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Jean-Paul Virapoullé : « Il nous faut un nouveau statut économique »

Le maire de Saint-André, président de la Cirest (Communauté intercommunale Réunion Est), qui a mené une longue carrière parlementaire, veut une optimisation fiscale pour que La Réunion devienne le tremplin des investissements européens en Afrique.

L’Eco austral : Pourquoi souhaitez-vous aujourd’hui un changement de statut économique pour La Réunion ?

Jean-Paul Virapoullé : Je pense que nous devons, d’ici à 2017, définir un nouveau cap économique pour la région ultrapériphérique de l’île de La Réunion. Nous avons épuisé les ressources issues de la départementalisation, qui a été le point de départ de la grande marche vers l’égalité sociale et économique. Nous avons été plutôt une bonne région d’Outre-mer dans l’utilisation des crédits européens. Mais compte tenu de l’isolement, de l’insularité, de l’étroitesse du marché et d’un environnement plutôt hostile, La Réunion n’a pas connu un progrès économique capable de relever le défi de la dignité par le travail. Parce que La Réunion a trop vécu repliée sur elle-même, a trop cherché à être protégée plutôt qu’à être conquérante. Nous avons eu peur de la mondialisation, alors qu’il fallait croquer dedans pour prendre notre part de richesses et de croissance. Nous étions sur un axe d’assimilation, plutôt que sur un axe de statut particulier. Le débat entre autonomie et départementalisation a laissé des traces dans la mémoire collective. Aujourd’hui, plus de 90 % des Réunionnais rejettent tout changement de statut pour l’île. Moi, qui étais le combattant le plus virulent, aux côtés de Michel Debré, contre tout changement de statut, je suis aujourd’hui un des mieux habilités à dire qu’il faut, désormais, un changement de cap. Pas un changement de statut politique, mais un changement de statut économique, pour sortir d’un carcan administratif et financier qui condamne La Réunion à l’assistanat.

En 2003, cependant, votre amendement a fait exclure La Réunion du champ d’application de l’article 73 de la Constitution qui habilite les régions monodépartementales d’Outre-mer à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire dans un certain nombre de matières non régaliennes.

Ceux qui n’ont pas lu correctement la Constitution font un mauvais procès à cet amendement. C’est un acte de sécurisation des institutions réunionnaises et en aucun cas un acte de blocage des réformes législatives. L’alinéa 5, dont il est question, consacre le principe de l’unité de législation. Les lois applicables à La Réunion se votent au Parlement français. Cela ne limite en rien le champ d’adaptation des réformes, comme on a pu le constater depuis dans les domaines de la défiscalisation, du financement du logement social, de la TVA non perçue récupérable ou de l’octroi de mer. Cerise sur le gâteau, cette disposition a permis à la députée réunionnaise Ericka Bareigts de faire voter, récemment, par l’Assemblée nationale, une démarche judiciaire que j’approuve, concernant les jours fériés à La Réunion.

Quel statut économique demandez-vous exactement ?

Un statut pour la doter d’un avantage compétitif, sur le plan financier, grâce à une optimisation fiscale des investissements européens réalisés en Afrique via La Réunion. La mondialisation est entrée dans sa deuxième phase, désormais centrée sur l’Afrique. La France et l’Union Européenne sont témoins d’une forme de colonisation économique menée en Afrique anglophone, notamment par la Chine, alors que notre industrie nucléaire, comme la plus grande partie des ressources énergétiques et industrielles de l’Europe, dépend du « grand frère » africain. De deux choses l’une : soit nous laissons se développer sur ce continent des monopoles étrangers d’exploitation des ressources et de la production, soit on se sert de La Réunion comme plateforme d’investissement vers l’Afrique. Comme les puissances américaine et britannique ont pu le faire, notamment en utilisant l’île Maurice pour développer un off-shore financier. Ce statut devra s’accompagner d’un régime d’assurance sociale particulier qui fixera la contribution des entreprises en fonction des avantages compétitifs qu’elles visent à développer pour La Réunion. Et qui sera variable suivant les secteurs d’activité. Car les conditions économiques sont variables suivant les secteurs d’activité. Et nous pourrons ainsi faire du développement économique à la carte.

Quels leviers institutionnels peuvent-ils amener cette évolution ?

Cela est possible puisque prévu par l’article 349 du Traité de Lisbonne. J’ai rédigé, en 1992, alors président de l’Intergroupe parlementaire de l’Outre-mer, le texte qui a permis, lors de la négociation du Traité de Maastricht, de valider le statut de RUP pour les régions ultrapériphériques européennes. En raison de leur éloignement, de leur isolement et de leur dépendance vis-à-vis de monoproductions. C’est la France, au nom de ses départements ultramarins, qui est à l’origine de ce statut, aussitôt rejointe par l’Espagne et le Portugal. Le regroupement de trois États a changé le rapport de force (Le statut de RUP permet à l’état membre de changer le droit européen sur plusieurs aspects – Ndlr). Les RUP peuvent bénéficier d’aides d’État pour leur développement ainsi que des exonérations fiscales sur la base de l’exonération accordée par l’article 87.3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne. Nous avons dans les mains un ticket gagnant. Pour le toucher, il faut de l’audace, de la confiance, de la créativité et de l’innovation. Le moteur d’une société humaine, c’est la conviction. Bien des choses semblaient impossibles, mais que nous avons accomplies, pour La Réunion. Le recours gagnant contre l’assemblée unique, l’échec à la bi-départementalisation, la Loi de défiscalisation de 1986, la Loi Perben, que j’ai rédigée à 80 %, en 1993, pour le soutien aux activités productives. Et le statut de RUP, que le président François Mitterrand avait accepté d’introduire dans les négociations du Traité de Maastricht. Aujourd’hui, l’ultra-départementaliste Jean-Paul Virapoullé réclame un nouveau statut économique dans le cadre prévu par l’article 349 du Traité de Lisbonne.

« Le nouveau statut d’optimisation financière devra s’accompagner d’un régime d’assurance sociale particulier qui fixera la contribution des entreprises en fonction des avantages compétitifs qu’elles visent à développer pour La Réunion. Et qui sera variable suivant les secteurs d’activité. Car les conditions économiques sont variables suivant les secteurs d’activité. Et nous pourrons ainsi faire du développement économique à la carte. » - Philippe Stéphant

« Le nouveau statut d’optimisation financière devra s’accompagner d’un régime d’assurance sociale particulier qui fixera la contribution des entreprises en fonction des avantages compétitifs qu’elles visent à développer pour La Réunion. Et qui sera variable suivant les secteurs d’activité. Car les conditions économiques sont variables suivant les secteurs d’activité. Et nous pourrons ainsi faire du développement économique à la carte. » – Philippe Stéphant

Quelles seront les étapes nécessaires pour réaliser cet objectif ?

Une des premières conditions est que La Réunion devienne un hub maritime régional. 90 % du trafic maritime transite à proximité de l’île et 93 % des marchandises qui circulent entre l’Asie et l’Amérique passent devant notre porte. Ce hub doit développer trois vocations : l’importation pour la consommation locale, le fractionnement et le transbordement de cargaisons vers d’autres destinations de la zone et l’importation de marchandises pour des activités de transformation. C’est cette troisième vocation, car l’organe crée la fonction, qui apporte la nécessité d’un nouveau statut économique pour des activités de transformation. Nous voulons entrer dans la mondialisation et dans la production. La France a eu les yeux rivés sur une industrie des services, mais on se rend compte que, sans industrie manufacturière, il n’y a plus assez de services et que la France s’est vidée de son sang industriel. Grâce à un statut économique spécial, nous voulons passer de l’Europe des interdits à l’Europe des possibles. Un des principes devra être d’apporter des aides qui permettent d’aller vers le point mort d’un projet économique et qui rendent ce projet rentable. Actuellement, les entreprises perçoivent des aides équivalentes, quelle que puisse être leur rentabilité. Ce n’est pas dans la culture française mais l’Union européenne ne s’est jamais opposée au principe d’une aide variable en fonction de la rentabilité des projets.

Quels sont les enjeux pour Saint-André et la microrégion est ?

Puisque le foncier disponible, autour du port maritime, est insuffisant pour répondre à toutes les vocations de Port Réunion, nous proposons un port bicéphale, dirigé par les autorités du Grand Port Maritime de La Réunion. Avec une modification du statut d’établissement public entérinant deux sites portuaires qui seront parfaitement complémentaires. Le futur port de Saint-André accueillera le vrac, les voitures, les combustibles, et l’actuel Port Réunion pourra développer toutes les activités d’un hub régional de transbordement de conteneurs : fragmentation, groupage, dégroupage et services marchands maritimes, ce qui est aussi très important pour apporter de la valeur ajoutée. Pour la microrégion est, l’évolution de plusieurs projets liés à la mer nous amènera à proposer la création d’une Technopole Est, en vue de développer un pôle d’excellence dans certains domaines liés aux TIC et aux biotechnologies (lire nos encadrés à ce sujet). Ces nouveaux potentiels logistiques, scientifiques et industriels et un statut particulier pour La Réunion en matière d’optimisation fiscale favoriseront la création de joint-ventures entre l’Europe et l’Afrique via La Réunion. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui a su décliner l’optimisation fiscale en tant que Premier ministre du Luxembourg, sait que l’Europe ne peut pas être absente du continent africain au moment où le nerf de la guerre est la finance. Ainsi La Réunion peut-elle pleinement devenir un tremplin pour la Communauté économique européenne dans cette partie du monde.

   L’EAU DE GRANDE PROFONDEUR POUR GÉNÉRER DE NOUVELLES ACTIVITÉS
L’ambition projet de SWAC (Sea Water Air Conditioning) en œuvre sur Saint-Denis et Sainte-Marie, qui représente un investissement de 150 millions d’euro, prévoit de climatiser en faisant appel à l’eau de grande profondeur, mais aussi des appels à projets en vue de valoriser cette eau. Un modèle qui pourrait se dupliquer à d’autres endroits de l’île et notamment pour climatiser un « green data center ».

L’eau océanique profonde des mers est une ressource exploitée à Hawaï à travers sa commercialisation et son utilisation dans le secteur des cosmétiques. Elle est extraite, à environ 1 000 mètres de profondeur, de courants sous-marins dont l’origine remonte à plus de 2 000 ans. « Cette eau océanique des profondeurs est présente le long des côtes de Saint-André. C’est pourquoi, avec une grande détermination, nous implanterons le pompage de cette eau, le long de la digue de protection du quai de Bois Rouge, martèle Jean-Paul Virapoullé. C’est une vision d’avenir car la France est le premier fabricant de cosmétiques et nous avons initié des échanges avec la Cosmétique Valley, à Chartres, en proposant de jumeler les villes de Chartres et de Saint-André. » À cette profondeur, l’eau est captée à environ 5 degrés, ce qui permet aussi de l’utiliser à des fins de climatisation par un système de SWAC (Sea Water Air Conditionning) de bâtiments tertiaires et collectifs. À l’instar du projet Climabyss de GDF Suez pour la ville de Saint-Denis. « Cela nous permet d’envisager la création à Saint-André d’un « Green Data Center » pouvant intéresser des acteurs internationaux de l’Internet pour leur développement de marchés sur l’Afrique. Car La Réunion offre les avantages de la stabilité d’un territoire européen », ajoute Jean-Paul Virapoullé. Par le développement de ces activités, un pôle d’excellence pourrait être implanté, en relation avec la Technopole de La Réunion, dans l’est, pour les domaines des TIC et des biotechnologies liées aux cosmétiques et à l’industrie du sucre, aussi présente à Saint-André. « Avec l’eau océanique profonde, Hawaï génère 1 milliard de dollars de PIB par les activités liées aux cosmétiques. Le savoir-faire français et le fait que 40 % de la population mondiale n’utilisent pas de parfums à base alcoolique créent une véritable opportunité de développement pour de telles activités à La Réunion. »
Les grands acteurs français de la Cosmétique Valley, pôle de compétitivité qui développe la filière cosmétique et parfumerie en France, seront invités à découvrir le fonctionnement de la filière à Hawaï et à découvrir le potentiel de La Réunion.

L’ambition projet de SWAC (Sea Water Air Conditioning) en œuvre sur Saint-Denis et Sainte-Marie, qui représente un investissement de 150 millions d’euro, prévoit de climatiser en faisant appel à l’eau de grande profondeur, mais aussi des appels à projets en vue de valoriser cette eau. Un modèle qui pourrait se dupliquer à d’autres endroits de l’île et notamment pour climatiser un « green data center ».
 

 

   L’EAU DE SAINTE-ROSE POURRAIT VOYAGER JUSQU’AU MOYEN-ORIENT
Très arrosée, la côte est de La Réunion ne manque pas de ressources, mais elles demeurent mal exploitées. - Ipreunion.com

Le projet de vente d’eau douce de La Réunion à l’Arabie Saoudite et aux Emirats Arabes Unis est entré dans une phase de faisabilité technique et économique. Les élus de la Cirest (Communauté intercommunale Réunion Est) souhaitent valoriser les 190 millions de mètres cubes d’eau qui ressortent chaque année des turbines de l’usine hydroélectrique de Sainte Rose. L’eau se déverse dans le port de cette commune et ne peut être d’aucune utilité sur la côte est où la pluviométrie est élevée. « Les sociétés intéressées mesurent la faisabilité technique et économique du projet, informe Jean-Paul Virapoullé, président de la Cirest. Nous aurons prochainement une vision précise de l’état du marché de l’eau dans les pays de la péninsule arabique, ainsi que des volumes que nous pouvons transporter, du coût du transport et du niveau de marge réalisable. Si ce bilan s’avère positif, nous sommes déjà assurés du soutien du président de la République, jusqu’à présent décisif sur ce dossier. L’agence nationale Business France (au service de l’internationalisation de l’économie française – Ndlr) a prévu de nous rencontrer pour ce projet. Nous avons, par ailleurs, déjà reçu des télégrammes de demandes d’eau venant de ces pays », se réjouit Jean-Paul Virapoullé. Le Moyen-Orient concentre plus de la moitié des usines de dessalement d’eau dans le monde et produit environ, chaque jour, 25 millions de mètres cubes d’eau dessalée. Ces technologies sont très coûteuses. Une capacité de traitement de 800 000 mètres cubes par jour demande un investissement de 800 millions d’euros, soit 1 euro par litre, à quoi s’ajoute le coût du process. Un mode de transport sous forme de poches étanches habillant l’intérieur de conteneurs est celui qui est actuellement à l’étude. En tirant parti de la grande quantité de conteneurs qui repartent à vide de La Réunion, cette solution éviterait la coûteuse rotation de bateaux citernes sur des cycles moyens de 28 jours. Il faut maintenant pouvoir comparer le prix d’un mètre cube livré à celui du marché de la désalinisation, qui peut varier suivant les lieux et les technologies employées.

Très arrosée, la côte est de La Réunion ne manque pas de ressources, mais elles demeurent mal exploitées. – Ipreunion.com