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Les perspectives d’une filière du bio à La Réunion

En fort développement depuis 2010, la filière agrobiologique affiche aujourd’hui des besoins d’organisation de son marché. Une industrie de transformation apporterait un relais de croissance, y compris à l’export.

En application de la stratégie nationale de développement durable, la production agrobiologique, à La Réunion, a bénéficié, depuis 2010, de soutiens accrus et d’une proposition de commande publique importante pour la restauration scolaire. Le nombre d’exploitants en agrobiologie a très fortement progressé sur la période 2010-2013, mais le marché local peine encore à se structurer. L’Agence régionale de développement, Nexa, a initié une étude réalisée par Cyathéa, bureau d’études réunionnais spécialisé en environnement et en agronomie. « Il s’agit d’une étude de faisabilité d’une filière économique réunionnaise basée sur l’agriculture biologique. À savoir les produits alimentaires, mais aussi les plantes aromatiques, médicinales et à parfums, et leur transformation, annonce Gaston Bigey, directeur général de Nexa. Cette filière pourrait s’adresser à la demande locale, ainsi qu’à l’exportation via la transformation locale. » L’objectif transversal de l’étude, clôturée en septembre 2013, est l’identification des acteurs économiques de la filière, y compris en conventionnel, pour aborder les potentiels de développement dans leur totalité. « Les surfaces cultivées en agrobiologie ont triplé depuis 2008, pour atteindre 600 hectares en 2012 (dont 72 en légumes), regroupant près de 140 exploitations », détaille Frédéric Lorion, responsable de l’Observatoire économique de Nexa. Soit 1,4% de la SAU (Surface agricole utile) de La Réunion, beaucoup moins que la moyenne nationale qui s’élève à 3,8%.

Bénéfique pour le territoire … et pour la santé de ses habitants

La qualité d’une alimentation « bio », exempte de produits chimiques de synthèse, séduit un nombre croissant de consommateurs. « Le marché progresse de 15% par an dans le monde, affirme Sébastien Legoff, conseiller en agrobiologie pour la Chambre d’agriculture. Nous préparons l’avenir de l’agrobiologie à La Réunion, pour la période 2014-2020, en relayant une demande des exploitants pour davantage de suivi technique. Nous demandons également un relèvement des aides au titre des MAE (Mesures agri-environnementales), car l’agrobiologie supporte des contraintes supérieures à égalité de surface cultivée. » En s’affranchissant des importations de fertilisants et de produits phytosanitaires conventionnels, cette méthode de culture favorise une économie circulaire et des circuits courts, recréant aussi de l’emploi dans le secteur agricole. « L’agriculture biologique est bénéfique pour le territoire en cela qu’elle réduit le volume des intrants, génère des activités endogènes et se traduit en économies de dépenses de santé, appuie Gaston Bigey. L’économie de prix réalisée sur des produits non bio est plutôt un leurre lorsqu’on retient la valeur nutritionnelle, la teneur réduite en eau et la durée supérieure de conservation du bio. En matière d’espérance de vie, on devrait se préoccuper d’espérance de vie « en bonne santé », qui a plus de sens. » En France métropolitaine, le marché du bio a doublé de volume entre 2007 et 2012, dépassant 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Les achats par le consommateur final ont progressé de 6,6% en valeur depuis 2011, malgré des prix relativement stables.

La transformation industrielle est le maillon manquant

La mission d’étude de Cyathéa, dont une synthèse est mise en ligne par Nexa, conclut que c’est l’activité de transformation qui présente le meilleur potentiel de développement économique pour La Réunion. Des activités à forte valeur ajoutée ouvrant des débouchés à l’export, à l’exemple des produits cosmétiques de la marque Cilaos, du laboratoire Octans, qui commercialise avec succès des soins du visage élaborés à partir d’extraits végétaux de qualité bio. « On observe une montée en charge très forte du bio en cosmétique, confie Christian Mériau, directeur du Cyroi (Cyclotron Réunion-Océan Indien), plateforme de recherche où s’est développé Octans. « Au démarrage d’une nouvelle pépinière d’entreprises pour les sciences du vivant, nous devons rechercher cette valeur supplémentaire d’excellence qui rejoint la demande actuelle pour une approche qualitative de produits, notamment sous forme d’extraits. » Des marchés confirmés à l’export existent pour la vanille bio, produite par la coopérative Provanille. Celle-ci œuvre avec la Coopérative des huiles essentielles de Bourbon (Caheb) et l’Aplamedom (Association pour les plantes aromatiques et médicinales de La Réunion) en vue de développer une filière économique des plantes à parfums, aromatiques et médicinales. « La transformation industrielle est le maillon qui manque pour développer la filière, révèle Stéphanie Brillant, chargée de mission à l’Aplamedom. Le bio est un avantage indéniable pour les plantes médicinales et aromatiques en sachet pour rassurer le consommateur sur la traçabilité et la qualité naturelle. La volonté d’aller vers le bio est affichée pour des productions comme le géranium et la stévia. »  Corinne Grondin, productrice certifiée en agrobiologie à Sainte-Anne, est porteuse d’un projet de culture d’un hectare en plantes médicinales bio. Ces acteurs ont inscrit récemment 16 plantes réunionnaises à la pharmacopée française.

La solidarité des consommateurs soutient les producteur Bio

La structuration d’un marché local des fruits et légumes bio pose actuellement des difficultés pour qu’une offre de production se développe et rencontre la demande. Un exemple de circuit court de distribution est donné par l’AREC (Association pour le respect de l’environnement et du cadre de vie) dans le sud. « Nous organisons, à Petite-Ile, depuis 2006, un marché hebdomadaire d’adhérents de l’association qui représente 150 ménages et ne cesse de s’accroître », se réjouit Stéphane Foglia, un des responsables de l’association. Le principe est proche de celui d’une AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), selon lequel un contrat est passé entre un groupement de consommateurs et des exploitants pour l’écoulement régulier de productions faisant l’objet d’un accord préalable, notamment sur les prix. « Notre premier objectif est le bien social, souligne Stéphane Foglia, et nous souhaitons une autosuffisance de La Réunion en cultures vivrières. Une voie médiane entre le bio et l’agriculture raisonnée peut y contribuer. » Dominique Oudin, chargé de mission à l’AD2R (Association développement rural Réunion), informe que le dispositif européen Leader peut subventionner des projets agroalimentaires, au-dessus de 400 mètres d’altitude, et que beaucoup de projets annoncés concernent l’agriculture biologique. L’implication des consommateurs est un facteur essentiel de soutien à la production locale du bio, par un engagement solidaire en faveur d’une méthode de culture qui est plus tributaire des saisons et plus irrégulière dans son offre que celle des commerces distribuant aussi de l’importation.

L'utilité des principes de commerce équitable

Également acteur du commerce équitable avec la structure Yebo, Dominique Oudin gère la partie produits frais du commerce associé « Les petits Verts de terre », à Saint-Denis et à La Possession. « La demande concerne une dizaine de produits frais, soit une tonne de production bio par mois. Notre démarche relève d’une véritable révolution mentale car nous allons directement sur les exploitations et nous prenons ce qui est disponible. Nous sommes transparents sur la construction du prix en appliquant un coefficient de 1,5 en magasin. Ou 20% de frais de transport pour livrer chez des professionnels. Ce sont des principes de commerce équitable. » Un magasin bio, à La Réunion, peut écouler deux à cinq tonnes de produits frais par mois, mais tous ne s’y intéressent pas et peuvent se contenter des gammes de produits peu périssables, principalement d’importation. Pour les exploitants, la certification en agriculture biologique est une démarche obligatoire qui génère aussi des contraintes de traçabilité et des lourdeurs administratives qu’on peut juger excessives quand l’activité est modeste. « L’ambition de développer l’agriculture biologique ne se traduit pas dans les projets de loi, s’exclame Dominique Oudin. Il manque une cohérence politique qui tienne compte des spécificités de cette agriculture aux contraintes multiples. » Le Conseil général de La Réunion finance l’essentiel du coût de la certification, proche de 400 euros, mais seulement aux adhérents du Groupement de l’agriculture biologique (GAB) qui regroupe 50 % des exploitants.

La filière oeufs bio empêchée de conquérir son marché

L’exemple de la filière œufs en agriculture biologique illustre une de ces contradictions. La réglementation impose désormais que les œufs à la vente soient conditionnés dans un centre de calibrage, de marquage et d’emballage agréé. La seule alternative autorisée pour un petit producteur, dépourvu d’une telle installation, est la vente directe au consommateur final, par une présence physique de l’exploitant ou d’un employé. « Je lance un appel pour la filière œufs bio, clame Dominique Oudin, car la demande est très forte et aucune production ne peut y répondre à La Réunion. Ils se vendent 5,99 euros la douzaine et on peut les produire pour un peu plus de 4 euros. C’est un enjeu considérable et le marché n’est absolument pas occupé. La vente au consommateur final interdit de fournir la restauration scolaire et même un stand de crêpier. » La production d’œufs est pourtant un revenu nécessaire pendant les trois mois de l’année où s’arrête la production végétale. Un projet de centre de conditionnement est à l’étude, pour un investissement de l’ordre de 40 000 euros, qui nécessiterait un accompagnement conséquent. En attendant, des producteurs doivent consacrer deux heures par jour à distribuer leurs œufs sur un point de vente proche de la clientèle.   

La restauration collective offre un potentiel considérable

Le marché de la restauration collective n’est pas encore structuré. Un projet d’organisation de producteurs (OP) pour constituer un volume d’offres régulier, ouvrant droit à une subvention de 800 euros par tonne, n’a finalement pas abouti. « Le marché à conquérir pour l’agrobiologie est d’entrer pour au moins 20% dans les millions de repas servis chaque année de la maternelle au lycée (*), précise Elodie Filain, du service ressources et projets du Conseil général. La collectivité a mené une politique volontariste dans ce but, en collaboration avec les producteurs. » Les efforts s’orientent désormais vers des lots monoproduits car les procédures d’appels d’offres se révèlent complexes à gérer. « C’est un levier très crédible s’il y a des contrats bien établis, ajoute Sébastien Legoff. N’ayant pas le droit à l’erreur, il faut privilégier la souplesse, grâce notamment aux Mapa (marchés à procédure adaptée – Ndlr). Un projet fruitier va entrer en production dans l’ouest et peut viser la restauration collective.

Le secteur agricole relève de la compétence du Conseil général qui met en place des aides à l’agriculture biologique et met à disposition du foncier, comme pour toutes les formes d’agriculture », précise Olivier de Gérus, chargé de projets de valorisation agricole au sein de cette collectivité.

Un besoin énorme en conseils et en suivi technique

Un écoulement sécurisé des productions en bio serait facilité par des plateformes mutualisées de distribution. L’autre nécessité pour la filière est de développer fortement l’accompagnement par le conseil et le suivi technique. « Les procédures de conversion en agrobiologie consomment désormais beaucoup de temps », commente Sébastien Legoff dont le poste de conseiller en agriculture biologique a été créé en 2010 par la Chambre d’agriculture. « Il y a un besoin énorme », appuie Mireille Ramiandrisoa, chef de projet à l’AVAB (Association pour la valorisation de l’agriculture biologique) qui envisage de former un réseau du bio dans l’océan Indien.

Le fournisseur d’énergies renouvelables, Akuo Energy, a créé sa filiale Agriterra pour l’exploitation de surfaces agricoles sur des sites de fermes photovoltaïques. « Nous conduisons en bio 8 hectares autour de fermes au sol et assurons un suivi technique pour des cultures en conversion biologique sous serres photovoltaïques, de fruits de la passion, de pastèques et de melons, explique Anne-Laure Porcher, responsable d’Agriterra. Nous avons un projet de 7 hectares en pommes de terre, carottes, ail et oignons, et un autre de 6 modules de serres. Il faut souvent faire appel à des experts de métropole et le problème d’écoulement est récurrent. »  

(*) En France, c’est près d’un milliard de repas qui sont servis annuellement dans les cantines scolaires. À La Réunion, qui compte une population jeune, on peut estimer ce nombre à 30 millions.