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Afrique

La démocratie va-t-elle rallumer la guerre civile au Congo Brazzaville ?

Dans la nuit du 3 au 4 avril, quelques jours après la réélection du Mbochi Sassou Nguesso à la présidence de la République, les quartiers kongo du sud de la capitale Brazzaville ont connu des heures agitées. Ces événements annoncent-ils un retour à l’atroce guerre tribale des années 1997 ?

Au pouvoir depuis l’indépendance du mois d’août 1960, l’abbé Fulbert Youlou était l’un des principaux chefs de l’ethnie Kongo de la région du Pool (Brazzaville) (1). Au mois d’août 1963, chassé par la rue, l’abbé président démissionna. Le pouvoir étant en déshérence, l’armée le recueillit avant de le remettre à des civils qui constituèrent un gouvernement provisoire dont la présidence fut confiée à Alphonse Massemba-Débat, un Kongo-Lari comme l’abbé Youlou. Ceux qui avaient renversé l’abbé Youlou parce qu’il voulait instaurer le parti unique s’empressèrent alors de l’imposer. Le 8 décembre, c’est une liste unique du MNR (Mouvement national pour la révolution) qui se présenta ainsi aux suffrages des électeurs ; le 19 décembre, un collège électoral restreint porta Alphonse Massembat-Débat à la présidence de la République. Au mois de janvier 1964, Pascal Lissouba, un Kongo Niari (2), chef de file du courant marxiste du MNR, fut nommé Premier ministre. La situation échappa alors au président Massembat-Débat, cependant que ceux des Lari demeurés fidèles à l’abbé Youlou manifestaient.

KONGO-LARI CONTRE KONGO-NIARI

Lors des élections municipales du mois de février 1964, le MNR subit une défaite car les consignes de boycott lancées par les partisans de l’abbé Youlou furent largement suivies. En conséquence, le président Massembat-Débat annula le scrutin et, le 7 février 1964, une importante manifestation Lari se déroula à Brazzaville, demandant le retour au pouvoir de l’abbé Youlou. Le régime se crispa, interdit les syndicats chrétiens, expulsa des missionnaires européens, emprisonna des religieux congolais qui furent parfois torturés et assassina plusieurs grandes figures de l’opposition.
Aux mains d’une fraction du peuple Kongo, le régime se marxisa de plus en plus, le slogan « la modération est démodée » devenant sa ligne politique. Puis les factions révolutionnaires se déchirèrent, ce qui entraîna de constants remaniements ministériels. La coopération avec la Chine communiste s’amorça et des milliers de travailleurs chinois vêtus de bleus de chauffe se répandaient dans les campagnes pour y endoctriner les Congolais, le « petit livre rouge » à la main. Au même moment, les plus extrémistes parmi les militants marxistes demandaient des mesures de transformation de l’armée en milice populaire. Au mois d’octobre 1965, une centaine de cadres de l’armée cubaine furent envoyés au Congo.

L’ENTRÉE EN SCÈNE DES MBOCHI

Au mois de juin 1967, groupés autour du capitaine Marien Ngouabi, un Mbochi commandant les parachutistes, qui avait été rétrogradé au rang de « soldat de première classe » par le président Massem-bat-Débat, une fraction de l’armée tenta un coup d’État, mais le contingent cubain le fit échouer. 
Au mois de juillet 1968, le président Massembat-Débat subit de très fortes pressions de la part de l’aile la plus extrémiste du MNR et il offrit de démissionner. L’armée se rangea alors derrière lui et d’importantes manifestations de soutien furent organisées. Le 1er août, en position de force, le président procéda à la dissolution de l’Assemblée, puis, le 2 août, il quitta mystérieusement Brazzaville. L’armée remplit alors le vide politique en nommant le capitaine Ngouabi chef d’état-major tandis que le lieutenant Poignet assurait l’intérim du pouvoir.
Le 6 août, le président Massembat-Débat réapparut à Brazzaville où il constitua un nouveau gouvernement tout en maintenant le capitaine Ngouabi à la tête de l’armée. La Constitution fut abrogée et remplacée par un Acte fondamental consacrant le rôle dominant désormais joué par l’armée puisque l’organe exécutif du Conseil National de la révolution était présidé par le capitaine Ngouabi. L’une de ses premières décisions fut la dissolution des milices et le renvoi des militaires cubains. Marien Ngouabi s’imposa peu à peu et il créa le PCT (Parti congolais du travail). Dans la réalité, les Mbochi arrachaient le pouvoir aux Kongo.
Tribus du groupe Kongo

UNE GUERRE FÉROCE ENTRE LES DEUX GRANDES FACTIONS DU PEUPLE KONGO

Le 18 mars 1977, le capitaine Ngouabi fut assassiné par les siens et le Comité militaire du PCT mit au pouvoir le colonel Yhombi Opango, lui aussi Mbochi. Afin de tenter de brouiller les cartes, et pour que leurs propres responsabilités dans la mort de Marien Ngouabi soient estompées, ses membres désignèrent l’élite kongo comme étant à l’origine du meurtre et ils déclenchèrent contre elle une féroce répression. Parmi les nombreuses victimes se trouvait le président Massembat-Débat, assassiné le 25 mars 1977.
Le 8 février 1979, le colonel Sassou Nguesso, un Mbochi originaire d’Oyo (dans la région d’Owando, voir notre carte), prit le pouvoir. En 1991, contraint par la France d’instaurer le multipartisme, il mit en marche un processus démocratique qui, tout naturellement, déboucha sur l’ethno-mathématique, c’est-à-dire sur la victoire des plus nombreux, les Kongo. André Milongo, un Kongo-Lari, fut donc élu Premier ministre et, le 15 juin 1991, il constitua un gouvernement dit d’union nationale dont la tâche était de mener une transition de douze mois.
Lors du second tour de l’élection présidentielle de 1992, c’est un autre Kongo, Pascal Lissouba, qui fut élu. Ce Kongo-Niari fut élu grâce à son alliance de circonstance avec le colonel Sassou Nguesso, les deux hommes voulant empêcher Bernard Kolélas, un Kongo-Lari, d’accéder à la présidence.
Le nouveau président fit un mandat de cinq ans durant lequel la véritable opposition se fit au sein même du groupe Kongo, entre les Lari menés par Bernard Kolélas et les ressortissants des régions du Niari, de Bouenza et de Lékoumou qui soutenaient le président. Bientôt, une guerre féroce opposa les deux grandes factions du peuple kongo. 

DENIS SASSOU NGUESSO REVIENT ET OBTIENT LE SOUTIENT DE L’ANGOLA

De nouvelles élections présidentielles étaient prévues en 1997. Sachant qu’il allait ethno-mathématiquement les perdre (3), et cela pour la seconde fois, le colonel Sassou Nguesso força le destin. Au mois d’octobre 1997, à l’issue d’une guerre féroce, les Mbochi reprirent alors par les armes un pouvoir perdu cinq ans plus tôt par les urnes et le colonel Sassou Nguesso se proclama président de la République. Cette prise de pouvoir ne ramena cependant pas la paix car les Kongo se replièrent dans leurs régions d’origine (Niari, Bouenza, Lekoumou et Pool). Les miliciens « zoulou » de l’ancien président Pascal Lissouba et les « ninjas » de Bernard Kolelas, l’ancien maire de Brazzaville, y menèrent une guérilla pugnace, sou-tenus par les séparatistes angolais du Cabinda et par l’UNITA de Jonas Savimbi.
Les enjeux étant alors clairement régionaux, le colonel Sassou Nguesso fut appuyé par l’armée angolaise. Pour Luanda, il était en effet essentiel que les Kongo soient maintenus à l’écart du pouvoir car il en allait de la pacification de l’enclave de Cabinda, également peuplée de Kongo. En cas de retour au pouvoir de ces derniers à Brazzaville, la guérilla du Cabinda aurait été assurée de retrouver les bases dont elle disposait avant 1992, à l’époque du président Lissouba.
À la fin du mois de décembre 1998, les miliciens kongo pensèrent que le contexte leur était devenu favorable en raison de la guerre qui avait repris en Angola, où l’UNITA semblait avoir l’avantage, et ils attaquèrent Brazzaville. De très violents combats de rue eurent lieu et l’armée congolaise, débordée, fit appel à l’Angola. L’attaque fut repoussée après des combats à l’arme lourde. Rue par rue, maison par maison, le « nettoyage » fut systématique et impitoyable, notamment dans les quartiers kongo de Bakongo et de Makelekele. De nombreux règlements de compte ethniques l’accompagnèrent, suivis d’exécutions sommaires. Les victimes se comptèrent par centaines et peut-être même par milliers. Les miliciens kongo ayant été finalement repoussés, l’armée mbochi reprit le contrôle d’une capitale détruite. Puis, une lente reconquête des quatre provinces du sud, Bouenza, Lekoumou, Niari – fief de Pascal Lissouba – et Pool, région ethnique de Bernard Kolelas, fut entreprise durant l’année 2000. Le 10 mars 2002, Denis Sassou Nguesso fut élu président de la République pour un mandat de sept ans renouvelable une seule fois.
Langues et peuples du Congo-Brazzaville

LES BÉNÉFICES DE LA FLAMBÉE DU PÉTROLE

Entre 2002 et 2009, date de la seconde élection du colonel Sassou Nguesso, le pays bénéficia de la flambée des cours du pétrole, ce qui permit à la fois sa reconstruction et le lancement de projets de grands travaux. En 2009, le colonel fut réélu dès le premier tour avec 78% des voix. En 2015, il fit procéder par référendum à une modification de la Constitution. Désormais, l’âge limite pour briguer le mandat présidentiel n’était plus fixé à 70 ans et les mandats n’étaient plus limités à deux. Le 20 mars 2016, le président Sassou Nguesso fut réélu au premier tour avec 60% des voix. Le 4 avril 2016, jour de la proclamation définitive des résultats, des incidents qui firent plusieurs dizaines de victimes éclatèrent dans les quartiers du sud de Brazzaville peuplés de Kongo. Le gouvernement accusa alors « pasteur Ntumi », de son vrai nom Frédéric Bintsamou, un Kongo-Lari, ancien chef de la milice Ninja. En 2003, il s’était rallié à Sassou Nguesso tout en continuant à garder la haute main sur ses miliciens. Il rompit avec le président à la fin de l’année 2015 quand, avant les présidentielles, il apporta son soutien à Parfait Kolélas, fils de Bernard Kolélas. Réfutant ces accusations, « pasteur Ntumi » accusa au contraire le président Sassou Nguesso de provocation et il désigna les Cobras comme les responsables de ces événements destinés à discréditer l’opposition et à permettre au président de poursuivre ses dirigeants. Les braises de la guerre ci vile qui ravagea le Congo-Brazzaville entre 1997 et 2003 ne sont donc pas éteintes et, quoiqu’il arrive, la question nord-sud sera éternellement posée car les Kongo sont plus nombreux que les Mbochi…

(1) Par commodité, toutes les tribus kongo de la région du Pool sont aujourd’hui désignées sous le nom de Lari. À l’origine, ce nom était celui de la seule tribu des Balari ou Lari.

(2) Niari n’est pas un groupe ethnique mais le nom d’un département qui coupe en deux la partie sud-ouest du Congo depuis le Gabon au nord et jusqu’à la RDC au sud. Aujourd’hui, toutes les tribus kongo de la région sont désignées sous le nom de Niari.

(3) Bien que divisés, les Kongo qui, toutes tribus confondues, totalisent 48% de la population étaient certains de l’emporter sur l’ancien président Sassou Nguesso soutenu par les Mbochi puisque ces derniers ne sont qu’entre 13% et 20% de la population.
Bernard Lugan