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Madagascar

Crises à Madagascar : les racines d’un mal chronique

Les candidatures à l’élection présidentielle de novembre se multiplient, rendant le scrutin bien incertain. L’occasion pour un doctorant africain en droit public de se pencher sur un pays qui vit crise sur crise et a besoin d’un profond changement institutionnel.

Cinquante-huit ans après l’indépendance, la paix, l’alternance politique et le progrès demeurent des vœux pieux à Madagascar. L’île rouge s’est presque habituée à ces écueils récurrents. Ces crises malgaches à répétition sont-elles provoquées seulement par les hommes politiques ou est-ce aussi le résultat de certaines règles du jeu politique ?
Les acteurs politiques jouent un rôle majeur dans les conflits. Contrairement au mythe des hommes politiques garants de l’intérêt général, nombreux sont les hommes d’État poursuivant en priorité leurs propres intérêts, notamment l’accaparement du pouvoir. Aussi, la guerre des ego surdimensionnés est problématique car empêchant la culture du compromis et du respect des résultats des différentes échéances électorales. Ces égoïsme et opportunisme des hommes politiques à Madagascar expliquent pourquoi il est rare que les questions soulevées par ceux-ci portent sur l’intérêt national. Pis, l’essentiel des politiques ne s’embarrassent pas de respect des textes garants de la stabilité. Au final, on a des crises liées aux ego et aspirations personnelles. On se souvient qu’en 1991, les partis politiques de l’opposition décidaient de la création d’un gouvernement parallèle avec Albert Zafy comme Premier ministre. En 2002, c’était Marc Ravalomanana qui s’autoproclamait président. En 2009, le président Marc Ravalomanana remettait ses pouvoirs à un directoire militaire, qui les transférait aussitôt à Andry Rajoelina.


Vaste pays de 587 295 km2 (source Instat Madagascar), Madagascar compte 22 régions administratives et près de 10 millions d’inscrits sur les listes électorales.  Stocklib/Bogn Serban  

Les règles du jeu elles-mêmes « crisogènes »

De prime abord, l’un des maux qui mine la politique à Madagascar est l’absence de mécanismes constitutionnels efficaces de dialogue. En effet, les mots « union », « consensus » ou encore « dialogue » sont inexistants dans les 168 articles que comporte la Constitution malgache. Celle-ci reste muette et ne prévoit guère de mécanismes internes de règlement des conflits. Seulement, elle confère, à l’image de nombreuses autres constitutions de l’Afrique francophone (Cameroun, Côte d’Ivoire, Togo, Sénégal, Niger, Burkina Faso), des prérogatives exceptionnelles au président, à savoir « l’état d’urgence, l’état de nécessité ou la loi martiale (…). Dès la proclamation de l’une des situations d’exception précitées, le président de la République peut légiférer par voie d’ordonnance pour des matières qui relèvent du domaine de la loi » (article 61 de la Constitution malgache). Cette « dictature provisoire » ne saurait se substituer au dialogue institutionnel, politique qui est inexistant. En clair, la Constitution ne prévoit guère de mécanismes efficaces capables d’endiguer les crises. Les multiples réformes constitutionnelles n’ont guère avancé sur la question. On se souvient encore des accords de Dakar qui ont vu l’implication de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) car les mécanismes internes étaient défaillants. Cette insuffisance du dispositif constitutionnel et normatif conduit à rechercher des solutions ailleurs, pas toujours adaptées aux réalités malgaches. D’où l’entretien et l’amplification des crises.
Ensuite, le régime politique ne donne pas de garantie de stabilité. Le régime malgache est semi-présidentiel. Le président « est élu au suffrage universel direct » (article 45) et il « nomme le Premier ministre, présenté par le parti ou le groupe de partis majoritaire à l’Assemblée nationale » (article 54). Si le parti présidentiel n’a pas la majorité au Parlement, on se retrouve en cohabitation avec un Premier ministre issu de l’opposition, hostile au chef de l’État. Ceci accroît les risques de crise. Ainsi, par exemple, la Haute Cour constitutionnelle avait ordonné, le 1er juin 2018, la démission du Premier ministre et la composition d’un nouveau gouvernement devant refléter les résultats des élections législatives de 2013. Cette injonction a fait naître un vif débat entre le régime et ses adversaires, qui revendiquent tous les deux la majorité d’un Parlement dans lequel bon nombre d’élus ont changé de camp. La nomination d’un nouveau gouvernement, dit de consensus, se heurte toujours à l’hostilité des opposants qui estiment être majoritaires donc devant avoir l’exclusivité du gouvernement. Le Président, quant à lui, est peu enclin à travailler avec un gouvernement totalement acquis à la cause de l’opposition. Au final, dans cette configuration, la coopération entre institutions est bloquée, et la crise perdure. Cette organisation du pouvoir dans un pays secoué et constamment fragilisé par des conflits est inappropriée. Les régimes semi-parlementaire, semi-présidentiel sont finalement semi-efficaces.
Enfin, le pays a perpétué l’impunité au lendemain des conflits. En effet, les acteurs majeurs des crises précédentes ne sont guère inquiétés. « À Madagascar, la situation en matière de droits humains est en train de se dégrader fortement car, de toute évidence, l’état de droit n’est pas respecté », déclarait Deprose Muchena, directeur du programme Afrique australe à Amnesty International. Cette « absence de poursuites est la porte ouverte aux violations, » ajoute Deprose Muchena. La crise en janvier 2009, par exemple, a fait 80 victimes qui attendent toujours que les bourreaux soient sanctionnés. En clair, ne pas poursuivre les acteurs de crimes et délits, puisqu’acteurs publics, conforte l’envie de répéter les infractions et piétiner le droit.


L’ex-président Didier Ratsiraka, qui avait entrepris une « révolution socialiste » entre 1975 et 1985, avant d’ouvrir l’économie, a créé la surprise en annonçant sa candidature à l’âge de 82 ans.   DR

L’instrumentalisation de la pauvreté

« Les politiciens utilisent la pauvreté pour manipuler », affirmait la chercheuse Ketakandriana Rafitoson au journal Le Monde. En effet, la population malgache est majoritairement pauvre. En 2018, Madagascar occupe le 4e rang du classement des pays qui produisent le moins de richesses par habitant avec un PIB par habitant de 424 dollars. Les citoyens deviennent une proie facile pour les politiciens qui les utilisent comme instruments. L’enquête sur la transition des jeunes vers la vie active révélait d’ailleurs que la proportion des jeunes occupant un emploi régulier était de 8,2 % en 2015. Devant les quelques billets de banque des politiques, les Malgaches succombent facilement à la tentation de suivre le mieux disant, sans aucun égard aux conséquences sur le fonctionnement des institutions politiques. En effet, les manifestations des politiques, les actes subversifs réunissent des milliers de personnes. Celles-ci, tenaillées par la pauvreté, sont utilisées à des fins de déstabilisation chronique par les politiques. Avec une croissance économique, loin d’être portée par les performances des entreprises malgaches, mais plutôt dopée par l’investissement public, et l’endettement, la pauvreté persiste, offrant en permanence un terreau fertile aux crises.
En définitive, l’instabilité politique chronique de Madagascar est fondamentalement due à la mauvaise qualité des institutions régulant le jeu politique. Dès lors, le changement des personnes au pouvoir ne suffirait pas à répondre aux crises répétitives. Un changement institutionnel profond qui réponde au défi de la séparation des pouvoirs, de la culture du compromis et de la médiation, ainsi qu’une croissance économique inclusive permettrait à toutes les parties prenantes de canaliser leurs forces et énergies vers la construction d’une société paisible et prospère. Ce serait plus fructueux que de passer son temps à nourrir des conflits inutiles et sans fin.

(*) Doctorant en droit public au Laboratoire d’études constitutionnelle, administrative et politique (Lecap) d’Abidjan, en Côte d’Ivoire.