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Réunion

La réforme de la formation professionnelle est en marche 

Le financement va changer et la nouvelle loi devrait mettre l'accent sur la réinsertion des demandeurs d'emploi. À La Réunion, la baisse de la dotation régionale inquiète, mais les opérateurs tablent sur les grands projets comme la nouvelle route du littoral.

Dans la nuit du vendredi 13 au samedi 14 décembre 2013, en France, les syndicats (sauf la CGT) et le patronat (sauf la CGPME) se sont entendus au terme d'une négociation acharnée sur un projet d'accord national concernant la réforme de la formation professionnelle destinée notamment à la rendre plus accessible aux chômeurs. Cet accord instaure le compte personnel de formation et prévoit une refonte des systèmes de financement. L'innovation majeure est la constitution d'une contribution unique et obligatoire de 1% de la masse salariale pour les entreprises de plus de 10 salariés versées aux OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés).
Autre nouveauté : la création du compte personnel de formation à partir du 1er janvier 2015. Il sera ouvert de 16 ans jusqu'à la retraite et permettra aux salariés, apprentis, titulaires d'un contrat de professionnalisation et demandeurs d'emploi d'évoluer professionnellement et de sécuriser leur parcours. Alimenté dès lors que la personne a un statut de salarié, il sera crédité de vingt heures par an pendant les six premières années, puis de dix heures par an au cours des trois années suivantes avec un plafond fixé à 150 heures.

LA CGPME DÉPLORE LA FIN DE LA MUTUALISATION

Dans le nouveau texte, l'obligation pour les entreprises de plus de 300 salariés de consacrer 0,9% de la masse salariale au plan de formation disparaît. Selon le ministère du travail, cette disparition ne devrait pas avoir d'incidence majeure car ces entreprises contribuent déjà au-delà des obligations légales. Toutefois, la contribution de 0,9% est maintenue pour les entreprises de moins de 300 salariés. Et c'est là que le bât blesse selon la Confédération générale des petites et moyennes Entreprises. La CGPME estime en effet que la suppression du 0,9% met fin à la mutualisation du financement de la formation professionnelle. Or, selon ce syndicat patronal des petites et moyennes entreprises, cette mutualisation est la seule garantie d'une formation accessible aux PME qui ne pourront pas financer la formation de leurs salariés sur leurs seules ressources.
De son côté, la CGT  juge notamment que le texte ne prévoit « rien » pour la formation des demandeurs d'emploi. Une accusation que réfute le ministère du Travail. « L'argent de la formation professionnelle ira davantage vers ceux qui en ont le plus besoin grâce notamment à un financement pour les demandeurs d'emploi de 900 millions contre environ 600 millions aujourd'hui, à quoi s'ajoutent des financements au titre de la professionnalisation », a ainsi affirmé le ministre du Travail, Michel Sapin. L'accord étant signé par la majorité des organisations patronales et syndicales, le texte a servi de base au projet de loi relatif à la démocratie sociale et à la formation professionnelle qui a été présenté au conseil des ministres du 22 janvier 2014 et qui passera devant le Parlement en février.
La loi devant être adoptée avant les élections municipales du mois de mars.

UN CHIFFRE D’AFFAIRES DE 126 MILLIONS D’EUROS POUR LES ORGANISMES DE FORMATION

L'enjeu est de taille, tant au niveau national que local. En France, le taux de chômage ressortait à 10,8% de la population active en novembre dernier et l'objectif  présidentiel d'inverser sa courbe paraît pour le moins utopique quand on voit la succession des plans sociaux. À La Réunion, le chômage touche 3 personnes sur 10 et le taux atteint les 60% chez les jeunes de moins de 25 ans. « Mais il faut également savoir que le taux de chômage chez les plus de 50 ans est supérieur à celui des jeunes. Ce sont les deux extrêmes qui sont le plus touchés », ajoute Eric Fontaine, le directeur général de l'AFPAR (Association pour la formation professionnelle des adultes de La Réunion). Dans l'artisanat, c'est une véritable catastrophe puisque 1 790 entreprises ont été radiées du répertoire des métiers en 2013 (+ 12% par rapport à 2012) avec 1 disparition sur 4 pour les auto-entrepreneurs.
Pour se faire une idée de l'enjeu, il faut savoir que pour l'année 2011 quelque 32 milliards d'euros ont été dépensés en France pour la formation professionnelle. À La Réunion, les offres de formation proposée par la Région sont passées de 18 000 à 25 000 entre 2010 et 2013.  « Au moins 95% de ces propositions sont destinées à des publics demandeurs d'emploi », précise Louis Bertrand Grondin, le conseiller régional délégué à la Formation professionnelle et à l'Apprentissage. Le chiffre d'affaires réalisé par les organismes de formation a représenté plus de 126 millions d'euros en 2010. Entre 2007 et 2010, l'activité de ce secteur a progressé de 18%. Dans le même temps, le nombre des organismes de formation est passé de 524 à 651. Depuis, il y a eu une certaine consolidation mais leur nombre reste très important. « Auparavant, le marché de la formation était très segmenté avec une prédominance de l'université qui était la référence en matière de connaissance, mais, depuis, les lignes ont bougé. Aujourd'hui, il y a 610 organismes de formation à La Réunion, mais il y en a environ 200 qui fonctionnent effectivement. Le marché réunionnais de la formation reste très atomisé. Quelque 20% d'indépendants sous-traitent à des organismes de formation ou traitent directement avec les entreprises », explique Thierry Fayet, le directeur de GEM Formation et président de la Fédération de la formation professionnelle à La Réunion. Ce développement est avant tout une des réponses à la crise.
De nombreux cadres ont créé des organismes de formation afin de transmettre leur savoir. Par ailleurs, certains d'entre eux ont monté une structure avant de repartir exercer un emploi salarié dans une entreprise. Le marché n'est toutefois pas saturé. « Le marché de la formation s'est beaucoup développé, surtout depuis la mise en place du dispositif des contrats aidés incluant une obligation de formation. Le marché représente actuellement quelque 200 millions d'euros. Le problème de notre secteur d'activité, c'est qu'il n'est pas réglementé, ce qui laisse des opportunités à tout et n'importe quoi. Mais je dirai qu'il y a suffisamment de place pour les vrais professionnels de la formation », remarque Vanessa Settama, directrice et gérante de Synergie OI (anciennement CESSA).

DES OPPORTUNITÉS AVEC LA NOUVELLE ROUTE DU LITTORAL

Les projets créateurs d'emplois restent encore relativement nombreux. Selon le CARIF-OREF, 50 projets dans la santé et l'action sociale, 15 projets dans l'hôtellerie-restauration et 7 projets dans le commerce auront vu le jour entre 2010 et 2014, ce qui représente 2 622 emplois potentiels. Et avec le chantier de la nouvelle route du Littoral (NRL), de gros besoins de main d'oeuvre vont se faire sentir. « Pour la nouvelle route du Littoral, il va falloir anticiper car ce projet présente d’autres contraintes que la route des Tamarins. Il va nous falloir des ouvriers très spécialisés comme, par exemple, des personnes formées au métier de scaphandrier », souligne Pierrick Robert, président de la commission Formation à la Chambre de commerce et d'industrie (CCIR) qui se présente comme le deuxième opérateur de formation réunionnais après le Rectorat avec 10 000 personnes formées par an.
Pour ce chantier pharaonique, les appels d'offres ont déjà été lancés et une société comme Synergie OI a d'ores et déjà été retenue pour la formation des canalisateurs.

DES BESOINS DANS LES SERVICES À LA PERSONNE ET L’HÔTELLERIE

Mais si les grands projets routiers promettent de belles perspectives, le BTP n'est pas le seul secteur fortement demandeur de formations. Le projet Trans Eco Express, qui sera le nouveau visage du transport public réunionnais, va nécessiter la formation de conducteurs. L'aide et le service à la personne sont aussi des secteurs porteurs d'emplois, ne serait-ce que pour des raisons démographiques. « Le nombre de personnes âgées handicapées et dépendantes augmente fortement et il faut régler le problème de la petite enfance avec les mères qui travaillent de plus en plus souvent. Avec ces deux population, nous avons un besoin grandissant de formations », constate ainsi Jean Yves Gilles, le directeur de l'École des métiers d'accompagnement de la personne (EMAP). Dans l'hôtellerie-restauration, la demande de formations est également forte. « Si nous construisions un nouveau Centhor (école hôtelière – Ndlr), il serait déjà plein », affirme Pierrick Robert. Les besoins de formation se font aussi sentir du fait de l'évolution réglementaire et technique de certains métiers. « Pour les contrôleurs techniques dans le secteur automobile, la réglementation est devenue plus pointue. Même chose pour les monteurs de pneumatiques poids lourds. Il y a donc un besoin de nouvelles compétences et, avec notre formation, nous garantissons une employabilité immédiate », indique Bernard Picardo, le président de la Chambre des métiers et de l'artisanat.  

LE FINANCEMENT DEVIENT PROBLÉMATIQUE

 

Reste la question du financement. Avec la fin de l'obligation légale pour les entreprises de plus de 300 salariés de cotiser à un OPCA, la réforme de la formation professionnelle va créer un véritable séisme. Ces grosses entreprises vont pouvoir former elles-mêmes leurs salariés. Les missions des OPCA vont devoir être redéfinies puisque qu'ils n'auront plus que les cotisations des entreprises de moins de 300 salariés. La réforme va également impliquer une réorganisation territoriale avec de nouveaux comités régionaux paritaires. Par ailleurs, le financement devient de plus en plus problématique avec la crise. La Région, qui est la pierre angulaire du financement de la formation professionnelle et de l'apprentissage, vient de réduire, dans son budget 2014, de 4,9% sa dotation qui passe de 105 millions d'euros à 99,8 millions. Or, le budget d'un organisme comme l'AFPAR dépend à 97% de la Région. Pour la Chambre des métiers, la Région intervient à hauteur de 33%. « Depuis deux ans, nous constatons une baisse des budgets alloués aux centres de formation. Nous ne pouvons pas faire face à la demande. Nous avons par exemple 2 000 candidatures d'aides soignants pour seulement 20 places », déplore Jean Yves Gilles. En outre, la formation professionnelle est devenue un millefeuille où les filières se concurrencent souvent au détriment de l'efficacité. Avec à la clef des gaspillages. « Les contrats d'avenir risquent d'empiéter sur l'apprentissage. Nous voyons déjà des élèves apprentis quitter leur filière pour un emploi d'avenir », s'inquiète un formateur. Beaucoup d'opérateurs réclament un retour à plus de simplicité car il devient de plus en plus compliqué de savoir quels sont les dispositifs qui existent et qui sont les plus adéquats. Malgré la multiplication de ces dispositifs, force est de constater que le niveau de chômage reste important.
« Il faudrait exiger des obligations de résultats et créer un contrat d'objectifs et de moyens », propose Bernard Picardo.

LES PROJETS EN GESTATION AUTORISENT L’OPTIMISME

Tout n'est pas noir pour autant. Le niveau des formations à la Réunion reste bon. Un organisme comme Strategis Consultants propose par exemple des formations de l'ESSEC, une école de management française de renommée mondiale. « Nous évitons que les personnes partent pour la Métropole car elles sont en entreprise ici. Les diplômes décernés sont les même qu'à Paris même si les cas pratiques peuvent être réunionnais », assure Pascal Plante, le directeur de ce centre. Au niveau de la Région, plusieurs projets sont en gestation. La Cité des métiers est opérationnelle depuis décembre 2013 et se présente comme un hub de services et d'accès à la formation avec sept pôles où les acteurs peuvent travailler ensemble. De plus, 2014 va être l'année de la jeunesse pour le Conseil régional. La Région prévoit ainsi d'ouvrir une nouvelle école d'ingénieurs sur des secteurs innovants. Il est également prévu la création d'un passeport de formation qui fonctionnera comme une carte Vitale et permettra de suivre le parcours des personnes et d'améliorer les prescriptions. Enfin, La Réunion accompagnera les Olympiades des métiers, une compétition qui permet à des jeunes du monde entier de mesurer leur savoir-faire dans une cinquantaine de métiers. Les sélections régionales se déroulent de janvier à juin 2014 et la finale nationale aura lieu en janvier 2015. Quant à la compétition mondiale, elle se tiendra en août 2015 à Sao Paulo, au Brésil.