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Maurice

Laurent Garnier, ambassadeur de France : « notre coopération repose sur une longue amitié »

Alors que la situation se révèle difficile en France et que la mondialisation de l’économie stimule la concurrence, ce pays conserve sa première place dans l’économie mauricienne. Explications avec son représentant à Maurice…

L'Eco austral : La France n’est plus le premier client de Maurice ni son premier fournisseur, mais globalement, elle demeure son premier partenaire. Comment expliquez-vous cette résilience dans une économie mondialisée ?

Effectivement, concernant les échanges de biens, la France occupe la troisième place, en tant que pays fournisseur, derrière l’Inde et la Chine, et la deuxième place en tant que client, derrière le Royaume-Uni. Ce classement ne tient pas compte du tourisme, un secteur où la clientèle française (métropole et Réunion confondues) pèse quelque 40%. Si l’on ajoute son poids dans le secteur immobilier, avec les programmes en IRS et RES accessibles aux étrangers, on peut dire que le marché français pèse lourd. La France occupe toujours la première place, assez loin devant l’Afrique du Sud, dans les investissements directs étrangers (IDE). Les liens historiques entre la France et Maurice semblent indéfectibles car ils reposent sur une longue amitié. Beaucoup de Mauriciens me témoignent leur attachement à la France et à notre langue. Beaucoup d'entre eux ont vécu et/ou ont de la famille dans l'Hexagone. Je suis toujours étonné de voir autant de Mauriciens suivre avec attention l'actualité française, notamment politique. En forme de boutade, je dirai que le seul point noir demeure leur passion pour le championnat de football anglais…
Je pense qu'il n'y a pas beaucoup d'équivalent au monde d’un pays qui soit aussi francophone et surtout francophile ! Ces éléments facilitent beaucoup les échanges commerciaux entre nos deux pays.

Actuellement, l’idée consiste à combiner le FEDER et le FED pour développer la coopération régionale. L’AFD travaille aussi dans cette optique de coopération régionale et c’est pourquoi ses « crédits verts » ne concernent plus seulement les entreprises de Maurice. » - Davidsen Arnachellum

Actuellement, l’idée consiste à combiner le FEDER et le FED pour développer la coopération régionale. L’AFD travaille aussi dans cette optique de coopération régionale et c’est pourquoi ses « crédits verts » ne concernent plus seulement les entreprises de Maurice. »

Peut-on évaluer précisément la présence des entreprises françaises à Maurice ?

Si l’on prend en compte les filiales d’entreprises françaises, on en dénombre plus d’une centaine. Mais ces chiffres ne comptabilisent pas les entreprises mauriciennes créées par des ressortissants français. On peut estimer leur nombre à une cinquantaine. Il faut y ajouter les entreprises mauriciennes qui ont contracté des partenariats ou des accords de franchise avec des groupes français. C’est notamment le cas dans le secteur de la grande distribution, très dynamique avec la création de centres commerciaux dans toute l’île. On peut citer Super U, dont le représentant de l’enseigne est un entrepreneur mauricien qui est lui-même adhérent de cette coopérative. Cette implantation est d’ailleurs la première hors de France. Intermart bénéficie pour sa part du savoir-faire d'Intermarché, en particulier dans le domaine de la formation. Tout cela fait que les marques françaises sont très présentes à Maurice.

L’Agence française de développement (AFD), depuis son retour à Maurice en 2006, semble être le principal outil de la coopération ?

L’Agence a déployé en effet plus de 450 millions d'euros d'engagements et se concentre sur les infrastructures, le secteur productif et le développement durable avec notamment des « crédits verts » accordés, via certaines banques, au secteur privé à Maurice et au-delà, dans la zone. La seconde ligne de ces « crédits verts », lancée en avril, se monte à 60 millions d’euros.  
Si, en terme de masse financière, l'AFD occupe une grande place, la politique de coopération passe également par d'autres canaux. Notre offre bilatérale, avec l'aide de l'Union européenne, a été une réussite avec, par exemple, notre accompagnement de la restructuration de l'industrie sucrière. Notre coopération passe aussi par la Commission de l'océan Indien (COI) à travers le FED (Fonds européen de développement) qui s’adresse aux États ACP et le FEDER (Fonds européen de développement régional) qui concerne notamment La Réunion. L’idée consiste à combiner ces deux fonds pour développer la coopération régionale. L’AFD travaille aussi dans cette optique de coopération régionale et c’est pourquoi ses « crédits verts » ne concernent plus seulement les entreprises de Maurice.

Face à la Chine, la coopération française s’en sort plutôt bien et l’on constate même une action commune dans le cas du nouvel aéroport. Son montage et son pilotage ont été assurés par Aéroports de Paris Management (ADPM), sa conception architecturale par Aéroports de Paris Ingénierie (ADPI), son financement couvert à 85% par un prêt de l'Exim Bank of China et sa construction réalisée par la China State Construction Engineering Corporation. Votre opinion ?

C’est un bel exemple de coopération. ATOL (Airport Terminal Operations Ltd), qui a été spécialement mise sur pied pour réaliser le nouveau terminal, est une coentreprise détenue à 90% par AML (Airports of Mauritius Ltd) et à 10% par ADPM (Aéroports de Paris Management), elle-même filiale à 100% du groupe Aéroports de Paris. De façon générale nous avons une approche différente de celle des pays qui pratiquent l'aide « liée ». Conformément aux règles de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il n’y a pas de lien entre le financement apporté par l’AFD et l'obtention de marchés. Les entreprises françaises peuvent évidemment répondre aux appels d’offres, nous les y encourageons fortement, mais leur choix n’est pas imposé.  

Alors que la France a une expérience reconnue internationalement dans le domaine des transports, le projet de métro léger est porté par des Singapouriens. Qu’en pensez-vous ?

Le marché des grandes infrastructures est très concurrentiel à Maurice. Lors des appels d'offres internationaux, il n'est pas rare de voir des candidats européens, sud-africains, indiens et chinois. Malgré cela, nos entreprises se défendent bien, à l'exemple de la filiale mauricienne du groupe Colas. Cet acteur historique du BTP sur l'île s'appuie sur le fait que la plupart de ses salariés sont des Mauriciens. C'est un avantage car de plus de plus d'appels d'offres intègrent des clauses exigeant une main d'œuvre locale. Le groupe a été très présent lors de la construction des grandes infrastructures routières comme la nouvelle route Terre-Rouge/Verdun.

Vous avez signalé au début de cet entretien l’identité francophone de Maurice comme élément facilitateur des relations économiques. Mais la France n’occupe que la deuxième place comme destination choisie par les bacheliers mauriciens pour poursuivre leurs études. Elle pourrait donc séduire encore davantage ?

Je ne dispose pas de données précises sur la place de la langue française à Maurice, mais on considère que 70% à 80% de la population maîtrise notre langue. Il suffit de lire la presse pour s’en rendre compte puisqu’elle est très majoritairement éditée en français. Cette situation permet de penser qu’on peut augmenter le nombre d'étudiants mauriciens en France métropolitaine, mais aussi à La Réunion. C'est d'ailleurs l'un de mes objectifs. Pour cela, nous avons lancé des campagnes de promotion dans les écoles et les lycées pour présenter l'offre universitaire française qui est très diversifiée et d'un très haut niveau. Cela passe aussi par l'aide apportée aux institutions françaises de formation qui sont déjà implantées à Maurice. Nous appuyons ainsi les autorités mauriciennes qui veulent faire de leur pays un centre de savoir régional, le fameux « Knowledge Hub ».

Alors que La Réunion développe certaines compétences de haut niveau, dans le développement durable par exemple, on a l’impression que la coopération passe surtout par Paris. Pensez-vous qu’il soit possible de décentraliser davantage cette coopération ?    

La coopération institutionnelle, dans les domaines universitaire, agricole (avec le CIRAD notamment) et médical, est déjà ancienne et elle fonctionne bien. Nous venons de signer, avec le ministère des Finances mauricien, un accord dans le domaine de la formation professionnelle. Dans ce cadre, nous allons financer une étude sur les besoins d'emplois. Il sera alors intéressant de présenter le modèle français d'apprentissage et de formation professionnelle. Sur ce point, La Réunion a une vraie expertise à partager avec Maurice.  
Pour les échanges économiques, c’est plus compliqué car on se heurte à deux cultures des affaires différentes et les entrepreneurs des deux îles doivent mieux se connaître. Mais la situation évolue favorablement comme on le voit avec l’organisation des rencontres Réunion-Maurice qui, après s’être tenues deux années de suite à Maurice, se déroulent cette année à La Réunion (13 et 14 novembre), axées sur le développement durable et les biotechnologies. Aux dernières rencontres, les organisateurs ont enregistré quelque 80 entretiens B to B.
Personnellement, je suis allé quatre fois à La Réunion depuis ma prise de fonction il y a un an, j'y ai rencontré le Club Export, le centre hospitalier, l’université de Saint-Denis et les collectivités territoriales. J'y ai senti une volonté de mettre ensemble nos compétences sur des dossiers précis. On peut ainsi imaginer la création de clusters regroupant des entreprises des deux îles.

En partenariat de longue date avec Air Mauritius, Air France ne souffre-t-elle pas trop de la concurrence d’Emirates qui doit opérer un second vol quotidien sur Maurice avec son A380 ?  

La desserte d'Air France – en association avec Air Mauritius – fonctionne très bien. La présence d'Emirates permet d'augmenter le trafic, mais ce n'est pas une concurrence frontale, plutôt une offre complémentaire avec la desserte de certaines villes françaises de province en passant par Dubaï. Quoi qu’il en soit, nous savons que les modèles économiques des compagnies aériennes sont différents et que le niveau des taxes d’aéroport pèse dans le prix du billet.

En matière de desserte aérienne régionale, êtes-vous favorable à la création d’une compagnie régionale « low cost », comme le suggère le secrétaire général de la COI, Jean-Claude de L’Estrac ?

La question de connectivité, donc de la fréquence et de la réduction des coûts de transport entre nos îles est fondamentale pour le développement économique et touristique. La Commission de l’océan indien a raison de se saisir du sujet et de faire des propositions ambitieuses. Un groupe de travail associant les États membres a été lancé à Victoria en juillet dernier, attendons de voir ses recommandations, il faudra ensuite prendre des décisions rapidement.
 

PREMIER POSTE D’AMBASSADEUR

Âgé de 47 ans, marié et père de deux enfants, Laurent Garnier a pris ses fonctions d’ambassadeur de France à Maurice le 7 octobre 2013. Ancien élève de l’Institut d’études politiques de Bordeaux et de l’École nationale d’administration (ENA), il a débuté sa carrière au ministère des Finances pour ensuite rejoindre les Affaires étrangères. Avant d’être nommé à Maurice, il a exercé la fonction de directeur des affaires financières au ministère des Affaires étrangères.