Eco Austral

Découvrez tous nos articles en illimité. Je m’abonne

Logo Eco Austral
n

Eco Austral

Afrique du Sud

Les prochaines élections seront raciales

Cinquièmes élections depuis 1994, elles vont désigner le 7 mai prochain le président de la République et les députés (1). Et une fois de plus, les électeurs noirs donneront leurs votes aux partis noirs (ANC, EFF et AGANG) alors que les blancs et les métis voteront pour le DA.

 

S’il ne fait aucun doute que l’ANC l'emportera à nouveau, le désenchantement d’une large fraction de la population noire risque de profiter à l’EFF (Economic Freedom Fighters, Les combattants pour la liberté économique), le nouveau parti noir créé par Julius Malema. Cet ancien leader de la Youth League, qui fut exclu de l’ANC pour ses propos extrémistes, souffle constamment sur les braises de la situation sociale. Son programme est à la fois clairement raciste, avec une mesure phare, la confiscation des terres des fermiers blancs, et ouvertement révolutionnaire puisqu’il prône la nationalisation des mines. Ces deux revendications devraient lui permettre de faire son entrée au parlement. Signe que ce parti sera peut-être dans les années à venir le concurrent de l’ANC, nombre de jeunes noirs ambitieux et diplômés le rejoignent. S’il ne connaît pas de crise interne (la personnalité de Julius Malema y prédispose pourtant), l’EFF va proposer une alternative raciale et révolutionnaire à l’ANC qui va se trouver de plus en plus pris entre les revendications maximalistes de l’électorat noir et ses engagements économiques internationaux.

LES DÉBOIRES DU PARTI DES BLANCS ET DES MÉTIS

Les blancs (environ 10% de la population) et les métis (environ 9%) voteront pour la Democratic Alliance (DA). Lors des précédentes élections, la DA qui avait obtenu 24% avait mordu au-delà de son socle racial, mais le parti semble avoir atteint son niveau d'étiage et il risque même de reculer en raison des méandres idéologiques de son leader, Helen Zille. Cette libérale anglo-saxonne qui, au nom de l’antiracisme et du libre-échange, fut en pointe dans la lutte contre l’ancien régime blanc, a fondé sa politique sur la négation des déterminismes raciaux. Cette universaliste pense ainsi que les masses noires, mécontentes de la malgouvernance de l’ANC et de la dégradation de leurs conditions de vie, vont se tourner naturellement vers le DA. Elle croit que son parti accédera au pouvoir à travers un processus électoral dans un système bi-partiste de type britannique. Elle a cependant oublié que contrairement à ses illusions, les noirs sud-africains ne voteront jamais pour un parti « blanc ». Elle vient d’ailleurs de l’apprendre à ses dépens avec l’affaire du « mariage raté » avec le parti AGANG (2).

Retour sur cet épisode tragi-comique qui illustre la prégnance de la question raciale en Afrique du Sud. La stratégie non raciale d’Hellen Zille, qui repose sur le soutien et le ralliement d’une partie importante de l’électorat noir, passe par le « gommage » de l’image du DA « parti des blancs et des métis ». Cherchant l’appui d’alliés noirs, elle tenta donc un « mariage électoral » avec le parti AGANG de Mamphela Ramphele. D’origine xhosa mais de culture pedi (3), cette ancienne militante de la lutte contre le régime blanc fut l’épouse du leader du Black Consciensness Steve Biko, mort en détention en 1977. Médecin, elle fut littéralement « gorgée » de postes d’honneur dans lesquels elle fit preuve d’une grande incompétence, mais dont elle tira largement profit puisque, en 2013, sa fortune personnelle déclarée s’élevait à 55 millions de rands, soit environ 3,6 millions d'euros. Hellen Zille pensa avoir trouvé en cette militante, figure incontestable de la lutte anti-apartheid, la personnalité noire pouvant à la fois lui apporter une caution « morale » et les suffrages d’une partie des noirs ; aussi lui proposa-t-elle une fusion des deux partis et la tête de liste lors des élections présidentielles. Mamphela Ramphele accepta et le 28 janvier 2014, lors d’une conférence de presse, le mariage fut annoncé. L’enthousiasme des libéraux fut vite ramené aux réalités car les militants noirs d’AGANG refusèrent une telle union et Mamphela Ramphele fut désavouée par son propre parti. Comprenant que son rapprochement avec un parti considéré comme celui des blancs allait lui aliéner sa base électorale noire, elle rompit avec le DA dès le 3 février. L’ANC vit alors avec satisfaction deux de ses concurrents discrédités :

  • Hellen Zille venait de subir un grave échec personnel, toute sa stratégie s’étant effondrée ; d’autant plus qu’elle ne peut plus être candidate lors des élections présidentielles puisqu’elle a accepté la nomination de son parti au poste de Premier (ministre) du gouvernement du Cap de l’Ouest, fonction qu’elle occupe déjà.
  • Quant à Mamphela Ramphele, elle a perdu toute crédibilité, certains observateurs parlent même de « suicide politique ».

Cette tentative de dépasser les déterminismes raciaux a donc échoué en raison de la prégnance de la question raciale, ce socle incontournable de la vie politique sud-africaine et qui le sera de plus en plus dans les années à venir. Au fur et à mesure du développement de la crise économique et sociale, les blancs seront en effet, par leur seule existence, la justification des échecs de l’Afrique du Sud qui seront toujours ramenés à l’apartheid.

http://bernardlugan.blogspot.com

 

(1) L’Afrique du Sud est en théorie un État fédéral avec un gouvernement national et neuf gouvernements provinciaux. Le parlement bicaméral est élu pour cinq ans. Il est composé de 400 députés et de 90 délégués siégeant au Conseil national des provinces.

(2) Ce terme signifie « Construisons » en sesotho, la langue des Sotho. Divisés en plusieurs groupes, les Sotho constituent cependant le principal peuple d’Afrique du Sud avec plus de 13 millions de membres (26% de la population) ; or, ils furent jusque là écarté du pouvoir, l’ANC ayant été tour à tour dirigée par les Xhosa (Mandela et Mbeki), puis par les Zulu (Jacob Zuma).

(3) Les Pedi sont les Sotho du Nord. Le père de mamohela Ramphele, instituteur xhosa, avait été nommé en pays sotho du nord dans la région de Polokwane, l’ancienne Pietersburg dans l’ancien Nord Transvaal.

 

LE NETTOYAGE ETHNIQUE

C’est un terrible constat qu’a fait l’ancien président Frederik De Klerk le 31 janvier 2014 quand il accusa l’ANC de discriminer les blancs. Pour le dernier président blanc de l’Afrique du Sud, les orientations politiques du parti gouvernemental « (…) dans ce que l’ANC appelle la seconde phase de transition sont ouvertement dirigées contre des citoyens sud-africains sur la base de leur race » (lire les blancs – Ndlr). Et d’ajouter : « C’est l’antithèse de l’objectif de réconciliation nationale. »
Nous voilà donc loin de la « Nation arc-en-ciel » libérée des préjugés raciaux que Frederik De Klerk porta sur les fonts baptismaux. La réalité est que, devenus une minorité culpabilisée car chargée des « péchés » de l’apartheid, les blancs subissent une épuration ethnique « douce » fondée sur la mathématique ethnique et les quotas. La logique du système est claire : comme ils forment moins de 10% de la population et comme il y a actuellement un « surplus » de plusieurs centaines de milliers de blancs sur le marché du travail, ils devront être remplacés par des noirs.
Le Syndicat des travailleurs blancs Solidarity a résumé la situation en ces termes : « Nous expérimentons de plus en plus un sentiment d’aliénation dans nos lieux de travail (…) De nombreuses entreprises interprètent les programmes d’Affirmative Action comme une méthode pour expulser les blancs des postes de travail et les remplacer par des noirs. Ce n’est plus de l’Affirmative Action, c’est du nettoyage ethnique. »