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Maurice

Port-Louis veut renouer avec son glorieux passé maritime

Après avoir été une étape sur la route des Indes, il s’agit de l’être maintenant sur la route de l’Afrique avec un hub pétrolier qui se met en place pour l’approvisionnement des navires et le développement du transbordement. Mais des progrès restent à accomplir en productivité.

« Faire du port mauricien une sorte de station essence géante pour le ravitaillement des bateaux »… L’idée semble saugrenue ? C’est pourtant ce qui est en train de prendre forme avec l’entrée en opération d’ici à la fin de l’année d’une station de ravitaillement flottante devant l’entrée de Port-Louis. Cette « station » aura une capacité de 250 000 à 300 000 tonnes de carburant pour le ravitaillement en mer des navires qui utilisent le port mauricien. Le projet émane d’une société internationale qui gère des sites de stockage en Australie et au Canada. Son partenaire mauricien est une société spécialisée dans les services maritimes. « Chaque année, quelque 34 000 navires circulent dans l’océan Indien, entre le détroit de Malacca et Le Cap. Port-Louis est sur leur route et doit pouvoir se positionner comme le lieu idéal pour le ravitaillement », indique le coordonnateur local du projet, un spécialiste des services maritimes, qui tient pour l’instant à rester dans l’anonymat. Le projet a déjà obtenu le feu vert des autorités et un deuxième opérateur est déjà sur la ligne de départ. Seuls quelques détails restent à régler, d’où la prudence et la discrétion de notre interlocuteur. Le soutage ou « bunkering » que Port-Louis souhaite développer comme axe majeur de sa stratégie de développement est en train de se mettre rapidement en place.

212,5 MILLIONS D’EUROS POUR LA MODERNISATION DU PORT

« Hub », « clé de la mer des Indes », Port-Louis serait-il en train de renouer avec son glorieux passé ? Le port mauricien a toujours affiché de grandes ambitions en voulant profiter de sa situation géographique, comme dans le passé. Port de ravitaillement sur la route des Indes ou base de corsaires, le port mauricien a connu un âge d’or que les autorités entendent bien remettre au goût du jour. Surtout depuis que l’Afrique voisine affiche des taux de croissance moyens de 5% par an et une explosion du commerce qui devrait dépasser le milliard de tonnes d’ici à 2020. La croissance dans le trafic maritime est exponentielle avec notamment un trafic de conteneurs qui devrait atteindre les 38 millions de EVP (équivalent vingt pieds) en 2020.
Ainsi, à Port-Louis, de gros efforts sont consentis pour améliorer les infrastructures et le service : 8,5 milliards de roupies (212,5 millions d’euros) seront consacrés à la modernisation du port. Et la croissance du trafic est déjà au rendez-vous avec un record de 3 652 navires en 2013. Autre record : les profits du port se sont élevés à 612 millions de roupies (15,3 millions d’euros). « Ces performances remarquables sont le résultat du positionnement stratégique de Port-Louis comme hub régional majeur, plus particulièrement pour le « bunkering », le transbordement de conteneurs, la transformation du poisson et les croisières », se réjouit-on à la Mauritius Ports Authority (MPA), la direction portuaire.
Une grande vision, une « Road Map », est élaborée par le gouvernement pour renouer avec le glorieux passé de l’époque coloniale et développer une véritable « économie océanique » avec de nouvelles activités, doper la croissance et faire de Port-Louis la porte d’entrée du continent africain. Les grands noms du service maritime comme Maersk (numéro un mondial) et MSC (numéro deux) sont déjà présents et se déclarent prêts à se joindre à ce pari sur l’avenir. « Nous voulons nous positionner dans l’océan Indien sur le long terme », assure Michael Chang Bjornlund, nouveau directeur général de Maersk Line à Maurice et familier de l’Afrique. Maersk est, avec Mediterranean Shipping Company (MSC), l’un des plus gros opérateurs pour le transbordement de conteneurs à Port-Louis. Premier vecteur de développement et d’activité dans le port, le transbordement a connu une augmentation record avec 317 220 conteneurs EVP (équivalent vingt pieds) en 2012, avant de retomber à 268 820 en 2013. Il reste l’activité la plus rentable pour le port (coût de la manutention, frais d’ancrage et d’accostage).

PRODUCTIVITÉ, LE MOT QUI FÂCHE

D’emblée, Michael Chang Bjornlund n’hésite pas à placer la barre très haut. « Si le gouvernement croit fermement dans les services maritimes, il doit pouvoir être plus visionnaire sur la capacité du port d’effectuer plus de transbordement », affirme-t-il. Et sa compagnie n’a pas hésité, en 2013, à réduire sa capacité de transbordement sur Port-Louis en raison de la mauvaise productivité du port. Résultat : la chute brutale dans le trafic de conteneurs enregistrée en 2013. La MPA le reconnaît. Productivité, c’est le mot qui fâche… De 22/23 mouvements de l’heure pour la manipulation des conteneurs à quai, on est descendu à 19. Pour les opérateurs, c’est là que réside le point faible du port mauricien. « À Port-Louis, il y a des problèmes d’infrastructures et de productivité », résume Vishal Nunkoo, CEO de Velogic (groupe Rogers), l’un des gros transitaires à opérer sur le port.

Vishal Nunkoo, CEO de Velogic (groupe Rogers) : « Port-Louis est bien situé, plus compétitif et plus flexible, mais de nos jours, cela ne suffit plus. » - Davidsen Arnachellum

Vishal Nunkoo : « Port-Louis est bien situé, plus compétitif et plus flexible, mais de nos jours, cela ne suffit plus. »

Gassen Dorsamy, le directeur de Cargo Handling Corporation Limited (CHCL), le prestataire des services de manutention, se défend : « Nous acceptons les critiques, mais nous avons des circonstances atténuantes. Il y a des choses à améliorer, mais nous devons prendre en compter certaines contraintes. » Et de demander aux opérateurs un peu de patience. Car les travaux d’agrandissement tant attendus démarrent enfin avec une date butoir : 2017. À partir de ce mois de septembre, la réhabilitation des grues démarre et va durer neuf mois. Dans la foulée, le port fera aussi l’acquisition de deux grues Panamax (pour les navires de nouvelle génération) qui viendront s’ajouter aux cinq existantes. De plus, les quais seront rallongés et leur profondeur augmentée à 16,50 mètres. « À partir de 2017, Port-Louis sera équipé pour concurrencer n’importe quel port », soutient le directeur de CHCL.
En attendant, les opérations vont être perturbées, selon René Sanson, représentant de MSC (Mediterranean Shipping Company). Si ce dernier accueille l’amélioration des infrastructures avec un certain soulagement, il est conscient que cela va gêner les opérations et la productivité, déjà en baisse, va souffrir durant de longs mois. Voire plus ? Gassen Dorsamy se montrer rassurant : « CHCL a la ferme intention d’investir dans la formation des employés et a établi une excellente ligne de communication avec le syndicat le plus puissant du port. Nous sommes constamment à leur écoute », assure-t-il. René Sanson est prêt à lui accorder le bénéfice du doute.

UN RELAIS DE CROISSANCE AVEC LE SOUTAGE

Opérateurs et autorités portuaires ne se laissent donc pas abattre et veulent surfer sur la vague de croissance qui déferle sur l’océan Indien. Transformation du poisson, activités de port-franc et croisières : Port-Louis a déjà plusieurs cordes à son arc. Mais le nouvel élément qui vient s’ajouter à la gamme de services du port mauricien, c’est le « bunkering » (ou « soutage » en français), le stockage des produits pétroliers pour l'approvisionnement des navires. Avec une zone dédiée dans le port, un cadre régulateur mis en place dans le dernier Budget qui rend Port-Louis compétitif dans ce segment, c’est la nouvelle activité qui attire toutes les convoitises.
« Avec un bon produit, un bon prix et un bon service, les navires n’auront aucun mal à choisir Port-Louis au lieu de Colombo, voire même Singapour », s’enthousiasment les nouveaux acteurs de ce créneau porteur. Il faut dire que cela fait un moment que le projet est dans les starting-blocks. « Les études de marché démontrent que Port-Louis est le dernier port crédible pour le ravitaillement avant le continent, ses grèves et ses retards », indique un observateur du milieu maritime.
Les autorités portuaires ont vu grand afin d’améliorer les capacités de stockage du port mauricien. Et le comblement de la zone portuaire au niveau des Salines (entrée sud du port) devrait justement permettre d’aménager de grands espaces de stockage de produits pétroliers. Huit hectares y seront dédiés. « De nouveaux tarifs portuaires, plus incitatifs, seront introduits pour inciter les bateaux à venir s’approvisionner à Port-Louis », indique-t-on à la MPA.
Toute cette activité devrait être bénéfique à tous les métiers du port, notamment le secteur de la réparation. Le chantier naval Taylor Smith est déjà un opérateur important avec en moyenne 80 navires pour le carénage et 130 bateaux (dont des plaisanciers) pour les élévateurs. « Bien évidemment, lorsque le trafic augmente, nos activités suivent la même tendance », approuve le capitaine Thierry Bétuel, directeur de Taylor Smith.

UNE NOUVELLE APPROCHE S’IMPOSE

Le port mauricien doit faire face aujourd’hui à un réel problème existentiel. Il a toujours voulu calquer sa progression sur le modèle de Singapour. Or, il en en est encore loin puisque le grand hub asiatique est le deuxième port au monde pour le volume de marchandises, avec 560,8 de tonnes au compteur, alors que le petit port de l’océan Indien est très loin derrière avec 6,7 millions de tonnes de marchandises manipulées en 2013. De plus, les autres ports de la région ont eux aussi des atouts. C’est ce que font ressortir Vishal Nunkoo et René Sanson, arguments à l’appui. Durban, pourtant saturé et en proie aux grèves fréquentes, a plus de volume avec un arrière-pays immense (qui s’étend du Malawi à la RDC, en passant par la Zambie) et investit gros dans les infrastructures. Port Réunion est plus cher mais plus productif et s’apprête lui aussi à investir dans l’approfondissement de ses quais. Quant à Tamatave, on ne sait jamais ce qui pourrait arriver si la stabilité faisait enfin son retour à Madagascar… « Port-Louis est bien situé, plus compétitif, plus flexible, mais de nos jours cela ne suffit plus », martèle Vishal Nunkoo. La remise en question est permanente et la remise à niveau doit se faire régulièrement, notamment au plan humain. « Lorsqu’il y aura un plus long quai et plus de portiques, les compagnies seront intéressées à faire plus de transbordement, c’est certain. Mais la culture du travail doit changer dans le port », insiste pour sa part René Sanson.

René Sanson, représentant de MSC (Mediterranean Shipping Company) : « Lorsqu’il y aura un plus long quai et plus de portiques, les compagnies seront intéressées à faire plus de transbordement, c’est certain. Mais la culture du travail doit changer dans le port. » - Davidsen Arnachellum

René Sanson : « Lorsqu’il y aura un plus long quai et plus de portiques, les compagnies seront intéressées à faire plus de transbordement, c’est certain. Mais la culture du travail doit changer dans le port. »

Intransigeants, les opérateurs le sont et la loi de la concurrence joue à fond dans les services maritimes. Si elles sont disposées à miser sur Port-Louis, les grandes lignes ne sont pas prêtes à le faire au détriment de leur portefeuille. Comme le précise Michael Chang Bjornlund, elles sont là, jouent le jeu, certes, mais c’est le profit avant tout. « Nous devons offrir à notre clientèle un produit et un service le plus attractif possible », précise-t-il, avant d’aouter : « Et si Port-Louis a le potentiel, Durban ou Toamasina (Tamatave – Ndlr) sont là aussi »… Un constat qui sonne un peu comme un avertissement.
En cette période transitoire, avec un port dont les activités sont en réduction, Port-Louis marche sur des œufs. Mais qu’à cela ne tienne, les autorités portuaires n’en démordent pas : elles veulent voir l’avenir en grand avec Port-Louis comme port d’éclatement à la Singapour… Même les opérateurs les plus critiques sont sous le charme et sont prêts à y mettre leur argent… et leur carburant. Et Port-Louis s’érige déjà en leader de la sous-région. Si le port mauricien réussit son pari d’améliorer infrastructures et productivité, alors pourquoi pas ? De l’espace pour l’agrandissement, des mesures incitatives et de nouveaux services : tous les ingrédients semblent réunis pour un cocktail explosif. Sauf imprévu… Ou ce que Gassen Dorsamy craint le plus dans son schéma de croissance : le facteur temps. Celui qui passe mais aussi celui qu’il fait. Comme le souligne le directeur de CHCL, la météo reste toujours la grande inconnue dans l’équation du port mauricien.
 

LA CROISIÈRE REDÉMARRE
Après un passage à vide, voilà que les activités de croisières redémarrent dans le port mauricien. - Gilbert SoobraydooAprès un passage à vide, voilà que les activités de croisières redémarrent dans le port mauricien. L’Italien Costa a annoncé la reprise de ses croisières au départ de Port-Louis à partir du 11 janvier 2015. Les activités de croisière avaient connu un gros ralentissement depuis 2011 en raison de la crise en Europe et du développement de la piraterie. Costa Crociere, qui avait fait de Port-Louis son port d’attache dans l’océan Indien depuis 2007, avait cessé ses opérations en 2012 suite à la perte du Costa Concordia (en Italie). Quinze bateaux de croisière seulement avaient touché Port-Louis en 2013 comparé à 23 bateaux et 23 000 passagers en 2011. Mais aujourd’hui, avec le retour de Costa, les autorités portuaires espèrent attirer 20 000 visiteurs en 2015 et atteindre 50 000 visiteurs en 2020. Les croisières de Costa au départ de Port-Louis seront effectuées par le nouveau bateau de la compagnie italienne, le Costa NeoClassica. Ce navire effectuera neuf rotations en 2015, toujours au départ de Port-Louis. Afin d’optimiser les opérations, la MPA va investir 150 millions de roupies (3,8 millions d’euros) dans la construction d’un terminal de passagers au Terminal Christian Decotter.

 

FIN DU MONOPOLE D’ÉTAT DANS L’APPROVISIONNEMENT DES NAVIRES EN HYDROCARBURES
Jean-Claude Ng Ping Man, directeur financier et administratif de The Mauritius Mollasses, devant l’un des réservoirs de fioul d’une capacité de 7 000 tonnes. Le volume actuel de 270 000 tonnes de soutage réalisé à Maurice pourrait bien être multiplié par trois ou quatre. - Davidsen DavidsenJean-Claude Ng Ping Man, directeur financier et administratif de The Mauritius Mollasses, devant l’un des réservoirs de fioul d’une capacité de 7 000 tonnes. Le volume actuel de 270 000 tonnes de soutage réalisé à Maurice pourrait bien être multiplié par trois ou quatre.

Les compagnies pétrolières implantées à Maurice peuvent désormais importer librement certains types de fioul destiné au soutage – Bunkering en anglais –, activité qui consiste en l’approvisionnement des navires. Une petite révolution qui permet à Maurice de se positionner comme plateforme d’approvisionnement et de viser une part des 34 000 navires qui passent chaque année aux larges de ses côtes. Pour les compagnies maritimes, il s’avère intéressant de s’approvisionner en cours de route car elles peuvent ainsi charger davantage leurs navires au départ, avec des conteneurs plutôt qu’avec du fioul. Le groupe mauricien Taylor Smith a anticipé ce développement avec sa filiale The Mauritius Molasses qui était jusqu’alors spécialisée dans le transport et l’export de mélasse. Ce sous-produit du sucre se fait désormais plus rare à l’export car l’industrie sucrière a tendance à le traiter localement dans la production d’éthanol ou de rhum. The Mauritius Molasses a donc décidé d’adapter ses réservoirs de mélasse, d’une capacité de 7 000 tonnes, en les destinant au fioul.

Michael Chang Djornlund - DAMICHAEL CHANG BJORNLUND NOUVEAU PATRON RÉGIONAL DE MAERSK

Il a pris ses fonctions le 1er juillet en provenance du Danemark où il était en poste au siège du leader mondial du transport maritime pendant ces quatre dernières années. Pur produit de l’opérateur danois, Michael Chang Bjornlund y a débuté sa carrière. D’abord spécialisé dans les TIC, il est ensuite devenu consultant en management. Il a aussi beaucoup voyagé sur le continent africain et notamment à Madagascar qu’il connaît bien. Ces dernières années, il a activement participé à la mise en place des grandes stratégies du groupe. Mais le « terrain » lui manquait et c’est pour cette raison qu’il a accepté de prendre la barre de Maersk à Maurice d’où il dirige également les activités du groupe pour tout l’océan Indien.

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