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L’entretien annuel d’évaluation, pierre angulaire de la politique RH

 Nombreux sont toujours les chercheurs, DRH, chefs d’entreprise, syndicalistes et juristes à remettre en cause la légitimité de cet exercice pas toujours pris au sérieux. Pourtant, on n’a rien trouvé de mieux.

L’entretien d’évaluation devrait être un moment privilégié entre un manager et son collaborateur pour faire le point sur l’année écoulée et pour prendre de la distance avec le quotidien. Cet entretien est pourtant redouté et mutuellement abordé avec défiance et appréhension. Il devrait même être la pierre angulaire de la politique managériale et RH de l’entreprise : performances, objectifs, développement des compétences, formations, évolution interne, recrutements, rémunérations, motivation. Un bien beau panier garni.
 

QU’EST-CE QUI JUSTIFIE CE PARADOXE ?

 
Le premier paradoxe à noter est lié au rôle à jouer par le manager. Il doit être le censeur et le coach au cours du même entretien. Exercice toujours périlleux. Il doit conjuguer des objectifs contradictoires : apprécier des résultats à court terme et  développer les compétences de son collaborateur à long terme, garantir une cohérence collective et définir des objectifs individuels, valoriser une performance sans être décisionnaire de l’attribution des augmentations et des bonus, favoriser la transparence et la communication interne sans être toujours associé aux décisions prises par sa hiérarchie et sans les cautionner peut être. Bien entendu, plus le manager considérera cet exercice comme une corvée à remplir parce que la DRH le lui demande, plus il lui sera difficile de convaincre son collaborateur de la pertinence de ce moment d’échanges et d’expression. L’intérêt intrinsèque de cet entretien peut être ainsi galvaudé et renforce la conviction de votre collaborateur que cet entretien ne sert à rien. Ne vous étonnez pas l’année prochaine si votre collaborateur traîne encore plus les pieds !
La direction générale et la direction des ressources humaines ont aussi un rôle certain à jouer dans la qualité de la démarche d’évaluation de l’entreprise. Combien de présidents et de directeurs généraux négligent l’évaluation de leurs collaborateurs directs alors même qu’ils leurs demandent à eux d’être exemplaires dans la mise en œuvre de cette démarche ?
 

UN ESCALIER SE BALAIE TOUJOURS PAR LE HAUT

 
Chers managers de managers, animer un entretien d’évaluation est un acte de management fondamental pour votre entreprise. C’est à vous de définir la ligne directrice et leur marge de manœuvre au titre des engagements qu’ils pourront prendre ou pas. C’est à vous de veiller à ce que vos managers préparent cette échéance réellement tout au long de l’année. Et la direction des ressources humaines alors ? J’observe dans de nombreuses entreprises, et ce fut également mon cas lors de mes premières missions de DRH, la situation suivante : nous, femmes et hommes des RH nous passons des heures à peaufiner un support d’entretien et à vanter les mérites de la démarche. Mais souvent, le seul fait d’avoir recueilli la copie de la majorité des entretiens effectués nous rend heureux. Nous recueillons les copies des supports d’entretien renseignés. Nous les lisons en diagonale, et hop ! Dans la boite en carton et aux archives. Stop, arrêtez de me jeter des cannettes ! J’ai bien conscience que je grossis le trait de façon caricaturale. Néanmoins, exploitons-nous réellement et pleinement la richesse des informations qui remontent ? Est-ce que le résultat des évaluations a un réel impact sur notre gestion des compétences et des évolutions professionnelles ? Nos  supports sont-ils toujours adaptés à l’opérationnalité de nos équipes ? Accompagnons-nous suffisamment les managers ? Sommes-nous concrètement à l’écoute de leurs difficultés ? Je laisse répondre à ces questions ceux qui me lançaient des cannettes. Et nous, chers collaborateurs évalués, sommes-nous blancs comme neige ? Ok, cet entretien illustre sans ambiguïté le lien de subordination qui nous lie à notre patron. Et alors ! Cela doit-il vraiment justifier que nous freinions souvent des quatre fers pour retarder au maximum cette échéance. Nous nous cachons derrière un « cela ne sert à rien » de circonstance pour râler car nous demandons, par exemple, une mutation depuis deux ans sans l’obtenir. Interrogeons-nous plutôt sur les raisons de cette situation. Nous donnons-nous les moyens d’obtenir ce que nous désirons. 
Ok, ton patron est un « c.. ». Il ne prépare pas les entretiens. Il ne retient que tes erreurs. Il ne respecte pas ses engagements. Il fixe des objectifs fantaisistes. Il ne t’écoute pas, etc. Si votre manager néglige votre entretien et sa préparation, prenez les choses en main ! Préparez-le de façon précise, par écrit, en mettant en valeur vos réussites et vos arguments. Evoquez également vos échecs en les analysant de façon factuelle. Mettez le doigt le cas échéant sur le manque de moyens, malgré peut-être les engagements pris l’année précédente. Proposez-lui des objectifs pour l’année à venir. Prendre l’initiative de la plume est très souvent un avantage. Envoyez-lui ce travail préparatoire quinze jours avant la date de votre entretien. Vous verrez, son attitude sera certainement différente à votre égard. Vous connaissez en général la période définie dans votre entreprise pour l’organisation des entretiens annuels. Donc, s’il n’anticipe pas la programmation de la date de votre entretien, faites-lui des propositions au gré de vos disponibilités. Agissez au lieu de subir !
 

NOUS CREVONS DANS L’ENTREPRISE DU MANQUE DE RECONNAISSANCE

 
De la direction générale au collaborateur lui-même, en passant par le manager et la direction des ressources humaines, tous responsables et tous coupables ? Planche savonnée pour les moins performants, dangereux pour la santé mentale de nos collaborateurs, « simulacre d’objectivité »… L’évaluation individualisée des performances fait peur. La concurrence qu’elle induit fait mal au ventre. Ces critiques ne sont pas nouvelles et nous continuons néanmoins à organiser annuellement ces entretiens. Nous continuons à les promouvoir et nous continuons à former les managers. Aberration mentale ? Je n’ose l’imaginer. Les raisons existent. Augmentation et primes, le gâteau se réduit. Qui aura la fève et la couronne ? L’entretien d’évaluation est aujourd’hui l’instrument de cette sélection. Son principe est détourné. Il permet de donner du sens à des décisions qui sont quelquefois prises sans consultation du manager direct. Dans un monde imparfait, il permet néanmoins de minimiser les risques d’iniquité. L’entretien d’évaluation sert, aussi, de façon prépondérante à évaluer la qualité de la relation managériale. L’analyse des entretiens ne servirait-elle pas essentiellement à évaluer le manager évaluateur ? Tel est pris qui croyait prendre ! Cette évaluation individualisée reste aujourd’hui légitime car, inconsciemment, les collaborateurs la souhaitent. Ils ont à cette occasion, même si elle est imparfaite, une reconnaissance de leur contribution et de leur identité. Nous crevons dans l’entreprise de ce manque de reconnaissance.  Les managers – pas vous, bien sûr, les autres – pêchent tellement dans cet exercice de la reconnaissance qu’on se raccroche tous à des artifices décriés, mais qui ont au moins l’avantage d’exister et d’être formalisés et suivis. 
 

NE PAS SUPPRIMER L’ENTRETIEN MAIS LE REPENSER

 
Dans un environnement de plus en plus collaboratif, cette évaluation individuelle a-t-elle du sens ? Nos fonctions induisent de nombreuses tâches immatérielles très difficilement observables. Notre performance individuelle est le fruit indéniable d’une collaboration avec nos pairs et de l’intelligence collective qui régissent ces relations. Faut-il donc renoncer à l’évaluation ou faut-il la repenser ? Je propose de transformer l'entretien individuel d'évaluation en donnant plus d’importance à l’entretien professionnel portant sur l'identification des difficultés rencontrées, des ressources mobilisées, des attentes de chacun, ainsi que sur les perspectives de progression professionnelle. Ce qui relève des rémunérations devra être impérativement déconnecté de l'évaluation d'objectifs et du projet professionnel. Chaque objectif défini donnerait lieu à un entretien spécifique. Des entretiens moins longs, plus fréquents et en phase avec le quotidien. L’enjeu sera aussi d’évaluer la coopération au sein de l’organisation et de proposer une évaluation de la performance collective par unité de travail. Cela permettra de mettre la coopération au centre de la professionnalisation des personnes et des équipes. Il conviendrait de définir ces espaces de coopération transversale et les indicateurs d’évaluation associés. Je vous propose de réagir à ces quelques pistes de réflexion et de me faire part de vos suggestions (alaindulucq@yahoo.fr) pour alimenter la rédaction d’un prochain article. 
 
À bientôt les vikings ! Et n’oubliez pas : « la joie précède la victoire. »