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Afrique

L’Algérie face à deux crises gravissimes

La crise politique, avec la question de la succession du président Bouteflika, et la crise économique, avec la chute de la production de pétrole et la baisse des exportations de gaz, en survenant en même temps, peuvent avoir un résultat catastrophique.

L'addition de ces deux crises pourrait provoquer un tsunami dont les conséquences seraient dévastatrices pour la sous-région. Sans parler de la vague migratoire qui toucherait alors la France, une partie des Algériens y ayant des parents résidents qui pourraient juridiquement être fondés à les accueillir.
Le sérail algérien n’en finit plus de s’entredéchirer entre les partisans de Saïd Bouteflika, frère du président moribond, et ceux du général Ahmed Gaïd Salah, le chef d’état-major, né en 1940. La situation peut être résumée en deux points :
1) « Monsieur frère », qui semble avoir enfin compris que l’idée d’un cinquième mandat de son aîné est proprement suicidaire, vient de porter le premier coup en tentant, mais en vain, d’éliminer le général Gaïd Salah, lequel, durant les derniers mois, a méthodiquement épuré l’armée de tous ceux qui ne lui avaient pas fait allégeance. 
2) Le clan Bouteflika, aux abois, sait que s’il n’impose pas l’un des siens à la tête de l’État, il sera la victime expiatoire du nouveau pouvoir qui lui fera porter la faillite du pays. Acculé, Saïd Bouteflika tente actuellement d’abattre sa dernière carte qui est de tenter de rassembler autour de sa personne, ou de l’un de ses affidés, les nombreux ennemis du général Gaïd Salah. Au premier rang de ces derniers figure l’ancien chef du DRS, le général Toufik, qui dispose encore de solides réseaux dans tous les milieux politiques et militaires algériens. Quelles promesses et quelles assurances lui sont-elles actuellement faites ? Seront-elles suffisantes pour lui voir rallier le camp Bouteflika ? Nous le saurons dans un avenir probablement proche, la seule inconnue demeurant de savoir qui portera le premier coup de poignard. 
Une solution permettrait aux deux camps de gagner du temps afin de se renforcer, dans l’attente de l’explication finale, et ce serait celle d’une tacite acceptation d’un report des élections présidentielles pré-vues au mois d’avril 2019.
Pendant que le sérail s’autodétruit dans des intrigues dignes d’une cour orientale, nous avons la confirmation de ce que n’a cessé d’annoncer L’Afrique Réelle depuis plusieurs années, à savoir que la production algérienne de pétrole baisse et que celle de gaz ne pourra bientôt plus permettre de fournir les exportations. Or comme les hydrocarbures fournissent bon an mal an entre 95 % et 98 % des exportations et environ 75 % des recettes budgétaires du pays, le cataclysme est donc en vue… 

Le gaz n’a pas comblé l’effondrement du pétrole

En 2012, Abdelmajid Attar, ancien ministre et ancien P-DG de la Sonatrach, la société nationale des hydrocarbures, avait provoqué un séisme en Algérie quand il avait déclaré que « le degré d’épuisement avancé de nos réserves nous impose de constituer une réserve stratégique pour les générations futures, à défaut de leur léguer une économie diversifiée capable de progresser par elle-même ». Deux ans plus tard, au mois de juin 2014, Abdelmalek Sellal, le Premier ministre algérien de l’époque, avait à son tour sonné le tocsin en déclarant devant l’APN (Assemblée populaire nationale) que « d’ici 2030, l’Algérie ne sera plus en mesure d’exporter les hydrocarbures, sinon en petites quantités seulement (…). D’ici 2030, nos réserves couvriront nos besoins internes seulement. »
De telles déclarations iconoclastes intervenaient dans un contexte d’euphorie dû à l’envolée des prix du baril de pétrole qui masquait la baisse de production. Troisième producteur africain, l’Algérie avait en effet connu son pic pétrolier entre 2005 et 2007, avec 2 millions de barils/jour, avant l’inexorable courbe décroissante qui débuta en 2008. Un temps, les dirigeants algériens nourrirent l’espoir que le gaz viendrait opportunément combler l’effondrement de la production pétrolière. Cette illusion fut dissipée le 13 décembre 2018 par Mustapha Guitouni, ministre algérien de l’Énergie quand il déclara devant les députés de l’APN : « Si nous ne trouvons pas rapidement d’autres solutions pour couvrir la demande nationale en gaz, en hausse constante, nous ne serons plus en mesure, dans deux ou trois ans, d’exporter. »

L’Algérie se retrouve dans une impasse

La situation est donc dramatique à très court terme. Laissons en effet parler les chiffres : la production gazière algérienne est de 130 milliards de m3 par an. Sur ce volume, 50 milliards de m3 sont actuellement consacrés à la consommation locale qui est en hausse de 7 % par an et qui va encore augmenter proportionnellement avec une population de 50 millions d’habitants en 2030. Restent donc, dans l’état actuel de la production, 80 milliards de m3 sur lesquels 30 milliards de m3 sont réinjectées dans les puits de pétrole pour simplement maintenir leur activité. L’exportation ne peut donc à ce jour compter que sur 50 milliards de m3. Or, et je viens de le dire, ce volume va automatiquement diminuer d’année en année en raison de l’augmentation de la demande intérieure liée à l’essor démographique….
Coïncidence, la plupart des contrats gaziers avec l’Europe se terminent en 2018 et, en 2019, les acheteurs européens ayant probablement anticipé une situation dans laquelle l’Algérie, qui sera condamnée à satisfaire prioritairement ses propres besoins, ne pourra plus exporter les volumes espérés. Le cataclysme économique algérien est donc programmé car, troisième fournisseur de gaz à l’Europe dont elle couvre 25 % à 30 % des besoins, l’Algérie va donc devoir céder la place à la Russie, à la Norvège, au Qatar et aux États-Unis. Et comme elle devra réduire ses exportations, tant de pétrole que de gaz, elle va donc voir ses recettes baisser en proportion. Une situation intenable compte tenu de sa démographie suicidaire.
Au mois de janvier 2017, l’Algérie comptait 41,2 millions d’habitants avec un taux d’accroissement annuel de 2,15 % et un excédent de 858 000 habitants chaque année. Le pays ne produisant pas de quoi les habiller, les soigner et les équiper, il doit donc tout acheter à l’étranger. Encore plus grave, comme il ne peut nourrir sa population, il consacre le quart de ses recettes tirées des hydrocarbures – ses seules recettes -, à l’importation de produits alimentaires de base dont il était pourtant exportateur avant 1962… du temps de l’Algérie française. L’agriculture et ses dérivés ne permettant de satisfaire qu’entre 40 % et 50 % des besoins alimentaires du pays, l’importation des biens alimentaires et des biens de consommation représente actuellement environ 40 % de la facture de tous les achats faits à l’étranger. Depuis 2014, l’Algérie est ainsi devenue le premier importateur-acheteur africain de biens alimentaires pour un total annuel moyen de 12 milliards de dollars (Centre national de l’informatique et des statistiques-douanes-Cnis). Or comme tous les achats à l’étranger ainsi que toutes les subventions destinées à garantir la paix sociale reposent sur une rente des hydrocarbures condamnée à diminuer, l’Algérie se trouve donc dans une impasse. 
La cleptocratie d’État qui, depuis 1962, a fait main-basse sur le pays, aura donc dilapidé ou détourné des dizaines de milliards de dollars de recettes gazières et pétrolières sans songer à préparer l’avenir. Ne lui restera bientôt plus que son habituelle recette qui est d’accuser la « France coloniale ». À Paris, les héritiers des « porteurs de valises » boiront naturellement avec volupté le calice de la repentance, mais cela ne remplira pas les assiettes des Algériens qui finiront peut-être par sortir de leur insolite résilience. 
 

(*) Bernard Lugan
Historien français spécialiste de l’Afrique où il a enseigné durant de nombreuses années, Bernard Lugan est l’auteur d’une multitude d’ouvrages dont une monumentale « Histoire de l’Afrique ». Parmi les plus récents, on peut citer « Heia Safari ! – Général von Lettow-Vorbeck – Du Kilimanjaro aux combats de Berlin (1914-1920) », « Algérie, l’histoire à l’endroit », « Histoire et géopolitique de la Libye des origines à nos jours » et « Mythes et manipulations de l’histoire africaine ». Il a été professeur à l’École de guerre, à Paris, et a enseigné aux écoles de Saint-Cyr-Coëtquidan. Il a été conférencier à l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale) et expert auprès du TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda-ONU). Il édite par Internet la publication mensuelle « L’Afrique Réelle ».