortie du collège », pense Dominique Leung-Pin.
« Que l’on sache ce qu’est l’entrepreneuriat », ajoute Moea Latrille. Parfois, les technologies font peur car c’est un monde de garçons. « Nous pouvons développer la formation et l’information en direction des jeunes femmes avec du coaching approprié, sur de petits formats. Pour tester des outils et déculpabiliser le fait que l’on peut se tromper », propose Isabelle Albert. C’est d’ailleurs l’un des objectifs de « Girls In Tech ».
