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Maurice

Les nouveaux visages du tourisme mauricien

1 nov 2017 | PAR Thierry Chateau | N°324
« Dans le tourisme vert, on est moins dans la consommation, plus dans le respect de la nature, la découverte, le partage, l’expérience et, pour certains, dans l’effort physique. » DR
Après une décennie plutôt difficile, le secteur a renoué avec une croissance à deux chiffres. Mais l’hébergement hors hôtel a explosé et de nouveaux besoins se font sentir pour demeurer dans la course et améliorer les recettes.

« Le tourisme a connu des moments difficiles, plus particulièrement l’hôtellerie, avec des retards dans les investissements et de mauvais choix », lance Jean-Louis Pismont, président de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM). 
En 2009, la destination a même connu une décroissance dans les arrivées et elle a peiné les années suivantes pour atteindre le million de visiteurs, une barre finalement tout juste franchie en 2014.  Mais Maurice a su surmonter la crise et repartir, grâce à deux années de croissance à deux chiffres, en 2015 et 2016, et des revenus s’établissant à un niveau record de 55 milliards de roupies (environ 1,4 milliard d’euros) en 2016. Les groupes hôteliers ont réduit leur endettement et s’activent dans les rénovations. Après un moratoire de deux ans, les constructions d’hôtels redémarrent. Le ministère du Tourisme a donné son accord pour le développement d’environ un millier de chambres supplémentaires sur les deux ou trois prochaines années. L’hébergement hors hôtel a explosé, passant d’une capacité d’un peu moins de 3 400 chambres en 2008 à presque 8 300 chambres aujourd’hui. 

UN OBJECTIF DE DEUX MILLIONS DE VISITEURS EN 2030

L’offre aérienne s’est nettement améliorée avec une augmentation graduelle des sièges disponibles passant de 1,5 million en 2009, le plus bas de la décennie, à près de 2,1 millions en 2016, avec l’ouverture de nouvelles dessertes et l’augmentation des fréquences. Selon les prévisions du secteur, la destination pourrait accueillir 1,7 million de visiteurs en 2025 et atteindre la barre des 2 millions de touristes en 2030. 
La capacité hôtelière passerait de 13 600 chambres aujourd’hui à plus de 18 000 chambres en 2025 et l’hébergement hors hôtel frôlerait la barre des 10 000 chambres. De quoi réaliser des recettes de plus de 75 milliards de roupies (environ 1,9 milliard d’euros). 
« Que voulons-nous faire et que pouvons-nous faire ? Toute la question est là. Pouvons-nous augmenter le nombre de visiteurs et que doit-on faire pour y arriver ? », interroge Raj Bhujohory, président du conseil d’administration de la Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA).
Pour l’instant, les opérateurs ont d’autres impératifs. Gérer le Brexit et le recul de la livre sterling, l’affaiblissement de l’euro, le déséquilibre entre les saisons, la faiblesse des dépenses moyennes par visiteur ou encore la régression du marché chinois qui s’annonçait très prometteur. Tout cela a quelque peu freiné les ardeurs… Si Maurice demeure une destination refuge, l’industrie touristique reste fragile et il lui est difficile de voir au-delà de trois ou cinq ans. 
 

Jean-Louis Pismont, président de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM) : « Le tourisme a connu des moments difficiles, plus particulière-ment l’hôtellerie, avec des retards dans les investissements et de mauvais choix. »
Jean-Louis Pismont, président de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM) : « Le tourisme a connu des moments difficiles, plus particulière-ment l’hôtellerie, avec des retards dans les investissements et de mauvais choix. »  DR
 

DE NOUVEAUX PROFILS DE TOURISTES

« La pression sur les sites est plus forte que jamais, même si on est encore loin du seuil de tolérance », insiste Jocelyn Kwok, le CEO de l’AHRIM. Il est clair que le nombre de plages pouvant accueillir des hôtels est limité. Pire, les plages de certains hôtels, sous l’effet de l’érosion, reculent à un rythme alarmant, dans le Sud-ouest et dans le Sud… Un comble pour une destination plage ! 
Le profil du visiteur a changé, au fil des années. Avec neuf gros marchés – la France, La Réunion, l’Afrique du sud, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et la Suisse, plus l’Inde et la Chine - fournissant l’essentiel des touristes, il y a donc une variété d’attentes. La clientèle est avide de nouveaux produits. Et elle n’attend que ça, surtout ceux qui reviennent régulièrement (30% du nombre total de touristes sont déjà venus). Destination plage par excellence, Maurice ambitionne plus que jamais de s’imposer, dans les années à venir, comme l’île préférée des vacanciers. Que doit-elle faire pour y arriver ? Quel visage offrira-t-elle dans dix ou quinze ans pour être une destination de classe mondiale ? Une première évidence, selon Jean-Louis Pismont :
« Maurice sera toujours une destination plage mais avec une ouverture sur la nature, sur l’histoire et le patrimoine plus importante. » L’Europe restera le marché de base à cause de la nature même du produit touristique mauricien. Il faudra cependant continuer de l’ajuster par rapport aux attentes des marchés émergents. Pour le groupe Sun Resorts, c’est chose faite. Dans l’un de ses établissements, le Four Seasons, 20% des visiteurs viennent d’Asie. « À l’avenir, nous voulons dépendre de moins en moins de la clientèle européenne. Mais pour attirer les Asiatiques il faut miser sur les marques », insiste David Anderson, CEO du groupe hôtelier. C’est pour cette raison que, depuis que les marchés asiatiques se sont  ouverts, Sun Resorts s’est associé à Four Seasons, puis à Shangri-La, des labels de renommée internationale. Le groupe hôtelier compte accentuer ce positionnement à l’avenir.

COMMENT GÉNÉRER DE NOUVELLES RECETTES

La dépense moyenne par touriste reste encore basse, à 4 300 roupies (108 euros) par nuitée en moyenne pour les 1 275 227 visiteurs recensés en 2016. L’Européen fait en moyenne 1,7 excursion  durant un séjour moyen de 9 nuits. Le Chinois, lui, en fait 5 sur 7 nuitées… La dépense dans l’hébergement, sauf dans le cas du segment de grand luxe, a atteint un palier. Si l’on veut l’augmenter, il faut donc miser sur tout ce qui est hors-hébergement… « L’avenir de l’industrie touristique se situe dans tout ce qui existe entre l’avion et l’hôtel », fait ressortir Jocelyn Kwok. On parle de plus en plus d’éco-tourisme. Mais Bruno Lebreux, directeur exécutif du réceptif Concorde, membre du conseil exécutif de l’AHRIM et du Mauritius Star Rating Committee, tire la sonnette d’alarme sur le problème d’érosion qui, selon lui, n’est pas assez pris au sérieux. « Maurice a de meilleurs produits que nos concurrents directs, les Seychelles ou les Maldives, et nos sites sont plus accessibles que ceux de La Réunion », insiste-t-il.
« Nous avons réussi à associer le bleu du lagon au vert de la nature, alors que les destinations concurrentes pourront plus difficilement le faire », ajoute Yan de Maroussem, patron de Yanature, prestataire en éco-tourisme et spécialiste des randonnées en pleine nature depuis 2004. Selon lui, la demande existait depuis plusieurs années, il suffisait de l’identifier. « Les Européens sont friands d’excursions, mais ils ne se doutaient pas qu’à Maurice il y avait un tel potentiel. Par la suite, c’est la clientèle asiatique qui a commencé à affluer », explique-t-il. L’éco-tourisme a donc de belles années devant lui. De grandes possibilités avec les domaines (agricoles ou de chasse) qui s’ouvrent de plus en plus, mais surtout parce que le visiteur est attiré par ce type de prestation. « Dans le tourisme vert, on est moins dans la consommation, plus dans le respect de la nature, la découverte, le partage, l’expérience et, pour certains, dans l’effort physique », explique le patron de Yanature.
 

Si son bleu reste déterminant, la destination mauricienne souhaite y ajouter du vert, mais aussi d’autres atouts comme le shopping et les casinos.
Si son bleu reste déterminant, la destination mauricienne souhaite y ajouter du vert, mais aussi d’autres atouts comme le shopping et les casinos.     DR
 

IMAGINER DE NOUVELLES OFFRES

À l’avenir, il faudra diversifier les offres, développer les combinés plage-montagne ou mer-forêt, voire les activités de jour et les activités de nuit… « Maurice a encore plus à offrir que ses plages, ses lagons et le sens de l’accueil des Mauriciens. Le patrimoine historique, la riche culture de l’île et le développement des loisirs doivent être mis davantage en avant », fait ressortir François Eynaud, CEO du groupe hôtelier VLH (Veranda Leisure and Hopitality). Pour Jocelyn Kwok, il faudrait valoriser des localités comme Mahébourg et Pamplemousses, ou comme le petit village de Chamarel… Un nouveau concept est en train de voir le jour dans cette localité, nichée au creux de la chaîne montagneuse de Rivière Noire. « Spirit of Chamarel » s’est constitué en syndicat d’initiative et va regrouper les différents prestataires de services touristiques (hébergement, restauration, loisirs) autour d’un bureau d’information, le tout relié par des voies d’accès pédestres. Pour aller plus loin, il faudrait ajouter de la valeur à la destination, comme le fait ressortir Raj Bhujohory. D’autant plus qu’en matière de shopping, de vie nocturne et de casinos, Maurice a encore du chemin à faire. « Pour attirer davantage la clientèle, surtout celle qui nous vient d’Asie, nous devrons enrichir l’offre ‘night life’ et le shopping », estime François Eynaud qui se positionne lui aussi sur le marché asiatique. Pour s’adapter aux besoins de la clientèle des marchés émergents, l’industrie devrait aussi repenser sa politique d’hébergement. « À l’avenir, on aura besoin de différents types d’établissements, peut-être plus d’hôtels de ville, de boutique-hôtels, de gîtes, etc. », suggère Raj Bhujohory.
 

Raj Bhujohory, président du conseil d’administration de la Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA) : « À l’avenir, on aura besoin de différents types d’établissements, peut-être plus d’hôtels de ville, de boutique-hôtels, de gîtes, etc. »
Raj Bhujohory, président du conseil d’administration de la Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA) : « À l’avenir, on aura besoin de différents types d’établissements, peut-être plus d’hôtels de ville, de boutique-hôtels, de gîtes, etc. »  DR
 

LES INFRASTRUCTURES ET LES SERVICES DOIVENT SUIVRE

Mais si les hôteliers s’occupent des hôtels et les réceptifs des transferts, qui va s’occuper de la destination elle-même ? L’État, logiquement. En matière de transports, de sites d’intérêt et de culture, un gros effort doit être fourni. Une meilleure signalétique, un entretien des sites, l’aménagement des musées, la valorisation du patrimoine culturel…Dès qu’il sort de son hôtel, le touriste n’est pas assez informé, protégé, sécurisé. Il y a une articulation à trouver entre le produit et les canaux de distribution. Le rôle des réseaux sociaux est crucial et va s’accentuer, avec une clientèle de plus en plus connectée. « Assis devant son ordinateur à Paris, le visiteur veut pouvoir choisir ses prestations en ayant un maximum d’informations », fait ressortir Jocelyn Kwok.
Pour accueillir 1,7 million de visiteurs en 2025, il faut une conjugaison de facteurs. « Il nous faut de bons produits et une bonne connectivité », insiste Raj Bhujohory. Pour le Chairman de la MTPA, Maurice doit miser sur le concept de « meilleure destination proposant les meilleures marques ». Enseignes hôtelières de renom, produits de luxe, événements internationaux… « Une telle conjugaison va booster le trafic et le flot de visiteurs », estime-t-il.

LA STRATÉGIE AÉRIENNE RESTE DÉTERMINANTE

Avec la venue récente du géant mondial KLM, la destination mauricienne peut désormais compter sur le hub d’Amsterdam pour intensifier sa capacité aérienne, sur l’Europe mais aussi sur une partie du monde, avec notamment une forte présence en Afrique de l’Est grâce au partenariat KLM/Kenya Airways. Si Emirates, avec ses deux vols quotidiens, peut difficilement mieux faire, on peut imaginer intensifier les fréquences sur le hub de Heathrow, au Royaume-Uni. Avec ses investissements dans de nouveaux avions, Air Mauritius devrait revoir sa stratégie sur l’Europe. « Sur certains marchés où la destination a un bon rayonnement, il faut qu’il y ait des fréquences plus régulières toute l’année », propose Raj Bhujohory. Reste la Chine, où un partenariat serait souhaitable avec une compagnie aérienne chinoise. Et l’Inde, avec le hub de Mumbai, où il y a encore de la marge pour augmenter les fréquences. « Maurice doit s’inspirer de Dubaï, tout comme celle-ci s’est inspirée de Singapour », suggère encore Raj Bhujohory. Mais comme Maurice n’est ni Dubaï ni Singapour, elle devra forger son propre destin. Sur ce point, tout le monde est d’accord : il faut adopter une approche collégiale. « Le tourisme est une industrie d’avenir et notre destination possède de très belles perspectives si nous agissons collectivement sur tous les leviers »,  conclut François Eynaud. 
 

Pour Jocelyn Kwok, président de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM), il faudrait valoriser des localités comme Mahébourg et Pamplemousses, ou comme le petit village de Chamarel.
Pour Jocelyn Kwok, président de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM), il faudrait valoriser des localités comme Mahébourg et Pamplemousses, ou comme le petit village de Chamarel.  DR
 
DIVERSIFICATION DU MARCHÉ EUROPÉEN
La clientèle européenne représente les deux tiers des visiteurs de Maurice, la France en tête avec 271 963 touristes en 2016, suivie de La Réunion (146 203), les statistiques faisant la différence entre ces deux marché différents. Au total, Français de Métropole et de La Réunion représente un tiers des 1 275 227 touristes qui se sont rendus à Maurice. Les Britanniques occupent toujours la troisième place avec 129 754 visiteurs, ce qui représente un peu plus de 10%. Et de nouvelles clientèles progressent comme celle des Allemands dont le nombre a bondi de + 37,9%, à 103 761 visiteurs. En revanche, le nombre de touristes chinois est en chute de 11,4%, mais représente quand même 79 374 visiteurs.  
CES FERMES AQUACOLES QUI EFFRAIENT
Verra-t-on un jour des fermes aquacoles un peu partout autour du littoral, comme le préconise l’État dans son plan de développement d’une économie océanique diversifiée ? Cette perspective effraie les hôteliers. « Nous sommes conscients que l’économie bleue est inexploitée et qu’elle a du potentiel, mais faire de l’aquaculture à une telle échelle est démentiel », s’insurge Jean-Louis Pismont, président de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM). Ce dernier estime qu’il y a un manque de sérieux par rapport aux projets d’aquaculture et à leur étendue.
L’ENJEU DE LA FORMATION
Avec 30 000 emplois directs et environ 100 000 emplois indirects (chauffeurs de taxi, agents de sécurité, fleuristes, pêcheurs, agricul-teurs…), l’industrie touristique est un gros employeur. Avec l’agrandis-sement du parc hôtelier, le besoin de main d’œuvre va s’accentuer et le nombre d’emplois devrait rapidement atteindre la barre des 200 000. Cette équation constitue un casse-tête pour les hôteliers. Car la concurrence internationale est rude sur le marché du travail mauricien. Les professionnels s’embarquent par centaines, chaque année, sur les bateaux de croisières ou se font embaucher à l’étranger. D’où l’importance d’un système de formation adéquat… 
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Les nouveaux visages du tourisme mauricien

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