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Afrique du Nord/Sahel

En intégralité : la conférence de Bernard Lugan interdite par l’Elysée

Le 24 juin dernier, l’historien africaniste devait présenter aux attachés de Défense français, en poste dans une quinzaine de pays, la question de l’interaction entre l’Afrique du Nord et le Sahel à travers le temps long. Quelques jours avant la date prévue, la présidence de la République a contraint les organisateurs à décommander cette prestation bénévole.

De l'Afrique du Nord (Égypte, Libye, Tunisie, Algérie et Maroc) au monde sahélien, l'espace apparaît comme découpé en bandes Nord-Sud, chacune ayant sa façade méditerranéenne et son pendant sahélien. L'histoire de la région s'est écrite le long de ces grands axes dans des phénomènes de longue durée qui constituent
l'arrière-plan et parfois même les soubassements des crises actuelles. C'est pourquoi ils ne doivent pas être perdus de vue lorsqu'il s'agit de notre stratégie de défense. Notons immédiatement que cette réalité ne s'est que lentement imposée en France et cela pour plusieurs raisons :

  • Dans la culture « coloniale » nationale, l’Afrique du Nord était ramenée au seul Maghreb, le Machreq (Égypte et Libye) étant considéré comme un monde étranger ;
  • L’armée d’Afrique était l’armée du Maghreb et l’armée coloniale celle de l’AOF ;
  • L’Algérie était gérée par le ministère de l’Intérieur, les protectorats de Tunisie et du Maroc par celui des Affaires étrangères, quant à l’AOF, elle dépendait du ministère des Colonies.

Pour les Français, entre le Maghreb et l’AOF s’étendait une terre mystérieuse, le Sahara, laissée à la garde des compagnies méharistes, unités aussi « bizarres » que les populations vivant dans le désert et dont elles assuraient la police. Et pourtant, le Sahara ne fut jamais une barrière car ses deux rives étaient directement reliées par trois grands espaces de contact :

  • L’axe du Nil (Alexandrie-Khartoum) ;
  • L’axe Libye-Tchad (Tripoli-Abéché et Tripoli-Zinder-Kano) ;
  • L’axe Maroc-Sahel occidental (Fès-Tombouctou).

Je n'aborderai pas ici les problématiques liées à l'axe du Nil car ses définitions sont à la fois spécifiques et périphériques par rapport à nos préoccupations de sécurité immédiates ; tout en étant naturellement entendu que je ne néglige pas la question posée par le Soudan du Nord dans la géopolitique de la partie orientale de la zone sahélo-saharienne.
Les deux axes sur lesquels je vais ancrer mon propos sont aujourd’hui des couloirs de déstabilisation empruntés par des trafiquants-terroristes qui poursuivent d’une manière moderne les échanges traditionnels que leurs ancêtres faisaient jadis à travers le Sahara. Leur étude ne peut donc se faire que sur la longue durée car, là encore, nous sommes davantage dans un monde de permanences que de ruptures ; ou, plus exactement, les ruptures que nous observons aujourd'hui s'inscrivent dans les permanences géographiques et historiques que je vais tenter de mettre en évidence.
À ces pénétrantes Nord-Sud, s'est ajouté au XIXe siècle un axe orienté tantôt Ouest-Est, tantôt Est-Ouest dont le moteur n'était plus d'abord le commerce, mais l'expansion islamique et qui a profondément bouleversé les définitions politiques et culturelles régionales.

Le Sahel : un monde de Jihad - Bernard Lugan

I) DU MACHREQ AU TCHAD, L’AXE LIBYEN

On ne triche pas avec la géographie. Si nous regardons une carte, nous constatons ainsi que, du golfe des Syrtes, en Libye, jusqu'au lac Tchad, le désert du Sahara est comme traversé par une pénétrante « verte » jalonnée d'oasis.

Le verrou tchadien (janvier 2014) - Bernard Lugan

Cet axe naturel de circulation faisait de Tripoli et de Benghazi (Barca) les points d'aboutissement d'un grand commerce dont le pendant méridional était centré sur les villes-marchés d'Aouzou, Bilma et Faya. Cet axe était contrôlé par les Toubou, mais également, dans sa partie la plus orientale, par les Zaghawa.

Les quatre principaux peuples du Sahara - Bernard Lugan
Vers le Sud, le relais de ces deux populations caravanières et guerrières était pris par les Haoussa et les Kanouri qui avaient fondé le royaume de Kanem-Bornou et qui furent ultérieurement englobées dans le sultanat de Sokoto. Avec eux, nous voilà au cœur de l'actuelle région dévastée par « Boko Haram », mouvement dont la base ethnique est précisément Haoussa-Kanouri.
Ainsi, de la méditerranée au Tchad, existait une chaîne de partenaires et d'intermédiaires dont la solidité reposait sur un vaste et complexe système d'alliances ou de connivences. Or, ses survivances sont aujourd'hui utilisées par les trafiquants-jihadistes qui déstabilisent toute la région. Aux liens économiques et caravaniers, il importe d'ajouter le phénomène religieux car l'islamisation de la région péri-tchadique, qui est ancienne mais qui fut longtemps superficielle, se fit à partir de la Cyrénaïque. Ses étapes sont connues : vers 700 ap. JC, des arabo-musulmans étaient présents à Zaouila, au Fezzan, dans une région à l'époque uniquement peuplée de Berbères. La propagation de l'islam se fit à partir de cette ville-étape située sur une route d’accès vers le lac Tchad via Abéché.
Au XIe siècle, le pays haoussa, qui avait pour cœur les régions de Kano-Zinder, commença à être islamisé avec un essor à partir du XIVe siècle. Cette islamisation fut cependant toute relative puisque, et je le montrerai plus loin, ce fut pour l’imposer qu’au XIXe siècle Ousmane dan Fodio déclencha son « jihad ». Notons immédiatement une donnée rarement évoquée qui est que le principal frein à l'islamisation fut longtemps le florissant commerce esclavagiste car les musulmans ne pouvaient être réduits en esclavage. Ces éléments montrent que la Libye fut toujours au centre de l'éventail tchado-méditerranéen, ce qui permet de mesurer chaque jour davantage les résultats catastrophiques de la guerre insolite que le président Sarkozy déclara au colonel Kadhafi. De par ses origines, le bédouin Kadhafi avait une culture saharo-sahélienne. Avant la colonisation, sa tribu, les Kadhafa, nomadisait de la Méditerranée au Tchad ; voilà qui explique son attirance pour le Grand Sud et sa politique saharienne qui fut très mal comprise ou caricaturée. Aujourd'hui, les nouveaux dirigeants libyens sont des citadins méditerranéens. Avec eux, nous assistons au retour à la tradition ottomane illustrée par un pouvoir émietté dans des villes littorales quasi indépendantes les unes des autres. Les Ottomans, dont les implantations citadines littorales vivaient du commerce à travers le Sahara, assuraient l’ordre le long de la pénétrante saharienne allant des Syrtes au Tchad en sous-traitant la police du désert à certaines tribus ou, plus tard, à la confrérie sénoussite. Aujourd’hui, le désert n’est plus gardé et s’y est constitué un « libystan » à la fois islamiste et mafieux, les deux éléments ne pouvant être dissociés. Les conséquences de cette situation nouvelle se font sentir dans toute la région tchado-nigériane, zone de forte conflictualité en raison du foyer de déstabilisation constitué autour de « Boko Haram » au Nigéria, de la question du Darfour et de celle du Soudan.
Autre élément qu'il importe de toujours avoir à l'esprit, le sud de la Libye est le pays des Toubou (carte page 55) dont le homeland englobe également le nord du Tchad ; or, toute l'histoire du Tchad septentrional tourne autour des relations-rivalités entre Toubou et Zaghawa. Nous abordons donc avec ce point la question de la succession du président Idriss Deby Itno qui se posera un jour avec, en arrière-plan, le jeu de balance entre les Toubou et les Zaghawa pour le contrôle du pouvoir.

II) DE FÈS À TOMBOUCTOU : L’AXE MAROCAIN

Les observateurs et certains de nos diplomates ont grossi le rôle de l'Algérie dans l'ouest saharien. Ils ont pensé que cette dernière avait le monopole et le contrôle de la situation dans cette partie de l'Afrique. Cette erreur leur a interdit de prendre en compte le poids traditionnel que le Maroc exerce régionalement et qui est redevenu tout à fait lisible à la faveur des incertitudes algériennes liées à la paralysie de l'appareil d'État déchiré entre les clans rivaux qui se projettent dans la succession du président Bouteflika.
Dans la partie nord-ouest de l'Afrique, les relations à travers le Sahara étaient traditionnellement axées sur le Maroc en raison de la profondeur historique et de la permanence de cet État. Le roi Hassan II, qui était à la fois un homme d'une immense culture et un visionnaire, avait bien posé le problème en une phrase lumineuse : « Le Maroc ressemble à un arbre dont les racines nourricières plongent profondément dans la terre d'Afrique et qui respire grâce à son feuillage bruissant aux vents de l'Europe (…). » De fait, les liens entre le Maroc et l’Afrique sud saharienne sont quasiment constitutifs de la nation marocaine puisqu’ils remontent à la dynastie des Almoravides, ces Berbères sahariens qui, au XIe siècle, créèrent le « Grand Maroc », lequel s'étendait du fleuve Sénégal jusqu'au centre de l’Espagne. Plus tard, sous la dynastie fondée par les Arabes Saadiens (1554-1650), le Maroc domina toute la région, boucle du Niger incluse. À cette époque, à Gao et à Tombouctou, la prière du vendredi était dite au nom du sultan du Maroc. Avant les partages coloniaux, l’influence marocaine se manifestait par la circulation d'une monnaie unique de Tanger à la vallée du fleuve Sénégal et par un même système de poids et de mesures. Économiquement, la région était alors totalement tournée vers le Maroc avec lequel elle constituait un même monde économique jalonné par les marchés de Sijilmassa et de Marrakech au Nord et ceux de la vallée du fleuve Sénégal et de la région de Tombouctou au Sud.

Le Maroc dans sa plus grande extension XVIIè-XVIIIè siècles. - Bernard Lugan

Il est important de noter que l’axe central reliant Tombouctou à la méditerranée ne fut que très irrégulièrement utilisé par les caravanes en raison de l’existence des Touareg qui les rançonnaient. Les relations entre Tombouctou et le Maroc passaient de préférence par Taoudeni, donc par le pays maure et cela afin d’éviter le bloc touareg s’étendant du Hoggar aux Iforas. L’axe le plus commode courait le long de la côte; ici, sur quelques kilomètres vers l’intérieur, nous ne sommes pas en présence d’un vrai désert car les cuvettes naturelles, les « grara », reçoivent un minimum d’humidité marine et elles offrent donc à longueur d’année un minimum de pâturages. Dans toute la région étudiée, la religion joue un rôle important qui vient encore renforcer le poids du Maroc. L’islamisation ouest sahélienne, du Sénégal au Niger, s’est en effet faite depuis le Maroc le long des axes du commerce à travers le Sahara, ce qui lui a donné son rite malékite. Cette islamisation très originale s’est lentement développée, d’une part à travers les marabouts, spécialistes de l’enseignement et de la diffusion de l’islam, figures charismatiques porteuses de la baraka (bénédiction divine) et d’autre part à travers des soufis, érudits adeptes de la méditation et des pratiques mystiques (tassawuf). La dynastie alaouite descendant du Prophète, le roi du Maroc est donc chérif et Commandeur des croyants, statut qui lui est reconnu bien au-delà des frontières du Maroc. Quant à la confrérie Tijani, la « Tarika Tijania », qui rayonne sur tout le Sahel occidental, elle a ses racines à Fès où est enterré Ahmad Tijani, mort dans la ville le 19 septembre 1815. Il est essentiel de bien voir que, dès ses origines, cette confrérie se plaça sous la protection de la dynastie alaouite.
On ignore trop souvent que Fès forme un pôle essentiel pour des millions de Sénégalais et de Maliens pour lesquels le pèlerinage au mausolée du fondateur est au moins aussi important que celui de La Mecque. Cet élément est vu comme une abomination par les wahhabites pour lesquels il s'agit d'idolâtrie. En plus de mettre en évidence les oppositions entre les divers courants islamiques, cette particularité constitue aujourd'hui un moyen de lutte contre la subversion fondamentaliste régionale « richement » entretenue par l'Arabie saoudite et le Qatar depuis deux décennies. Ces points sont donc essentiels à la compréhension de la situation actuelle des islams de la région, comme le constateront ceux d'entre vous qui sont affectés au Maroc, au Sénégal et au Mali.
Aujourd'hui, les liens religieux entre le Maroc et la région sont illustrés par la grande mosquée de Dakar construite par le Maroc, ainsi que par le programme de formation de 500 imams maliens qui va être suivi par un programme similaire à la demande des autorités de Guinée. Le Maroc va également participer à la rénovation de plusieurs dizaines de mosquées dans toute la région sahélo-soudanienne.

Le 31 janvier 2014, en installant symboliquement à sa droite le Touareg Billal Ag Cherif, chef du MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad), lors de la prière du vendredi à la mosquée de la Koutoubia, à Marrakech, le roi Mohammed VI a fortement et très symboliquement marqué le retour du Maroc dans sa sphère traditionnelle d’influence. Un Maroc vecteur d'un islam soufi et enraciné dans les traditions locales qui se dresse contre le wahhabisme oriental artificiellement importé à coups de dollars.

Au point de vue sécuritaire, la situation dans cette partie du monde saharo-sahélien est différente de celle qui prévaut le long de l'axe Libye-Tchad car, ici, le Maroc et l’Algérie sont deux États capables de sécuriser leur hinterland. Le problème est que leur rivalité et leur contentieux au sujet du Sahara occidental leur interdit d’avoir une politique régionale commune ; d’où des conséquences sur l’ensemble du Sahel car les bandes islamo-mafieuses, dont celles du Polisario, s'engouffrent dans cette faille et l'utilisent.

III) LES PHÉNOMÈNES RELIGIEUX OUEST-EST ET EST-OUEST

À la différence des anciennes et traditionnelles pénétrantes transsahariennes orientales
Nord-Sud et dont le ressort principal était le commerce, dans le siècle qui précéda la colonisation, l'Ouest africain a connu des « jihad » orientés Ouest-Est et Est-Ouest qui bouleversèrent en profondeur le paysage politique et culturel régional. Ces mouvements reposaient sur la volonté de purification d'un islam régional considéré comme imprégné d'animisme. Les principaux résistants à ce phénomène furent les Bambara des royaumes de Ségou et du Kaarta, dans l'actuel Mali du Sud ; d'où, là encore, des réminiscences expliquant largement les animosités ethniques actuelles.
Entre lac Tchad et mer Rouge, un autre mouvement islamiste apparut à la même époque, il s'agit du Mahdisme qui s’étendit sur toute la région soudano-nilotique, ne butant que sur la résistance éthiopienne. Je laisse de côté ce point, qui est périphérique par rapport à mon sujet, pour en revenir plus étroitement au monde sahélo-tchadique.
Au début du XVIe siècle, après l'effondrement des grandes constructions politiques de la frange sud-saharienne islamisée, la région fut en proie à l'émiettement politique. Puis, à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, et tout au long du XIXe, l'islam fédéra certaines ethnies et permit de recréer de grands ensembles politiques à la suite de « jihads » qui eurent tous pour but de restituer à l’islam sa pureté originelle. Les trois principaux « jihads » furent celui d’Ousmane dan Fodio en pays Haoussa en 1804, celui de Seku Ahmadou au Macina en 1818 et celui d’El-Hadj Omar à partir de 1852.

Le Sahel : un monde Jihad. - Bernard Lugan
Durant les années 2011-2013, le jihadisme sahélien s’abreuva à cette « fontaine de rêve » jadis fermée par la colonisation. Or, cette autre réalité inscrite dans la longue durée n'a pas été comprise par des observateurs esclaves de l’immédiateté et trop souvent paralysés par leur inculture. Aujourd'hui, la permanence jihadiste régionale s'exprime essentiellement dans le nord du Nigéria où « Boko Haram » se nourrit de la mystique du sultanat de Sokoto né du « jihad » d'Ousmane dan Fodio à la fin du XVIIIe siècle et ancré sur le peuplement haoussa dont la transnationalité garantit des connivences au Niger, au Cameroun et au Tchad. Le sahélistan s’est donc déplacé vers la région tchado-nigériane où les jihadistes bénéficient d’un continuum ethno-religieux transfrontalier favorable. La tache fondamentaliste qui y grandit sous nos yeux va être autrement plus difficile à effacer que celle du Mali où la région d'implantation jihadiste était vide d’habitants et où les populations noires sont majoritairement imperméables à l’islam fondamentaliste porté par des fanatiques « Blancs » étrangers à la région. Ces sudistes ont, ancré dans leur mémoire, le souvenir des raids esclavagistes que ces mêmes « Blancs » musulmans lançaient jadis sur leurs ancêtres et qui prirent fin avec la colonisation. Ici, la solution du problème est connue : amener les « autorités » de Bamako à reconnaître la spécificité touareg dans le cadre d’une autonomie à définir.
Le vrai front est ailleurs, dans la région Nigéria-Cameroun-Tchad où, comme je viens de le dire, la situation est totalement différente en raison de la densité de population et d'un environnement régional favorable à toutes les forces négatives :

  • Au Nord, la Libye ne contrôle pas son sud, à l’Est le foyer du Darfour est allumé et au Sud, le Nigéria est en guerre civile ethno-religieuse ;
  • Les Haoussa-Fulani-Kanouri, qui vivent dans le nord du Nigéria, débordent dans les pays voisins ;
  • Tout le nord du Nigéria est sous régime de la charia ;
  • Au XIXe siècle, la région était englobée dans le puissant califat jihadiste de Sokoto qui s’étendait, entre autres, sur le nord du Cameroun ;
  • Les frontières régionales du Nigéria, du Cameroun et du Tchad proviennent d’accords entre Britanniques, Allemands et Français. Elles ne tiennent aucun compte des implantations ethniques car elles furent dessinées afin que les trois empires aient chacun une « fenêtre » sur le lac Tchad.

Enfin, un autre phénomène n'a pas été clairement identifié par les observateurs. Il s'agit de la revendication fondamentaliste dans le nord du Nigéria qui se nourrit de l'immense frustration des populations. Durant les décennies passées, si le Nigéria n’a pas éclaté, c'est parce que le sud chrétien, qui avait le pétrole et les ports, était dominé par le Nord musulman qui contrôlait l’armée, donc le pouvoir politique. Or, aujourd'hui, le Sud a pris le contrôle politique et militaire du pays, ce qui fait que les nordistes musulmans ont le sentiment d'avoir été évincés par les sudistes chrétiens. Voilà qui explique le soutien dont bénéficie « Boko Haram » et la facilité avec laquelle des régions entières ont été soustraites à l’autorité de l’État. L’administration fédérale a en effet été chassée et remplacée par celle des islamistes qui veulent créer leur propre État, leur but étant le retour au califat de Sokoto qui existait avant la conquête coloniale britannique. Pour atteindre cet objectif, ils cherchent à exacerber la fracture entre le Nord et le Sud afin d’imposer l’indépendance du Nord qui deviendrait ainsi un État théocratique inscrit dans la tradition des émirats du XIXe siècle.

RÉTABLIR L’ÉTANCHÉITÉ ENTRE LES DIVERS FOYERS CRISOGÈNES

La géographie et l'histoire permettent donc de mieux comprendre les ressorts profonds de crises qui ne sont pas nées aujourd'hui. Seule une analyse reposant sur le réel permet de bien les définir et de les comprendre pour être en mesure de les traiter. Le problème est que nous sommes trop souvent conditionnés par nos a priori idéologiques qui nous interdisent de voir ce que nous refusons philosophiquement d'admettre. Or, sans un bon diagnostic, il ne peut y avoir de traitement. Aujourd'hui, dans toute la zone sahélienne existe une chaîne de conflits qui a des conséquences sur notre propre sécurité. Certains ont débordé de leur foyer initial, ainsi celui du nord Nigéria qui touche désormais le nord du Cameroun et qui menace à la fois le Niger et le Tchad. Ou encore celui de Libye où la dislocation territoriale est utilisée par les forces négatives. La priorité est donc d'interdire les coagulations ou du moins les porosités et c'est pourquoi plusieurs verrous doivent être tenus dont celui des Iforas, la Passe Salvador au Niger, la région d'Aouzou au Tchad et celle du lac Tchad.

Les quatre grands verrous de la zone saharo-sahélienne. - Bernard Lugan
Le nouveau dispositif sahélien mis en place par la France et dont le pivot est le Tchad montre que la nécessité de maintenir ou de rétablir l’étanchéité entre ces divers foyers crisogènes afin d’éviter leur engerbage a bien été prise en compte.