Le CEB mise sur le stockage des énergies renouvelables
Shamshir Mukoon est l’Acting General Manager (directeur général par intérim) du CEB (Central Electricity Board), l’organisme chargé de la production mais surtout de la distribution de l’électricité à Maurice. Il expose sa stratégie dans cet entretien…
L’Eco austral : Le Central Electricity Board (CEB) a une double casquette. Il produit environ 45% de l’électricité de l’île et détient aussi le monopole de la distribution d’électricité. Quel est l’état des lieux ?
Shamshir Mukoon : Tout comme les îles voisines, nous sommes dans un circuit fermé. Nous sommes donc obligés de produire nous-mêmes notre énergie. La puissance maximale demandée à Maurice est de 480 mégawatts. Et cette demande est de plus en plus forte. Il faut compter 10 à 12 mégawatts supplémentaires par an. Nous pensons atteindre 520 mégawatts vers 2020. Nous devons répondre à cette augmentation tout en nous appuyant sur l’énergie dite propre.
Justement, Maurice dépend à 73% des énergies fossiles qu’elle importe. Les énergies renouvelables ne pèsent donc que 27% et les autorités visent les 35% d’ici à 2025. Comment expliquer que, dans une île tropicale, ce pourcentage soit si faible ?
Nous sommes effectivement dans un pays tropical qui a du soleil, du vent et des marées, donc des énergies gratuites. Mais leur faiblesse, c’est leur intermittence et ce n’est pas imple à gérer. La question du stockage se révèle stratégique. C’est pourquoi le CEB vient de lancer, avec l’Union européenne, un appel d’offres de deux millions d’euros pour deux batteries. Elles font 4 mégawatts (2 mégawatts chacune). Elles sont indispensables pour introduire plus de 35% d’énergie renouvelable dans notre réseau général. Elles vont agir comme tampon du fait même de la nature intermittente des énergies solaire et éolienne. C’est donc une décision fondamentale et stratégique d’investir dans ces batteries car, depuis le programme Maurice île Durable (MiD), les autorités ont incité les Mauriciens à installer des systèmes photovoltaïques sur leur toit et à se connecter au réseau général.
Quels programmes le CEB a-t-il mis en place ?
Il y a d’abord Small Scale Distributed Generation (SSDG) qui comporte deux volets. Le premier affichait deux mégawatts de puissance totale. Nous rachetions toute l’électricité produite par des particuliers à un tarif préférentiel de 22 à 25 roupies (55 à 62 centimes d’euro) le kilowattheure. Un prix supérieur au coût de production, mais le programme MiD apportait le complément. Ce fut un succès et près de 300 installations se sont connectées. Avec l’arrêt du programme MiD, une seconde phase a été mise en place. Il s’agit du Net-Metering, ouvert pour 5 mégawatts. Son principe est que les producteurs consomment leur propre électricité et injectent le surplus dans notre réseau. Le CEB ne le rachète plus mais l’enregistre comme un crédit qu’ils peuvent réutiliser le soir. À la fin du mois, on fait le décompte. Aujourd’hui 450 installations sont connectées au réseau. Il s’agit avant tout de clients individuels et de petits commerces.
Ces programmes incitent-ils les consommateurs à se déconnecter du CEB ? D’ailleurs, est-ce aujourd’hui légal ?
C’est une bonne question. Il est techniquement tout à fait possible de se déconnecter de notre réseau. Un client peut choisir, en couplant par exemple des panneaux solaires, une éolienne individuelle et des groupes électrogènes, d’être autonome. Mais l’idéal est d’investir dans des batteries capables d’emmagasiner l’énergie renouvelable dont il a besoin. Le coût de ces batteries reste élevé. Il représente la moitié de l’investissement. Il est néanmoins légal de se déconnecter. Ce qui est interdit, c’est la vente de l’électricité qui reste un monopole de notre organisme et donc de l’État. En outre, la réglementation actuelle de l’« Electricity Act » précise que tout appareil utilisant plus de 230 volts ou plus doit recevoir l’agrément du CEB pour des raisons de sécurité.
Y a-t-il d’autres programmes de production individuelle ?
Le Medium Scale Distributed Generation (MSDG) vise les entreprises, les hôtels et petits commerces. Contrairement aux clients du SSDG, ils payent des frais de connexion équivalents au nombre de kilowatts qui sont connectés à notre réseau. Cela nous permet de conserver cette puissance en réserve pour eux. Nous venons d’ouvrir un programme de 10 mégawatts. Nous avons reçu 90 projets qui vont de 100 kilowatts à deux mégawatts.
Nous allons viser des projets plus importants avec le Large Scale Distributed Generation (LSDG). Nous venons de signer trois projets dans ce cadre : un de 12 mégawatts, un autre de 13 mégawatts pour des fermes solaires et enfin 15 mégawatts d’Akuo, présent à La Réunion et premier producteur français indépendant d’énergies renouvelables. Ces projets devraient être opérationnels en 2018.
Pouvez-vous préciser quel est le modèle économique pour ces projets ?
Ils vont produire de l’énergie que nous rachèterons comme nous le faisons déjà avec les Independant Power Producers (IPP), les producteurs indépendants d’énergie (les groupes sucriers). Au total, en 2018, nous aurons donc 40 mégawatts qui entreront dans notre réseau.
Je voudrais d’ailleurs ajouter que nous pouvons nous appuyer également sur des parcs éoliens comme celui de Roches Noires qui fournit 9 mégawatts, il y a aussi une autre ferme de 30 mégawatts qui sera à Plaine-Sophie. Si l’on additionne tous les programmes – SSDG, MSGD et LSDG – et l’éolien, on peut atteindre les 150 mégawatts de puissance, soit un tiers de la puissance maximale demandée à Maurice.
Vous avez évoqué les IPP (Independant Power Producers). Depuis 1984, ils produisent 55% de la puissance électrique nationale en utilisant de la bagasse, mais aussi et surtout du charbon. C’est le « mix » énergétique. La plupart des contrats vont arriver à échéance. Qu’avez-vous prévu ?
Effectivement, aujourd’hui, les centrales des IPP sont hybrides, elles utilisent de la bagasse et très majoritairement du charbon. Nous avons un contrat avec le groupe Terra qui porte sur 62 mégawatts de puissance, avec la Compagnie thermique de Savannah (CTSav) pour 74 mégawatts et avec le groupe Alteo pour 27 mégawatts. Nous avons également un contrat de 30 mégawatts fonctionnant exclusivement au charbon avec St Aubin. Enfin, nous sommes avec le groupe Médine qui, lui, nous fournit 11 mégawatts produits avec de la bagasse. Ces contrats ont été signés pour vingt ans. Certains tombent à échéance en 2018, d’autres en 2020, voire même en 2027. Ils contiennent des clauses permettant une extension allant jusqu’à cinq ans. Il est prévu de renégocier des tarifs sur la base de nouveaux contrats. Ces négociations peuvent passer par la question de la mise à niveau de ces installations pour les rendre encore plus efficientes à partir de la même quantité d’entrants, très souvent de la bagasse.
Avec la baisse du prix du sucre sur le marché mondial, les petits planteurs se détournent de la canne et donc la quantité de bagasse disponible va diminuer. Certains producteurs, comme Terra ou Alteo, ont introduit la paille de canne comme combustible pour diminuer la part de charbon. Peut-on imaginer d’introduire un nouveau tarif dit écologique ?
La création d’un nouveau tarif créé par l’introduction d’une nouvelle biomasse est avant tout une question de politique énergétique. Il est donc difficile pour moi d’y répondre. Notre rôle est de fournir de l’électricité à l’économie de l’île au moindre coût possible. Donc, il me paraît difficile d’augmenter les tarifs même si c’est pour soutenir de nouvelles formes de production plus respectueuses de l’environnement. Car au final, ces coûts sont payés par les consommateurs.
Mais quand le prix de l’huile lourde baisse, le prix de l’électricité ne baisse pas ?
C’est vrai. Que faisons-nous alors des bénéfices dégagés par ces économies ? C’est grâce à cela que nous avons pu lancer, avec l’Union européenne, l’appel d’offres des batteries au coût de deux millions d’euros (80 millions de roupies). Cela explique aussi une multitude de projets photovoltaïques et éoliens qui sortent et qui vont sortir de terre. D’ailleurs, pour mettre en œuvre sa stratégie, le CEB a créé une filiale, la CEB Green Energy Co Ltd.
Quel est son rôle ?
Cette filiale, détenue à 100% par l’État, a pour objectif d’augmenter la part de l’énergie solaire dans notre réseau. Nous avons déjà des projets comme celui d’une ferme solaire de 2 mégawatts, à Henrietta (près de la ville de Vacaos, au centre-ouest de l’île – Ndlr). Selon les résultats, nous envisageons de monter à 15 mégawatts.
Et qu’en est-il du projet de 120 mégawatts de production d’électricité par le gaz naturel liquéfié (GNL) ?
Le GNL, plus connu comme le gaz de schiste – c’est en fait du méthane naturel – nous apparaît comme une étape intermédiaire, une alternative aux combustibles fossiles avant le déploiement optimal du solaire et de l’éolien dans notre réseau. Installée dans la nouvelle centrale de Fort Georges, située à Mer rouge (au nord de Port-Louis), il s’agit d’une production encore expérimentale d’un nouveau combustible. Cela pose des questions de stockage, de manipulation et de transport, et impose des investissements assez lourds. Nous venons d’ailleurs de lancer l’un des appels à manifestation d’intérêt pour avoir un aperçu de toutes les technologies qui existent. Nous pensons que d’ici 2021-2022, 20% à 25% de l’électricité sera produite avec du GNL.
Quand peut-on imaginer à Maurice un « Smart Grid », réseau de distribution d’électricité dit « intelligent », capable de gérer le réseau de façon optimale ?
Il y a encore dix ans, notre réseau était purement électrique. Pour caricaturer, c’était un câble qui transmettait l’électricité d’un point de production jusqu’au client final. Avec l’introduction de production solaire et éolienne, on doit surveiller le réseau avec beaucoup d’attention pour ne pas le déstabiliser. On doit ajouter de l’intelligence dans notre système. Par exemple, nous avons déjà installé chez les particuliers 20 000 compteurs équipés de modem. Avec des capteurs et de la fibre optique, cela permet de connaître en temps réel l’état du réseau. C’est une gestion 2.0. D’où la création, en 2016, d’une autre filiale : le Central Electricity Board Fiber Net Co. Ltd.
C’est une diversification de vos activités ?
Comme nous avons un excédent de capacité de transmission de données, nous allons effectivement pouvoir entrer sur le marché de la bande passante… Avec tous ces dispositifs, j’espère que notre réseau pourra être un véritable Smart Grid d’ici 2030. Et d’ici là, d’autres évolutions techniques majeures dans la production et le stockage de l’énergie peuvent survenir…
En attendant, pourquoi ne pas imaginer un système d’heures pleines et d’heures creuses pour inciter les usagers à revoir leur mode de consommation ?
C’est une question pertinente. Mais rappelez-vous de l’expérience de la création de l’heure d’été pour utiliser au maximum la lumière du jour. Cela devait générer des économies importantes, avec une baisse de la demande estimée à 10 mégawatts, mais la population n’a pas adhéré. Aujourd’hui, nous avons trois tarifs principaux : un résidentiel, un commercial et un industriel. Celui-ci est inférieur à nos coûts de production. C’est un choix dicté par une politique économique qui visait à soutenir l’industrie. La décision éventuelle de réviser cette grille tarifaire ne dépend pas du CEB mais d’autres instances…
Directeur général par intérim depuis novembre 2016, il remplace Gérard Hébrard parti en congé maladie. Comme ce dernier, Shamshir Mukoon est un produit 100% CEB. Il occupait auparavant le poste de « Production Manager ». Il est diplômé en ingénierie mécanique de l’université de Maurice.
Le CEB ne donne pas vraiment l’exemple de la transparence en ne publiant ses comptes qu’avec beaucoup de retard. Il semble en tout cas qu’il profite pleinement de la baisse du prix du pétrole qui n’a pas été répercutée sur les prix de vente de l’électricité. En 2014, pour un chiffre d’affaires équivalent à 357,3 millions d’euros, il a dégagé 38,9 millions d’euros de résultat net.