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Afrique

Il faudra montrer patte blanche sur le continent noir

On pourrait paraphraser le général de Gaulle en remarquant que ces temps-ci, on voit beaucoup de monde sauter sur sa chaise comme un cabri en criant « l’Afrique ! », « l’Afrique ! », « l’Afrique ! ». Mais la première chose à se demander, c’est : « L’Afrique existe-t-elle ? » Si l’on s’en tient à une approche géographique, on répondra oui, mais cela ne nous mènera pas loin. Du Maroc à l’Afrique du Sud, en passant par les Comores, Madagascar, La Réunion et Maurice, nous avons là un continent. « C’est nous, les Africains ! »
Demandez aux Malgaches, Réunionnais et Mauriciens ce qu’ils en pensent !

Même si l’on ne considère que l’Afrique sub-saharienne et en excluant les îles de l’océan Indien, peut-on parler d’une seule Afrique ? Il me semble qu’il y plus de différences entre certains de ses pays qu’entre la Sicile et la Norvège, en Europe. Je rejoindrai donc Bernard Lugan qui préfère parler d’Afriques au pluriel.
L’Africain existe-t-il davantage ? Là encore, nous naviguons trop souvent dans les stéréotypes qui confinent aux caricatures. Un Afrikaner blanc d’Afrique du Sud serait-il moins africain qu’un Malien né en France et qui n’a jamais vécu dans le pays de ses parents ? Les différences sont telles entre les castes, les tribus et les ethnies – parfois séparées par des haines ancestrales – que l’étiquette « homme africain » paraît bien illusoire. Mais il est vrai qu’elle contente les Occidentaux qui ont une vision très simpliste du monde, que ce soit l’Afrique ou l’Asie d’ailleurs. Peu d’entre eux sont capables de discerner que leur serveur de restaurant japonais… est un Chinois.

Je me rappelle d’un documentaire tourné à Madagascar sur les Antakarana, ethnie du nord de l’île. Au moment de tourner dans leurs « grottes sacrées », il a fallu remplacer le caméraman « merina » (de l’ethnie des hauts plateaux) par un « vazaha » (étranger). Tout cela parce que, dans l’histoire, il y a eu tentative d’annexion de la part des Merina (principale ethnie de la Grande île) et, pour échapper à l’invasion, les Antakarana se sont réfugiés dans ces grottes difficiles d’accès… et devenues sacrées. Des histoires comme celle-là, il en existe évidemment dans de nombreux pays du continent. Il peut arriver aussi, dans certaines régions, qu’un jeune diplômé ne puisse pas diriger un « ancien » de la même ethnie.

Dans ces conditions,  inutile de vous dire, chers lecteurs, que ceux qui sautaient sur leur chaise tout à l’heure et veulent maintenant conquérir l’Afrique ne vont pas conquérir grand chose. Non seulement, ils ne devront pas jouer aux donneurs de leçon, mais ils devront témoigner d’une certaine humilité et, surtout, se lancer dans une véritable intelligence culturelle. En effet, pour réussir à l’international, l’intelligence économique ne suffit pas et c’est encore plus vrai pour l’Afrique. Il faut savoir gérer les risques interculturels et ne pas oublier non plus l’approche géopolitique. Se focaliser sur les seuls indices économiques serait une grave erreur. Certains pays, tels que le Nigeria ou le Rwanda, en plein boom, et qui pourraient séduire, se révèlent particulièrement fragiles et peuvent se désintégrer du jour au lendemain, comme cela s’est passé en Côte d’Ivoire.

Ne pas oublier non plus que les Afriques sont aujourd’hui très courtisées. Elles peuvent donc se monter plus exigeantes et faire jouer la concurrence. La tendance est de demander plus de valeur ajoutée locale dans les projets. Ali Bongo Ondimba, président du Gabon, qui accueille du 23 au 25 mai le New York Forum Africa, n’hésite pas à déclarer : « D’ici à 2020, nous devons interdire les exportations de produits n’ayant pas subi une transformation initiale au sein de notre pays… » Si l’on ajoute aussi une exigence forte en matière de responsabilité sociale des entreprises (Corporate Social Responsability), on comprend qu’il faudra montrer patte blanche sur le continent noir.