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François Bert : « Aucun des candidats à l’élection présidentielle n’a une énergie d’impulsion »

Rencontre avec un expert en ressources humaines qui a commencé comme officier parachutiste à la Légion étrangère avant d’accompagner des cadres et dirigeants d’entreprise. Un parcours qui l’a conduit à écrire un livre très pertinent : « Le temps des chefs est venu – Autopsie de la personnalité présidentielle & solutions pour l’avenir ». « Pour que chacun en ait pour son grade, il faut savoir que par une réaction chimique inexpliquée, les programmes pleins de vent sont paradoxalement les plus lourds à porter. » DR



L’Eco austral : Votre démarche est originale puisque vous n’abordez pas la politique par les programmes mais par la personnalité de ceux qui les conduisent. Cela vaut-il pour l’élection présidentielle à laquelle se prépare actuellement la France ?
François Bert
: Je crois précisément qu’elle en est la meilleure démonstration. Cette élection incroyable de légèreté et de variabilité nous a montré en effet à quel point le programme était à la marge des débats et que, bien davantage que de crédibilité des mesures proposées, il était question avant tout de la personnalité des candidats. Les médias ont voulu aborder cette question sous l’angle moral en concentrant tous leurs efforts ou presque sur les « affaires ». Mais le sujet n’est pas là. Il est, si j’ose dire, « fonctionnel » : un président ne doit pas d’abord être irréprochable mais être en capacité de « faire le job », de traverser les épreuves à venir et les transformer en décisions. Le programme, aussi solide soit-il, reste une aide à la vente beaucoup plus qu’un canal d’exercice du pouvoir : le président sera surtout accaparé par l’inconnu qui se prépare et c’est en le gérant qu’il montrera sa valeur.

On connaît la remarque de Charles Pasqua selon laquelle « les promesses électorales n’engagent que ceux qui les croient ». Est-ce que les vrais chefs tiennent leurs promesses ?
Les vrais chefs s’abstiennent surtout d’en faire trop… Ils savent précisément que les tourments qui les attendent obligent à la retenue et à l’humilité. Ils ne vendent pas un plan d’action exhaustif mais une capacité à décider dans l’incertitude et à rebondir contexte après contexte. Un programme crédible (et tenable) devrait se réduire à des orientations générales. Promettre, puis se dédire ou justifier son reniement par les revirements de situation, c’est agir dès le départ en vendeur inconséquent ou en expert déconnecté. Tenir sa parole est une qualité indispensable pour un chef qui veut durer et honorer sa fonction. Il ne faut pas l’engager par conséquent à la légère. Le général de Gaulle a fait sur ce sujet beaucoup de mal.
 

Dans son livre de 100 pages publié en octobre 2016, François Bert aborde la politique non pas par les programmes mais par la personnalité de ceux qui les conduisent. Un travail de décryptage qu’il poursuit, au fil de l’actualité, sur son blog : https://letempsdeschefsestvenu.wordpress.com/.
Dans son livre de 100 pages publié en octobre 2016, François Bert aborde la politique non pas par les programmes mais par la personnalité de ceux qui les conduisent. Un travail de décryptage qu’il poursuit, au fil de l’actualité, sur son blog : https://letempsdeschefsestvenu.wordpress.com/. 
 

Dans votre livre, vous distinguez les figures du prêtre, du prophète et du roi, ce dernier étant le chef par excellence. Qu’est-ce qui les caractérise et parmi les onze candidats à la présidence de la République, quels sont les prêtres, les prophètes et les rois ?
Nous sommes effectivement, selon l’image biblique, tous « prêtres, prophètes et rois », mais il y a bien des « prêtres », des « prophètes » et des « rois ». Les prêtres sont les « relationnels », ceux qui ont d’abord l’intelligence des personnes et produisent du lien ; les « prophètes » sont les « cérébraux », ceux qui ont d’abord l’intelligence du fond et produisent du contenu (idées, avis, expertise) ; les « rois » sont les « chefs naturels », ceux qui ont d’abord l’intelligence des contextes et produisent de la décision. J’ajoute à la vision de ces figures celle de l’énergie fondamentale des gens : il y a ceux qui sont d’abord en « impulsion » (capacité d’initiative, auto génération de la vision) et ceux qui sont plutôt en « réaction » (génération d’une vision au contact et en complément d’un chef ou d’un groupe). Un fait est notable : aucun des candidats actuels n’a une énergie d’impulsion ; tous dépendent de leur environnement pour générer et faire évoluer leur vision.
Dans la famille des « prêtres » nous trouvons Marine Le Pen, Jean Lassalle, Nicolas Dupont-Aignan et Philippe Poutou.
Dans la famille des « prophètes », nous trouvons Benoît Hamon, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, Jacques Cheminade, François Asselineau et Nathalie Arthaud.
Dans la famille des « rois » : François Fillon (notons que l’énergie de « réaction » fait de lui un « chef en second », c’est-à-dire davantage un premier ministre qu’un président).

Parmi les sept présidents de la Ve République, vous ne voyez que Georges Pompidou et François Mitterrand comme chefs. Un jugement qui en étonnera plus d’un et notamment ceux qui voient en De Gaulle un grand chef. Que leur répondez-vous ?
D’une part qu’un chef se mesure sur la durée et non sur des instantanés : De Gaulle est rattaché à des moments clés de l’histoire de France mais son bilan global est plutôt mitigé. D’autre part qu’un chef se distingue avant tout, nous l’avons vu, par sa capacité à coller aux contextes et à y prendre, étape après étape, les décisions qui s’imposent. De Gaulle fonctionne à l’opposé de cela : il attend que les contextes rejoignent ses idées. En 1940, lors de l’appel, et dans les années 60, quand la France manifeste son indépendance par rapport aux deux blocs, cela produit son fruit. En revanche, quand l’écart se fait sentir, il se fige sur ses idées et cela produit de gros dégâts : en 1946, il se laisse dépasser par les communistes avec lesquels il a fait alliance ; en 1958-62, il se met en situation de parjure, piétine une victoire militaire acquise et provoque des massacres et des déplacements dont nous payons encore aujourd’hui les conséquences ; en 1968-69, il fuit momentanément le pouvoir, se montre incapable de mesurer l’impact de la guerre culturelle qu’il a favorisée par négligence et s’auto-exclut du pouvoir en déclenchant un référendum alors qu’il vient tout juste d’obtenir une victoire législative triomphale. Enfin, par sa difficulté à s’entourer, son constant besoin d’être validé par la masse et, paradoxalement, sa manière d’en être dédaigneux (« les français sont des veaux »), le général a introduit un rapport aux Français émotionnel et capricieux sur l’erre duquel les médias courent aujourd’hui.

Vous avez commencé votre parcours comme officier parachutiste à la Légion étrangère, c’est-à-dire au 2e REP. Combien de temps avez-vous exercé cette fonction et qu’est-ce qu’elle vous a apporté en matière de gestion des ressources humaines ?
J’ai exercé le métier d’officier pendant cinq ans, essentiellement à Calvi (2e REP) mais aussi au 4e RE (régiment école de la Légion étrangère) et dans une unité du nord de la France en refondation. J’y ai appris que le premier acteur RH d’une structure est son chef opérationnel, et ce pour une raison simple : il a entre ses mains le premier facteur de motivation des soldats comme des salariés, à savoir l’alignement de leurs compétences à la réussite de la mission. Ainsi, non seulement ceux-ci croissent mais ils se sentent utiles. J’y ai appris aussi qu’on pouvait tout pardonner à un chef, sauf son incapacité à décider. Qu’importe une certaine distance, un certain silence, pourvu que l’on sente que l’énergie du chef se consume à savoir orienter le groupe au bon endroit et y mobiliser chacun de la bonne façon. On a besoin d’un chef qui nous emmène à la victoire (pas d’un premier de la classe ou d’un mec sympa).

Après avoir quitté l’armée, vous avez fondé en 2011 Edelweiss RH, un cabinet qui conseille « en situation » les équipes de direction, notamment par l’« ostéopathie d'organisation © ». De quoi s’agit-il ?
Pour faire le lien avec la question précédente, on peut dire que bien souvent, les politiques RH des grands groupes consistent à « masser des crampes ». On laisse les chefs cérébraux élaborer des plans rigides et on les compense par du bien-être à toutes les sauces. Concrètement, cela veut dire que l’on fait intervenir pour améliorer les processus RH deux types d’acteurs : des conseils en organisation qui modifient les structures émettrices du plan sans toucher aux personnes et des coach qui font l’inverse. Mon sujet est de combiner l’approche de l’organisation (squelette) et des personnes (muscles) en mettant les bonnes personnes aux bons endroits. L’ostéopathe débloque les crampes en comprenant les causes et en agissant sur elles. Vous voyez comment cela m’a amené à la politique : le problème principal des organisations est l’erreur de casting. 


UN PARCOURS ATYPIQUE

Diplômé de l'école spéciale militaire de Saint-Cyr, François Bert est d'abord lieutenant, puis capitaine, au 2e REP (Régiment étranger pa-rachutiste), le seul régiment parachutiste de la Légion étrangère, celui où se retrouvent en général les meilleurs de Saint-Cyr. Il in-terviendra ensuite dans la formation des cadres de la Légion avant de rejoindre en 2007 le monde civil et la finance comme gérant de portefeuilles à la Banque Degroof & Philippe. Il découvre au cœur de la crise les axes fondamentaux de croissance et de survie des entreprises et leur extrême variabilité ; il apporte à la précision du monde financier les capacités de jugement tactiques apprises en situation de crise. Après un 3ème cycle de gestion de patrimoine de l'université de Clermont-Ferrand, il entre en 2009 à l'Union Financière de France comme directeur du pôle « Entreprises ». Il manage sur le terrain des commerciaux rayonnant sur l'Île de France et la région Champagne-Ardenne et intervient alors dans le conseil patrimonial aux dirigeants d'entreprise. Parallèlement, il oriente professionnellement plus de 250 personnes (500 aujourd'hui), auprès desquelles il élabore progressivement une méthode d'aide au discernement unique dans sa forme et son application. Devant le succès de son approche, il fonde en février 2011 Edelweiss RH qui conseille « en situation » les équipes de direction, notamment via l'« osthéopathie d'organisation © » (déblocage des « crampes humaines », mise en adéquation des organigrammes et des personnalités, accompagnement des évolutions de structures, aide au discernement opérationnel…).