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Réunion

La turbine à combustion de Saint-Pierre fonctionne à 80 % au bioéthanol

Cette turbine à combustion (TAC), mise en œuvre par Albioma, représente un investissement de 60 millions d’euros et devait initialement être en service fin 2017. Elle a finalement livré ses premiers watts à EDF fin août 2018.

La production réunionnaise de rhum est contingentée et les usines sucrières se débarrassent du surplus de mélasse grâce à l’Urcoopa (Union réunionnaise des coopératives agricoles), qui l’intègre à la nourriture animale, et une partie est exportée vers des distilleries européennes qui la transforment en alcool de bouche. Dès 2006, Xavier Thiéblin, alors P-DG du groupe Quartier Français, avait le projet de transformer ce surplus de mélasse en bioéthanol, qu’il pensait intégrer au carburant comme c’est le cas en Métropole. Hélas, son projet, formidable sur le papier, s’est heurté à des obstacles administratifs. 
La législation française est en effet incompatible avec le projet d’incorporer localement du bioéthanol réunionnais dans le carburant servi dans les stations-service. Xavier Thiéblin n’a pas eu le temps de résoudre ce problème que son groupe a été cédé à Tereos et démantelé. Isautier a alors repris le projet, sous une autre forme : si on ne peut le servir en station-service, rien ne s’oppose en revanche à ce que du bioéthanol produit localement soit utilisé comme carburant dans une TAC (turbine à combustion). Un appel d’offres a été lancé par la CRE (Commission de régulation de l’énergie) pour construire une centrale de ce type et Isautier était sur les rangs. Mais c’est ASP (Albioma Saint-Pierre) qui a finalement été retenu, en raison de sa plus grande expérience dans le domaine de l’énergie. 
Le bioéthanol est produit par Distillerie Rivière du Mât. La centrale à bioéthanol TAC Sud est implantée sur un terrain dont Albioma est propriétaire dans la Zone industrielle N°3 de Saint-Pierre. La turbine General Electric de 41 MW est identique à celle exploitée par Albioma sur le site du Galion, en Martinique. La turbine est équipée d’un réducteur catalytique destiné à minorer les émissions d’oxyde d’azote. 
On notera que d’un point de vue industriel, la production de bioéthanol ne diffère pas beaucoup du rhum, seules les opérations de finitions diffèrent. Au début, il était question d’importer le bioéthanol de l’île Maurice, où Albioma est également présent. Mais finalement, il est produit par DRM (Distillerie Rivière du Mât). Cette ex-entreprise du groupe Quartier Français, située à Saint-Benoît, appartient depuis 2010 au groupe La Martiniquaise, qui n’est pas un groupe antillais comme son nom le laisse penser, mais un groupe métropolitain, dont le siège est à Charenton-le-Pont. DRM va fournir 3 500 m3 de bioéthanol par an, produit à partir de mélasse locale. Pour assurer un approvisionnement fiable, DRM a installé deux cuves de 600 m3 sur son site du Gol, où sont déjà entreposés ses fûts de vieillissement du rhum de bouche. Ce site est  devenu un stock de carburant à l’issue d’une procédure d’autorisation longue et complexe durant laquelle tous les risques ont été évalués, depuis l’éruption volcanique jusqu’à la chute d’un avion, en passant par la malveillance et l’accident stupide (poste de soudure employé dans un environnement chargé de vapeur d’alcool).
La TAC Sud est destinée à entrer en action à la demande d’EDF, en moins de 10 minutes, aux heures de pointe (de 7 heures à 9 heures et de 18 heures à 21 heures) et en cas d’urgence. La TAC fonctionne à 80 % au bioéthanol et 20 % au fioul, pour des raisons techniques (phases de démarrage, arrêt et à faible charge), et cela pendant seulement 800 heures. Au-delà, la TAC utilisera du fioul.
Ce projet formidable comporte quelques détails qui chagrinent. D’une part, il était prévu que la TAC intègre entre 10 % et 20 % de biocarburant produit par Bioalgostral, mais ce n’est apparemment plus à l’ordre du jour. D’autre part, le projet s’inscrit dans un cadre plus vaste de développement de la filière canne où il était prévu que la sole cannière passe de 24 336 à 30 000 hectares ; or on est loin du compte. 

DU CHAMP À MON RÉSERVOIR
Une tonne de canne à sucre permet d’obtenir 100 kg de sucre, 250 kg de bagasse et 23 litres de bioéthanol obtenu par la transformation ultérieure de la mélasse. Un autre calcul permet de trouver qu’il faut 6 m2 de canne à sucre pour obtenir 1 litre de bioéthanol. Mais pour l’incorporer au carburant de sa voiture, il faut une étape industrielle supplémentaire (« déshydratation ») qui permet d’obtenir un alcool pur à 99,9° GL (Gay Lussac) compatible avec les systèmes d’injection sophistiqués des moteurs automobiles (la turbine General Electric de la TAC de Saint-Pierre accepte un bioéthanol moins pur). En France, on incorpore systématiquement 5 % de bioéthanol dans le SP95 (10 % en Belgique), contre 0 % à la Réunion. Alors qu’avec ses 24 336 hectares de canne, l’île serait en mesure de produire 40 millions de litres de bioéthanol et diminuer d’autant ses importations de carburant !