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Océan Indien

Nos îles en manque de vrais clusters

Pour commencer, quelques commentaires sur l’annonce spectaculaire du Premier ministre et ministre des Finances de Maurice, Pravind Jugnauth, lors de sa présentation du Budget de l’État, d’un projet de vente de passeports mauriciens et même de la nationalité mauricienne. Sous certaines conditions, un passeport serait octroyé pour 500 000 dollars sans donner la nationalité. Ce serait en quelque sorte un « passeport de service » permettant à son propriétaire de voyager plus facilement, souvent sans visa. Il s’avère en effet que le passeport mauricien est plutôt bien coté dans le monde et en particulier en Afrique. 
Plusieurs petit États des Caraïbes pratiquent déjà depuis longtemps ce commerce lucratif (depuis 1984 pour le pionnier Saint-Christophe-et-Niévès). Des pays européens leur ont emboîté le pas plus récemment, comme Chypre, en 2012, qui propose son passeport pour 1,9 million de dollars, et Malte, en 2013, qui a fixé le prix à 1,1 million de dollars. La Bulgarie et l’Autriche sont éga-lement positionnées sur ce marché mondial qui pèserait deux milliards de dollars. Une estimation de Christian Kälin, un avocat zurichois, président du cabinet Henley & Partners qui en a fait sa spécialité (source : journal suisse Le Temps). 

Un ballon d’essai

Le projet de vente de la nationalité mauricienne pour un million de dollars a soulevé plus de protestations et, aux dernières nouvelles, il devrait être abandonné. Était-ce un « ballon d’essai » ? Difficile à savoir. En tout cas, le fait même d’envisager cette mesure conforte l’impression que la nation mauricienne, ou du moins l’identité nationale, est encore en construction. Ce que je relevais dans mon précédent éditorial en commentant les résultats d’une étude réalisée par le cabinet StraConsult pour Afrobaromètre, un réseau africain de recherches et sondages d’opinion publique sur la démocratie. Cette étude, réalisée en octobre 2017, montre que pour 71 % des Mauriciens d’âge adulte, l’appartenance ethnique (ou communautaire) est au moins aussi importante que l’appartenance nationale. 
Il n’y en a que 6 % qui se sentent d’abord mauriciens et 18 % qui se disent seulement mauriciens. Sans doute les conséquences d’une colonisation britannique qui a su diviser pour mieux régner. Il est quand même décevant de constater qu’après 50 ans d’indépendance, la situation a peu évolué. Certains pensent même que le communautarisme s’est accru. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas envie de jeter la pierre à cette jeune nation en construction quand je vois une vieille nation comme la France accorder la nationalité à certains individus qui lui crachent dessus et ne se considèrent français que sur le papier. Et c’est quasiment gratuit puisque le passeport français ne leur est octroyé que pour 86 euros. 
Changeons de sujet pour parler de commerce régional, un sujet « bateau », c’est le cas de le dire pour des îles. Le 13 juin 2018, l’Union des chambres de commerce et d’industrie de l’océan Indien (UCCIOI) s’est efforcée de présenter un bilan du partenariat engagé depuis 2015 avec l’Agence française de développement (AFD). Pour être clair, rappelons que l’AFD a accordé une enveloppe de 2,4 millions d’euros à l’UCCIOI pour un programme visant à développer les relations d’affaires dans la région proche. Exercice difficile que ce bilan, pour le jeune directeur du programme de l’UCCIOI, Herland Cerveaux, qui ne manque pas de bonne volonté mais fait face à des pesanteurs. Le site internet dédié à la facilitation des affaires se fait toujours attendre. Quelques maigres témoignages d’entreprises bénéficiaires du programme ne suffisent pas à convaincre du bon usage des 2,4 millions d’euros de l’AFD qui pensait au développement de « clusters » régionaux. Mais encore faudrait-il s’entendre sur ce terme de « cluster » et sur son mode d’emploi. 

Les conseils de Michael Porter

En la matière, il coûterait peut-être moins cher de faire appel, par exemple, à Michael Porter, gourou américain à l’origine du développement du concept. Venu en 2014 à Maurice pour y donner une conférence, ce dernier mettait en garde, dans une entretien accordé à L’Eco austral, sur l’erreur commise par certaine entreprises désireuses d’entrer dans la mondialisation qui « s’internationalisent sans comprendre les vrais enjeux économiques de leur secteur ». Pour lui, il ne fait aucun doute que la mondialisation rend le cluster régional encore plus important et l’oblige à être parfaitement ciblé. Pour mieux se faire comprendre, le consultant américain donnait plusieurs exemples. Celui d’une grande compagnie de chaussures en Italie qui conserve chez elle la conception, le marketing et la technologie alors que la production s’est déplacée en Roumanie où les Italiens ont développé un autre « cluster ». Taïwan en a fait de même en déplaçant sa production en Chine. « Avec la montée en puissance de la mondialisation, les clusters doivent devenir de plus en plus spécialisés dans des endroits différents », soulignait Michael Porter. Il serait bon de s’en inspirer. Mais alors que le protectionnisme revient en force, la tâche demeure ardue et l’UCCIOI semble manquer de muscles pour l’accomplir.