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Retour de la croissance : La Réunion doit maintenant gérer son avenir

Bernard Frémont, directeur général de la Banque de la Réunion, à la veille de son départ, était l’invité du Tecoma Business Forum. L’occasion, avec les représentants de l’IEDOM (Institut d’émission des départements d’Outre-mer), de dresser le bilan de l’économie réunionnaise qui reprend des couleurs. Et surtout de regarder les perspectives d’avenir avec l’impérieuse nécessité d’instaurer un véritable développement endogène.



La Banque de la Réunion, la plus ancienne banque de l’île, n’existe plus juridiquement depuis le 1er mai après sa fusion avec la CEPAC (Caisse d’Épargne Provence Alpes Corse Réunion Antilles). Bernard Frémont en a donc été le dernier directeur pendant quatre ans. Une période intensive pendant laquelle il a impulsé une belle croissance, l’impliquant fortement dans le tissu économique, souvent de concert avec d’autres banques de la place, en particulier la BFC. L’esprit très ouvert et fort d’une riche expérience internationale, Bernard Frémont était le bienvenu au Tecoma Business Forum, organisé chaque mois par L’Eco austral en partenariat avec Nexa, l’agence régionale de développement, d’investissement et d’innovation. Un forum qui veut jouer le rôle d’un « think tank » à un moment où La Réunion se trouve à la croisée des chemins et doit se fixer un nouveau modèle.
 

Bernard Fremont, dernier directeur général de la Banque de la Réunion (BR) : « Bigger is better. La Réunion dispose d’un code génétique entrepreneurial unique et l’on constate un foisonnement de projets à l’heure actuelle. Mais les entreprises sont trop petites et, quand elles se diversifient, cela se limite le plus souvent au territoire. »
Bernard Fremont, dernier directeur général de la Banque de la Réunion (BR) : « Bigger is better. La Réunion dispose d’un code génétique entrepreneurial unique et l’on constate un foisonnement de projets à l’heure actuelle. Mais les entreprises sont trop petites et, quand elles se diversifient, cela se limite le plus souvent au territoire. »
 

UNE CROISSANCE DE PRÈS DE 4% EN 2015

Tout d’abord, le forum s’est efforcé de dresser un état des lieux en donnant la parole à Magali Ardoino, chef du services études et suivi des établissements de crédit à l’IEDOM (Institut d’émission des départements d’Outre-mer). Une intervention qui n’a pas manqué de réjouir les participants à la table ronde. En effet, après des années difficiles et même une récession en 2009, La Réunion renoue avec une belle croissance. Si l’IEDOM laisse le soin à l’Insee d’annoncer un chiffre précis, elle confirme que 2015 a été nettement mieux que 2014 qui, déjà, avait vu le mouvement s’amorcer avec un taux de 3,1%. Frédéric Lorion, chargé de l’observatoire de Nexa, annonce pour sa part une estimation qui frôle les 4%, ce qui est mieux que Maurice qui s’en est tenue à 3,4% et ne devrait pas faire mieux en 2016.

Magali Ardoino, chef du service études et suivi des établissements de crédit à l’IEDOM : « 7 000 emplois, au total, suffisent pour stabiliser le chômage et, pour cela, il faut dépasser les 3% de taux de croissance. »
Magali Ardoino, chef du service études et suivi des établissements de crédit à l’IEDOM : « 7 000 emplois, au total, suffisent pour stabiliser le chômage et, pour cela, il faut dépasser les 3% de taux de croissance. »
 

Pour La Réunion, après les « trente glorieuses » des années 70 et 90, où « la moyenne annuelle était de 4,8% », rappelle Thierry Beltrand, directeur de l’IEDOM, c’est une très bonne nouvelle. D’autant plus que la pression démographique s’est stabilisée à 0,5%, souligne Magali Ardoino, un niveau identique à celui de l’Hexagone. Cela signifie que le PIB par habitant a nettement progressé. Les Réunionnais sont donc devenus plus riches, comme le confirme la consommation des ménages et, en particulier, la vente d’automobiles. Ce PIB par habitant est passé de 19 334 euros en 2014 à plus de 20 000 euros en 2015, souligne Magali Ardoino. 
 

Gaston Bigey, directeur de Nexa, l’agence régionale de développement, d’investissement et d’innovation : « Nous devons monter en gamme. Nous enregistrons de bons résultats, avec notamment l’import-substitution, mais ce n’est pas suffisant par rapport aux enjeux du territoire. À un certain moment, pour grossir, les entreprises doivent aller à l’extérieur. »
Gaston Bigey, directeur de Nexa, l’agence régionale de développement, d’investissement et d’innovation : « Nous devons monter en gamme. Nous enregistrons de bons résultats, avec notamment l’import-substitution, mais ce n’est pas suffisant par rapport aux enjeux du territoire. À un certain moment, pour grossir, les entreprises doivent aller à l’extérieur. » 
 

BIEN COMPRENDRE LES RAISONS D’UN CHÔMAGE ÉLEVÉ

Il faut noter tout de même que le taux de natalité reste plus élevé avec 16 naissances pour 1 000 contre 12 pour 1 000 en France mé-tropolitaine. Mais il n’en demeure pas moins que la population active diminue, également en raison d’un mouvement d’émigration. Cela signifie une baisse de la pression sur le marché du travail où règne toujours un fort taux de chômage. Le nombre de demandeurs d’emplois est d’ailleurs dopé par un phénomène de société : la volonté des femmes de travailler. Le chômage résulte aussi, pour une bonne part, de l’inadéquation entre les besoins des entreprises et les ressources disponibles localement. Un problème que révèle d’ailleurs la dernière enquête de Pôle Empoi, « Besoins en main d’œuvre 2016 », réalisée avec le concours du Credoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie).

Marie-Rose Won-Fah-Hin, directrice de l’AURAR (Association pour l’utilisation du rein artificiel à La Réunion) et de la clinique Oméga, à l’origine également du fonds d’investissement dans la santé Philancia : « Je crois aux vertus de la subsidiarité, mais il faut une rigueur absolue dans la gestion. »
Marie-Rose Won-Fah-Hin, directrice de l’AURAR (Association pour l’utilisation du rein artificiel à La Réunion) et de la clinique Oméga, à l’origine également du fonds d’investissement dans la santé Philancia : « Je crois aux vertus de la subsidiarité, mais il faut une rigueur absolue dans la gestion. »
 

79%des entreprises interrogées pointent l’inadéquation des profils des candidats et 70% déclarent faire face à une pénurie de candidats. Quoi qu’il en soit, l’économie réunionnaise crée beaucoup d’emplois. Magali Ardoino cite le nombre de 5 500 en 2015 pour le seul secteur privé, ce qui est énorme au regard du nombre d’habitants et bien supérieur à la moyenne nationale. « 7 000 emplois, au total, suffisent pour stabiliser le chômage et, pour cela, il faut dépasser les 3% de taux de croissance. » Le secteur du BTP, qu’on disait sinistré, emploie 16 000 personnes actuellement après avoir connu une période exceptionnelle à 24 000. Mais en « activité normale », on se situe à 18 000. Un nombre qui pourrait être atteint car « l’année 2016 est bien orientée avec des projets d’investissement à la hausse ». 

Jérôme Isautier, président de l’ADIR (Association pour le développement industriel de La Réunion) : « La défiscalisation représentait un milliard d’euros par an dans les années 2000 et ne représente plus que 200 millions… Il faudrait que les FIP DOM (Fonds d’investissement de proximité - Ndlr) ne soient pas réservés aux seuls contribuables des DOM. »
Jérôme Isautier, président de l’ADIR (Association pour le développement industriel de La Réunion) : « La défiscalisation représentait un milliard d’euros par an dans les années 2000 et ne représente plus que 200 millions… Il faudrait que les FIP DOM (Fonds d’investissement de proximité – Ndlr) ne soient pas réservés aux seuls contribuables des DOM. »
 

IL FAUT SORTIR D’UNE ÉCONOMIE QUI DÉPEND DES TRANSFERTS PUBLICS

La croissance est essentiellement dopée par des transferts publics et notamment ceux qui sont engagés dans le chantier pharaonique de la Nouvelle route du littoral. Quelque 240 millions d’euros lui ont été consacrés en 2015. Un montant qui devrait passer à 375 millions d’euros en 2016, puis à 388 millions d’euros en 2017, avant de redescendre à 259 millions d’euros en 2018 et à 78 millions d’euros en 2019. C’est le modèle de La Réunion depuis la départementalisation de 1946, et surtout depuis les années 60 avec plusieurs décennies de « rattrapage » pour les salaires, les prestations sociales et les infrastructures, combiné à une forte croissance démographique qui entretenait la consommation.

« Dans la santé, nous devons passer à un autre niveau. Former des gens en nous intéressant à la biogénétique. »  Stocklib
« Dans la santé, nous devons passer à un autre niveau. Former des gens en nous intéressant à la biogénétique. »  Stocklib
 

Mais les rattrapages ne sont pas éternels comme le montre le taux d’équipement des ménages qui a fortement progressé dans les années 2000 pour se stabiliser. La Réunion est entrée désormais dans un cycle où ce sont les grands chantiers comme la route des Tamarins, et aujourd’hui la Nouvelle route du littoral, qui dopent la croissance. Un modèle économique dangereux car il ne sera pas toujours possible de financer des projets aussi importants et il faut gérer les périodes où les carnets de commande des entreprises se vident. Il s’avère urgent d’identifier de nouveaux relais de croissance, de muscler les entreprises en les incitant à capter des marchés à l’international.  

Nouvelle route du littoral
Carole Chane-Ki-Chune, directrice générale du Quotidien de La Réunion : « Nous sommes plus forts ensemble. Il faut un projet commun, une vitrine à partager. »
 

 

UN CONTEXTE PLUS DIFFICILE POUR LES FINANCEMENTS

La défiscalisation a subi un sérieux coup de rabot. « Elle représentait un milliard d’euros par an dans les années 2000 et ne représente plus que 200 millions », fait ressortir Jérôme Isautier, président de l’ADIR (Association pour le développement industriel de La Réunion). Les banques ont aussi vu leur marge de manœuvre réduite avec une MNI (Marge nette d’intérêts) en chute libre. « Quand notre banque place à la BCE, c’est à taux négatif, précise Bernard Frémont. Nous devons gérer un véritable changement de paradigme et cela nous oblige à une réflexion stratégique sur un nouveau business modèle. »

David Affejee, avocat d’affaires au cabinet Racine : « La coopération régionale devient indispensable car on ne peut plus tout attendre de la Métropole. »
David Affejee, avocat d’affaires au cabinet Racine : « La coopération régionale devient indispensable car on ne peut plus tout attendre de la Métropole. »
 

En l’espace de quatre ans, en effet, la BR a perdu un million d’euros en commissions. Jérôme Isautier estime qu’il faut revoir le principe des FIP DOM (Fonds d’investissement de proximité) et ne pas les réserver aux contribuables des DOM. Il faut noter d’ailleurs que le montant de l’épargne à La Réunion est estimé à 4,2 milliards d’euros. Une épargne très faiblement rémunérée qu’il faudrait orienter vers les entreprises. À cet égard, l’initiative de la plateforme mityou.re est intéressante. « Il y a aussi beaucoup d’argent qui dort dans l’immobilier intermédiaire et qui ne rapporte plus grand chose », note l’avocat d’affaires David Affejee du cabinet Racine. « Dans tout cela, il y a une question de culture, souligne Serge G. Hoarau, du cabinet de consulting Iridium Développement. Il faut développer la culture du risque. »
 

Catherine Carde, directrice générale de Cana+ : « Je suis encore en incubation car je viens d’arriver, mais je constate le dynamisme du marché et le foisonnement de projets. »
Catherine Carde, directrice générale de Cana+ : « Je suis encore en incubation car je viens d’arriver, mais je constate le dynamisme du marché et le foisonnement de projets. »
 

LA RÉUNION, C’EST L’EUROPE DANS L’OCÉAN INDIEN

Dans ce contexte financier difficile, il y a fort heureusement les fonds structurels européens gérés par la Région Réunion et en particulier le FEDER. Mais l’Europe demande une « spécialisation intelligente » et des retours probants. Plus question de faire du saupoudrage. La Réunion doit s’assurer un développement endogène et trouver sa place dans son environnement régional. À ce sujet, l’Europe accepte maintenant la combinaison de fonds FEDER avec des fonds FED destinés aux pays environnants ou aux organisations régionales. « C’est le résultat d’un travail de longue haleine qui a pris dix ans », précise Jérôme  « La Réunion dans l’Europe, c’est aussi La Réunion dans l’océan Indien, commente Bernard Frémont. La Région a davantage de pouvoir d’action. Cela exige une rigueur plus stricte et nous oblige à parler stratégiquement de La Réunion et à développer nos perspectives. »

Thierry Beltrand, directeur de l’IEDOM : « Je tiens à saluer le travail de Bernard Fremont à la direction de la BR et surtout ses qualités humaines et son engagement auprès des jeunes. »
Thierry Beltrand, directeur de l’IEDOM : « Je tiens à saluer le travail de Bernard Fremont à la direction de la BR et surtout ses qualités humaines et son engagement auprès des jeunes. »
 

« Cela nous oblige aussi à parler de la compétitivité du territoire pour en faire un véritable hub de la France et de l’Europe », ajoute Fabrice Thibier, secrétaire général adjoint de l’ADIR. Plusieurs participants au forum s’accordent d’ailleurs sur l’intérêt d’avoir un représentant de l’Union européenne basé à La Réunion, comme c’est le cas dans les pays voisins. 
 

Serge G. Hoarau, consultant du cabinet Iridium Développement : « On sent un souffle nouveau, mais il y a des projets qui dorment dans les tiroirs. Il y a des tas de choses à faire, même encore dans l’import-substitution, et qui permettraient de faire baisser le nombre de conteneurs qui entrent à La Réunion
Serge G. Hoarau, consultant du cabinet Iridium Développement : « On sent un souffle nouveau, mais il y a des projets qui dorment dans les tiroirs. Il y a des tas de choses à faire, même encore dans l’import-substitution, et qui permettraient de faire baisser le nombre de conteneurs qui entrent à La Réunion
 

LA NÉCESSITÉ DE MUSCLER LES ENTREPRISES

« Bigger is better, déclare Bernard Frémont. La Réunion dispose d’un code génétique entrepreneurial unique et l’on constate un foisonnement de projets à l’heure actuelle. Mais les entreprises sont trop petites et, quand elles se diversifient, cela se limite le plus souvent au territoire. » On ne peut que constater l’impérieuse nécessité de faire appel au capital-investissement. « Pour cela, les entreprises doivent être plus transparentes sur leurs chiffres, souligne Serge G. Hoarau. On sent un souffle nouveau, mais il y a des projets qui dorment dans les tiroirs en raison de ce manque de transparence. Il y a des tas de choses à faire, même encore dans l’import-substitution, et qui permettraient de faire baisser le nombre de conteneurs qui entrent à La Réunion. »
« Il est vrai que nous avons très peu de bilans consolidés, ajoute Bernard Frémont. Et cela pose un problème pour le capital-investissement… Il y des gens d’excellent niveau dans l’île et je crois sincèrement que La Réunion est en mesure de faire son Bangalore. »
 

Fabrice Thibier, secrétaire général adjoint de l’ADIR (Association pour le développement industriels de La Réunion) : « Il nous faut poser la question de la compétitivité du territoire pour en faire un véritable hub de la France et de l’Europe. »
Fabrice Thibier, secrétaire général adjoint de l’ADIR (Association pour le développement industriels de La Réunion) : « Il nous faut poser la question de la compétitivité du territoire pour en faire un véritable hub de la France et de l’Europe. »
 

IL FAUT MONTER EN NIVEAU

Marie-Rose Won-Fah-Hin croit aux vertus de la subsidiarité. « Mais il faut une rigueur absolue dans la gestion ». La directrice de l’AURAR (Association pour l’utilisation du rein artificiel à La Réunion) et de la clinique Oméga, à l’origine également du fonds d’investissement dans la santé Philancia, pense aussi que « les entreprises doivent s’associer pour aller ensemble à l’extérieur ». Un avis partagé par Carole Chane-Ki-Chune, directrice du Quotidien de La Réunion. « Nous sommes plus forts ensemble. Il faut un projet commun, une vitrine à partager. »
Pour sa part, Catherine Carde, directrice de Canal+, qui vient de prendre ses fonctions, se déclare en « phase d’incubation », mais a déjà pu constater le dynamisme du marché et les projets qui foisonnent. « Dans la santé, nous devons passer à un autre niveau, souligne Marie-Rose Won-Fah-Hin. Former des gens en nous intéressant à la biogénétique. » Et elle compte pour cela sur le fonds Philancia qui s’adresse à des entreprises privées. 
Gaston Bigey, directeur de Nexa, rejoint l’analyse de Bernard Frémont. « Nous devons monter en gamme. Nous enregistrons de bons résultats, avec notamment l’import-substitution, mais ce n’est pas suffisant par rapport aux enjeux du territoire. À un certain moment, pour grossir, les entreprises doivent aller à l’extérieur. »

L’hôtel 5 étoiles Palm & Spa dans le sud de l’île. Le secteur du tourisme, dans son ensemble, ne pèse encore qu’à peine 3% du PIB, soit quelque 300 millions d’euros. Il pourrait faire beaucoup mieux.
L’hôtel 5 étoiles Palm & Spa dans le sud de l’île. Le secteur du tourisme, dans son ensemble, ne pèse encore qu’à peine 3% du PIB, soit quelque 300 millions d’euros. Il pourrait faire beaucoup mieux. 
 

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