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Océan Indien

Les agences de pub sous pression créatives

Avec des clients qui veulent plus pour moins cher, des commissions sur achat d’espace qui ont été supprimées à La Réunion et pourraient l’être à Maurice, sans parler d’une concurrence qui se régionalise, les agences doivent plus que jamais se remuer les méninges. La Réunion et Maurice : deux marchés différents. Le premier se révèle plus mature avec un chiffre d’affaires qui est le double de ce lui de Maurice (174 millions d’euros contre 88 millions), mais il subit la crise de puis plusieurs années et les budgets marquent le pas. Le second accuse du retard, puisque les dépenses de publicité par habitant se révèlent trois fois inférieures à celle de La Réunion, mais il se situe dans une dynamique de croissance portée par le développement de la consommation, l’émergence des centres commerciaux, le boom de l’immobilier et la bonne tenue de l’automobile. La Réunion et Maurice : deux marchés de moins en moins différents et qu’il est intéressant de traiter dans un même article car on commence à y trouver des acteurs communs et le secteur n’échappe pas à une certaine globalisation.

Des marchés insulaires étroits

En tout bien tout honneur, l’agence la plus ancienne, Maurice Publicité, ouvre le bal. La vieille dame de 89 ans n’a pas pris une ride et profite pleinement de son affiliation au réseau Ogilvy. Son directeur général, Jean-Jacques de Robillard, annonce avec un large sourire que « 2012 a été sa meilleure année ». Mais le leadership du marché mauricien reste occupé par Circus qui a la particularité de faire partie d’un groupe diversifié de premier plan, Food And Allied, qui détient 70% de son capital. « En fait, la crise a juste forcé les annonceurs à faire évoluer leur manière de communiquer », précise le directeur général de Circus, Vincent Montocchio, qui est aussi le nouveau président de l’Association of Advertising Agencies (AAA). La plupart des agences confirment que l’année 2012 a été plutôt bonne. Mais quel ques signes d’inquiétude apparaissent pour 2013 avec le secteur touristique en berne et l’immobilier qui réduit fortement la voilure. Sans parler de l’augmentation du chômage qui aura forcément des impacts sur la consommation… Le marché mauricien demeure de toute façon étroit même si une bonne vingtaine d’agences y évoluent. Elles doivent proposer tous les services quitte à en sous-traiter certains. « Nous sous-traitons l'événementiel et les relations publiques car certaines agences sont bien plus spécialisées et équipées en ressources dans ces domaines. Nul ne peut être expert partout », reconnaît Sophie Maingard-Lagesse, directrice marketing de l'agence Black Martini. De son côté, Stéphane Chasteau de Balyon, patron de CapGraph, aimerait bien se spécialiser dans le branding car « c'est l'ADN d'une marque, mais le marché étant trop petit pour ne proposer que ces prestations, je suis obligé d'être généraliste ». Face à cette étroitesse d’un marché fortement concurrentiel, certains prospectent à l’extérieur, comme Florent Beusse, un Français qui dirige sa propre agence, Atoba. « Il y a encore vingt ans, il y avait un fossé entre Maurice et La Réunion. Aujourd'hui, certaines entreprises de communication de La Réunion sous-traitent une partie de leurs activités ici. Depuis 2011, je travaille régulièrement avec certains clients situés à Saint-Pierre, à La Réunion. Maurice … demandes de PME. » Une stratégie que met en oeuvre également Stéphane Chasteau de Balyon. « Nous avons l’avantage de proposer des prestations et des services de qualité européenne… à des prix mauriciens. »

Circus bien implanté à la Réunion

Ce chiffre d’affaires à l’export demeure relativement marginal pour la plupart des agences mauriciennes. En revanche, Circus est passée à la vitesse supérieure en s’implantant à La Réunion en 2006. Une opportunité qui s’est présentée du fait qu’elle représentait à Maurice l’agence Publicis qui est l’agence de Renault en France mais ne disposait pas de représentant à La Réunion. Dans un premier temps, Circus a été retenue par Automobiles Réunion (groupe Bernard Hayot), le concessionnaire Renault, en association avec l’agence réunionnaise Nautilus, avant d’être seule attributaire de ce marché qui pèse lourd. Circus a dû alors ouvrir une structure à La Réunion, en profitant pour emporter d’autres marchés : Produits pays, Royal Bour bon, aéroport Roland Garros et EDF. Le scénario est un peu le même pour le Réunionnais Master, premier groupe de communication dans la région, qui a ouvert en 2006 son agence FactoWE à Maurice parce qu’il travaillait pour la marque Orange à La Réunion et à Madagascar où Facto Saatchi & Saatchi occupe la deuxième place du marché. FactoWE a donc travaillé pour Orange à Maurice… avant de perdre le budget en 2011. Un coup dur pour l’agence qui remonte aujourd’hui la pente avec un nouveau directeur, Jean-Luc Ahnee, et vient de conquérir des budgets comme Pepsi Cola et Banque des Mascareignes. Les deux acteurs se livrent désormais une sévère concurrence à l’échelle régionale puisque Circus s’est implantée à Madagascar en 2012 (lire notre encadré à ce sujet). C’est aussi une manière pour les deux agences de décliner géographiquement le concept de la communication 360°. Un concept qui a le vent en poupe et consiste à mobiliser tous les points de contact avec le consommateur en profitant du boom de l’Internet et des mobiles. C’est pourquoi les principales agenes ont créé des départements ou carrément des agences dédiées à ces nouveaux outils. « L'arrivée, il y a cinq ans, du nu mérique a bousculé l'offre. C'est une petite révolution pour nos métiers. Le comsommateur devient acteur », explique Priya Thacoor, directrice de l’agence P & P Link. Cette agence représente à Maurice Saatchi & Saat – chi, une carte qui est en train de changer de main, le groupe Publicis ayant décidé de l’attribuer à Circus à des fins de regroupement de ses enseignes (voir notre encadré à ce sujet). L’évolution actuelle des marchés et des comportements des consommateurs influe évidemment sur les demandes des marques qui ne se satisfont plus de campagnes de communication mono-support. Avec les réseaux sociaux et le « street marketing », par exemple, les agences ont dû adapter leur offre et leur organisation pour pouvoir couvrir l’ensemble du spectre de ces médias, remettant du coup le contenu au coeur même  de toute communication. En d’autres termes, elles doivent parfois imaginer des campagnes déclinables dans tous les médias : du Web à la rue. Un exercice difficile sur des petits marchés insulaires où les honoraires des agences se heurtent à la modestie des budgets. Le 360° est dans l’air du temps, en tout cas. « C’est déjà notre modèle chez Luvi Ogilvy », déclare Luis Vieira, patron de cette agence, leader du marché réunionnais au coude à coude avec Facto Saatchi & Saatchi. Et de citer les résultats d’un sondage réalisé par MediaSchool Group auprès des étudiants européens en communication et marketing : 85% estiment que les agences spécialisées sur le digital et les médias sociaux disparaîtront d’ici dix ans pour devenir partie intégrante des agences 360°.

A la réunion, la crise se ressent

À La Réunion comme à Maurice, la plupart des agences demeurent d’ailleurs généralistes, mais en visant parfois certains segments du marché. C’est le cas de Zoorit, créée par Thomas Giraud en 2002. Ce dernier s’intéressait surtout à la 3D au départ et voulait lancer une activité de création d’images de synthèse. Finalement, il a évolué très vite vers l’activité d’agence et fait même par tie de l’AACC (Association des agences con seils en communication), tout en conser vant une bonne spécialisation en 3D, un outil qu’il met au service de clients institutionnels comme la Civis, la Cirest, le TCO (des communautés de communes), la SIDR (maître d’ouvrage social) et la mairie de Saint-André. Pas de très gros client pour cette structure de six personnes, mais un bon portefeuille de clients moyens (en terme de budget). « Nous ressentons la crise, souligne Thomas Giraud, qui a été con firmée par une baisse des investissements publicitaires de 20% au premier trimestre (Source : Pigé), surtout dans le non engagement des annonceurs sur le long terme. D’où notre idée de développer l’institutionnel où des budgets ont déjà été programmés. » Même son de cloche du côté d’Alain Graulich qui reconnaît que « les agences sont impactées par la crise même s’il y a de grandes disparités entre les secteurs en termes d’investissements publicitaires, certains étant en progression et d’autres en baisse ». Le patron de l’agence Nautilus et président de l’AACC Réunion et Outre-mer depuis sept ans devrait passer le relais prochainement après avoir démissionné de son poste de président en mai. Une élection a été programmée le 18 juin. Ce passionné de la « vision culturelle de la marque », qu’il aime partager avec ses clients, présente Nautilus comme une « agence conseil en stratégie et communication de marques ». « Un docteur en sociologie, Christian Petit, travaille avec nous en recherche & développement et nous avons élaboré un concept de stratégie méticulturelle (méti pour métissage), une appellation déposée. » Alain Graulich s’intéresse à Maurice depuis 1985 et a eu l’occasion d’y travailler avec Publico et Créad. En 2009, il y a ouvert une antenne en vue d’accompagner l’implantation de son client réunionnais Vogue qui opère dans le prêt-à-porter. Finalement, cette implantation ne s’est pas faite, mais Nautilus est restée, travaillant un certain temps pour MrBricolage et maintenant pour Evaco et d’au tres clients occasionnels. « Mon objectif à Maurice n’est pas forcément de faire du budget, mais de partager notre vision culturelle de le marque. » À la tête de l’AACC, il s’est d’ailleurs attaché à améliorer le dialogue entre les agences et leurs clients en éditant un « Guide de la relation entre l’an non ceur et l’agence conseil en communication ». Avec la loi Sapin, qui impose une totale trans parence sur l’achat d’espace, qui est toujours facturé à l’annonceur, même si l’agence peut être mandatée pour le commander et éventuellement le payer, les agences réunionnaises sont depuis long temps con frontées à cette valorisation du conseil. C’est leur gagne pain même s’il existe plusieurs centrales d’achat d’espace qui jouent sur le volume pour récupérer des remises qu’elles peuvent partager avec les annonceurs, à condition que ceux-ci le veuillent bien. À Maurice, il n’existe pas d’équivalent à la loi Sapin et les agences bénéficient, en règle générale, d’une remise de 20% sur l’achat d’es pace qui leur permet de se rémunérer. Un système pas forcément cohérent puisque le volume d’achat d’espace n’est pas toujours proportionnel à celui de la création et du conseil. En clair, une agence peut apporter beaucoup de conseils et de création, mais avoir un budget très limité pour les campagnes. Elle devra alors négocier dur pour faire reconnaître sa matière grise à sa juste valeur. À l’inverse, une agence peut apporter peu de valeur ajoutée en création, mais gérer un budget important pour l’achat d’espace. Cela conduit certains clients à demander la rétrocession d’une partie des commissions de 20% ou encore à créer leur propre agence pour acheter leur espace. Une astuce qui profite du fait qu’il n’existe pas vraiment de label « agence de publicité » clairement reconnu et que les médias accordent facilement les fameux 20%. « Je crois que l’équivalent de la Loi Sapin à Maurice serait une bonne chose, n’hésite pas à déclarer Jean- Luc Ahnee, directeur général de l’agence FactoWE. Cela permettrait de mieux valoriser la création et le conseil. » D’autant que le système des commissions n’est pas forcément à l’avantage des petites agences qui ne disposent pas du volume d’achat leur permettant de négocier des avantages supplémentaires auprès des médias. Les deux premières agences de l’île – Circus et Maurice Publicité – ont créé avec P & P Link une centrale d’achat d’espace, Touch Point, qui effectue aussi des études de marché. Elle se retrouve en position de force pour négocier des prix lors de ces achats d’espace. Reste à savoir si la transparence est de mise avec les annonceurs… Quoi qu’il en soit, les agences de pub doivent répondre à des besoins de plus en plus complexes et prendre en compte cette fameuse communication 360°. Les trois associés de l’agence réunionnaise Globe, Jean-Philippe Cordier, Philippe Bonhomme et Julien Malod, se présentent comme des « entrepreneurs de la communication » et veulent développer tous les métiers connexes. Ils ont d’ailleurs quitté l’AACC parce que « sérail rime avec bétail » et rejette une vision de la « pub paillettes ». Ils se sont lancés dans la production audio-visuelle avec deux émissions télé sur Réunion 1ère : « Cash », un jeu en « prime time », tous les soirs, qui permet de découvrir La Réunion et « En l’air » tous les samedis, des mini reportages et portraits de jeunes Dionysiens. Ils dis posent aussi de leur propre agence Une campagne Cap Graph. conseil en stratégie numérique, La Matrix, depuis 2008. « Nous avons été l’unes des première agences à employer des community managers qui interviennent sur les réseaux sociaux. » Une autre filiale, Event 56, s’occupe de communication événementielle, de « street marketing » et d’organisation de concerts, de congrès et de séminaires… « On se sert de tous les canaux disponibles. » Pour les 150 ans de l’assureur La Prudence Créole (groupe Generali), un clip musical a été réalisé avec des personnalités et des artistes réunionnais. Les trois associés se font visiblement plaisir avec cette communication 360° qui laisse libre cours à une forte créativité. Et c’est là sans doute que réside l’avenir de la pub.

 

Confrontation régionale pour master et circus

François Mandroux, le directeur général du groupe Master, explique que l'implantation de son groupe dans la région est naturelle « puisqu’il existe une unité linguistique et géographique. De plus, les grandes marques internationales veulent qu'on respecte leur cohérence et, en même temps, elles désirent être dans le tissu régional… Cela est perceptible avec les demandes de Pepsi Cola qui a retenu nos services pour sa communication axée sur le concept Live for now. » Master est présent à La Réunion, sa base historique, et à Madagascar et à Maurice sous l’enseigne Saatchi & Saatchi. « Nous croyons à un marché commun de l’océan Indien », déclare François Mandroux qui est d’ailleurs vice-président du Club Export Réunion après en avoir été le président. Master détient la carte Saatchi & Saatchi à La Réunion et à Madagascar, mais pas à Maurice où Circus, représentant de Publicis, devrait se la voir confier. Pour les marchés de La Réunion et de Madagascar, il semble que ça soit le statu quo, Publicis ne souhaitant pas déstabiliser les agences de Master qui développent plutôt bien son enseigne sur ces marchés. Les deux groupes se livrent d’ailleurs une redoutable concurrence à La Réunion et à Maurice, où Circus a récupéré Orange, alors que Master accompagne ce client à La Réunion et à Madagascar. La concurrence Master- Circus s’étend maintenant à la Grande île où l’agence du groupe Food And Allied s’est implantée en 2012.