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Nathalie Job, du cabinet d’étude Kantar Océan Indien
Maurice

Les entreprises en marche vers la normalisation du télétravail

Le télétravail est désormais une réalité pour de nombreux salariés mauriciens même s’il se combine souvent avec du travail dans les locaux de l’entreprise. Cette transition ne se fait pas sans difficulté…

Nathalie Job, du cabinet d’étude Kantar Océan Indien
Nathalie Job, du cabinet d’étude Kantar Océan Indien : « Trente-quatre pour cent des actifs interrogés en mai 2020 ont déclaré avoir continué à travailler depuis leur domicile. »   Photo : Davidsen Arnachellum
 

Kantar, cabinet d’études, a sondé les Mauriciens en mai 2020 suite au premier confinement au sujet de l’impact de la pandémie sur le travail. Les résultats parlent d’eux-mêmes. « Trente-quatre pour cent des actifs interrogés ont déclaré avoir continué à travailler depuis leur domicile (…) On n’a pas demandé cela en 2021, mais je pense que ça doit être la même chose, voire un peu plus car les gens étaient mieux préparés », avance Nathalie Job, directrice chez Kantar Océan Indien. Vingt pour cent ont continué à se rendre au travail ; il s’agit sans doute de ceux qui travaillaient dans ce qu’on appelle les services essentiels – grande distribution, alimentation, santé et sécurité, par exemple. Les 46 % restants n’ont pas travaillé ou ont largement diminué leur activité. « Je sais de source sûre qu’on a enregistré de très bonnes ventes d’ordinateurs portables de mai à septembre 2020. C’est un signe que les gens se sont préparés. » 

L’expérience du télétravail, qui a été une première pour beaucoup, s’est avérée plutôt positive : 45 % de ceux-là ont dit vouloir négocier en faveur du télétravail partiel auprès de leur employeur et 47 % ont estimé qu’ils étaient davantage productifs à la maison. Cependant, plus d’un tiers, soit 36 %, avaient hâte de retourner en entreprise. « Il y en a qui auraient été intéressés sous certaines conditions car ils avaient des enfants en bas âge et n’avaient pas forcément quelqu’un pour s’en occuper. Je pense que durant la deuxième vague, il y a eu une meilleure organisation. Mais pour eux, cela a été stressant », explique Nathalie Job. 

Un choc culturel 

Il semble qu’au-delà de l’aspect pratique et de la nécessité imposée par la crise, un des facteurs qui joue énormément est la pratique managériale à Maurice. « Les entreprises n’étaient pas du tout prêtes. Le télétravail n’était pas dans la culture ; il y avait quand même cette arrière-pensée que quand on est à la maison, on ne fait rien. Tout cela est lié à un type de management, par la confiance, pour lequel on a du mal à Maurice (…) cela malgré les dizaines d’heures de cours en leadership. Il y a un manque d’alignement entre les mots et la pratique. Plus on monte dans les hiérarchies, plus on a du mal à faire confiance aux équipes, explique Nathalie Job. Au-delà de l’aspect pratique et technique, c’est le point qui fait que le télétravail est réussi ou pas. Les outils n’étaient pas LE problème. » 

Jennifer Webb de Comarmond, CEO d’Adecco, cabinet de recrutement, abonde dans le même sens. Pour elle, « il est important de mettre au centre des interactions virtuelles la confiance et la connexion humaine. Pour cela, l’empathie et la flexibilité sont des compétences essentielles sur lesquelles nous accompagnons les équipes ». 

Le télétravail nécessite une adaptation technique et matérielle. « Les entreprises souhaitent mieux s’équiper afin d’être à la hauteur de ce nouveau mode de travail. Nos clients offrent maintenant la possibilité à leurs employés d’avoir un espace physique adéquat et du mobilier de travail ergonomique chez eux », explique Jennifer Webb de Comarmond qui a lancé en 2020 Travaylakaz dont la vitrine est un site internet. Travaylakaz propose la location de mobilier de bureau destiné aux salariés qui doivent se créer un espace de travail à domicile. 

Un besoin qui se fait réellement sentir est celui de la montée en compétence, s’agissant de la gestion des équipes et des opérations elles-mêmes car, faut-il le rappeler, le télétravail est une toute nouvelle manière de travailler pour beaucoup, même les managers, qui manquent de repères. « Nos clients travaillent aussi avec notre équipe de psychologues, formateurs et coachs sur la façon de mieux travailler de la maison, à travers l’acquisition des compétences telles que l‘agilité, la résilience, ou encore le management des équipes à distance », ajoute Jennifer Webb de Comarmond. 

 

De g. à dr., Clarel Constance, Denis Lam et Pierre Yves Harel (fondateur), directeurs de FRCI. Pour FRCI, l’enjeu de la transformation numérique pour les entreprises est de pouvoir opérer de partout avec leurs clients.
De g. à dr., Clarel Constance, Denis Lam et Pierre Yves Harel (fondateur), directeurs de FRCI. Pour FRCI, l’enjeu de la transformation numérique pour les entreprises est de pouvoir opérer de partout avec leurs clients.  Photo : Davidsen Arnachellum
 

L’incontournable digitalisation 

Les entreprises du numérique, qui ont le vent en poupe, doivent néanmoins s’adapter aux nouvelles demandes de leurs clients et être agiles afin de répondre à un volume de demandes jamais connu auparavant. En effet, le télétravail entraîne plus de digitalisation.

C’est le cas de Rogers Capital Technology, une filiale du groupe Rogers. L’entreprise se positionnait jusqu’à tout récemment comme un one-stop shop (guichet unique) pour les grosses entreprises qui souhaitent se digitaliser. Présente sur 11 territoires, notamment dans l’océan Indien, elle opère trois data centers et offre même des solutions de connexion internet privée. Elle enregistre aujourd’hui des demandes de la part des petites entreprises. 

Rogers Capital Technology veut capitaliser sur sa taille et son expertise pour proposer de la valeur ajoutée à ses clients sur toute leur chaîne de valeur. Au-delà de la préservation de l’activité, la cybersécurité fait partie des aspects primordiaux d’une bonne transition numérique, avance Dev Hurkoo : « Cela va de pair. » En effet, avec le télétravail et la digitalisation du monde des affaires en général, les vulnérabilités digitales prennent de plus en plus d’importance. « Lorsqu’on adopte le télétravail, c’est la responsabilité des entreprises de protéger leurs données et celles de leurs clients. Par exemple, dans le cas de ceux qui travaillent dans le secteur du BPO (externalisation des services), ils traitent des informations de clients européens et ils doivent respecter des règles comme le RGPD. Quand vous travaillez de chez vous, il faut avoir le même niveau de sécurité qu’au bureau. Nous offrons aussi la formation adéquate. (…) Nous avons constaté pendant la pandémie que le nombre de data leakages et identity thefts (fuites de données et usurpations d’identité) avait augmenté. » 

 

Dev Hurkoo, Managing Director de Rogers Capital Technology
Dev Hurkoo, Managing Director de Rogers Capital Technology : « La priorité d’une entreprise est la continuité du business même si les équipes travaillent chez elles. »  Photo : Davidsen Arnachellum
 

Une des forces de Rogers Capital, de par sa taille, est sa capacité d’accompagner financièrement les entreprises dans leur transition. La digitalisation va plus loin qu’une transformation opérationnelle, elle transforme le business model des entreprises. L’exemple type est le développement du commerce en ligne par différentes entreprises, même si cette tendance va s’atténuer après le retour à la normale. La digitalisation requiert de l’investissement, faut-il le rappeler. « Pas mal d’entreprises sont en difficulté et veulent réduire leurs coûts. On sait le faire à travers la technologie. Au lieu de faire des dépenses d’investissement (Capex, en anglais) nous leur proposons des dépenses opérationnelles (Opex). » Ce genre de réaction est typique en temps de crise. « C’est l’avantage que nous avons. Nous pouvons toucher un maximum d’entreprises. » Rogers Capital Technology s’appuie ainsi sur Rogers Capital Finance pour proposer des montages pour financer cette transition. 

Le but : un espace de travail moderne 

Chez FRCI, aujourd’hui entreprise associée du groupe ENL, mais fondée par Pierre Yves Harel il y a 30 ans, l’accompagnement des entreprises dans la transition vers le télétravail date de plusieurs années. « Depuis quelques années, nous parlons à nos clients de la modern workplace (lieu de travail moderne) : cela implique, entre autres, la liberté des contraintes traditionnelles. Le deuxième point est la sécurité et le troisième est la possibilité de travailler de manière sécurisée sur n’importe quel appareil », explique Clarel Constance, directeur des opérations (COO) de FRCI. « Je pense qu’il faut parler d’agilité et de flexibilité et le troisième point est le plus important : la possibilité de transact from anywhere (faire des transactions de n’importe où). Les demandes de nos clients étaient déjà là avant la pandémie ; les solutions que nous créons étaient conçues pour cela, ajoute Denis Lam, directeur chez FRCI. Il est vrai que la demande a été accentuée depuis la pandémie. Le but de nos solutions est de permettre à nos clients de pouvoir faire des affaires avec leurs clients n’importe où. » 

 

Pour répondre à un nouveau besoin, Jennifer Webb de Comarmond, CEO d’Adecco, a lancé « travaylakaz.mu » qui propose la location de mobilier pour les employés qui travaillent chez eux.
Pour répondre à un nouveau besoin, Jennifer Webb de Comarmond, CEO d’Adecco, a lancé « travaylakaz.mu » qui propose la location de mobilier pour les employés qui travaillent chez eux.  ©Droits réservés
 

La transition numérique pour la création d’une modern workplace d’une entreprise équivaut à l’extension de son système informatique. Pour ce faire, le cloud (qui permet l’accès à des services informatiques) prend de plus en plus d’importance. « Quatre-vingt dix pour cent des entreprises, grosses et moyennes principalement, qui travaillent aujourd’hui avec nous dans la région ont basculé de services on premise (sur place) pour adopter les solutions cloud », avance Clarel Constance. 

Pour Pierre Yves Harel, directeur-fondateur de FRCI, il se dessine trois catégories de clients : les entreprises qui débutent leur transition par nécessité et qui ont besoin d’être accompagnées, celles qui avaient déjà entamé leur transition et qui ont besoin d’un coup d’accélérateur et celles qui « y sont jusqu’au cou » car cela fait partie de leur développement. 

Une chose est claire, le télétravail ne sera adopté que partiellement. « Il ne faudrait pas que le côté technologique mette l’humain sur la touche. Le télétravail a été une obligation. Aujourd’hui, nous avons une réalité mixte. Ce que personne ne souhaite, c’est que les gens se réfugient derrière leurs avatars. On veut que très vite on retrouve l’humain et que cette expérience et les innovations remettent l’humain au centre », conclut Pierre Yves Harel.