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La BMW i-Hydrogen Next est un gros SUV animé par un moteur électrique qui est alimenté par une pile à combustible. Commercialisation prévue en 2022.
Réunion

L’hydrogène est l’avenir de la voiture électrique

Dans le monde de l’automobile, l’hydrogène revient dans la course des voitures propres en étant la meilleure solution aux problèmes de batteries et d’autonomie des véhicules électriques. Les Japonais ont dégainé les premiers avec la Toyota Mirai, mais les Allemands et les Français suivent en mettant des milliards d’euros sur la table. Une bonne raison de revenir au projet réunionnais « Green Energy Revolution Reunion Island » (GERRI) qui, en mars, 2008, proposait une filière locale de production d’hydrogène à l’horizon 2030.

La Tesla n’est même pas encore importée officiellement à La Réunion (même si une vingtaine roulent déjà sur l’île) qu’elle est déjà dépassée technologiquement par la Toyota Mirai (« futur » en japonais), qui fonctionne avec une « pile à combustible », c’est-à-dire un petit réacteur à hydrogène. L’avantage de ce « carburant » est qu’on fait le plein en 3 minutes, pour une autonomie de 500 km. 
L’hydrogène n’est pas un sujet nouveau à La Réunion. Le projet Green Energy Revolution Reunion Island (GERRI), publié en mars 2008 dans le prolongement du Grenelle de l’environnement, proposait de faire de l’île un pôle d’excellence pour les énergies renouvelables, en créant notamment une filière locale de production d’hydrogène à l’horizon 2030. Tout le monde était emballé : Nicolas Sarkozy (président de la République), François Fillon (Premier ministre), Yves Jégo (secrétaire d’État à l’Outre-mer), Jean-Louis Borloo (ministre de l’Écologie), Jean Ballandras (secrétaire général aux Affaires régionales à la préfecture de La Réunion), sans oublier les collectivités locales, au premier rang desquelles la Région, alors présidée par Paul Vergès. Un « groupement d’intérêt public » a été mis en place par l’État et la Région, présidé par Guy Dupond. En janvier 2010, Nicolas Sarkozy est venu en personne inaugurer la ferme photovoltaïque du groupe Akuo Energy à Pierrefonds, une des briques du projet GERRI. « En matière d’énergies renouvelables et de réduction des émissions, c’est La Réunion qui va montrer le chemin et c’est La Réunion qui va devenir une référence pour la France et une référence dans le monde », annonçait le président français. 

Sept milliards d’euros pour développer l’hydrogène en France 

Hélas, en 2013, le groupement d’intérêt public est dissous car la Région stoppe son financement,  préférant intervenir dans le domaine des énergies renouvelable au travers d’une autre structure. Une partie des projets labellisés GERRI ont été repris par la SPL Horizon, mais l’hydrogène est passé à la trappe. C’est dommage car l’hydrogène s’avère être aujourd’hui la meilleure solution aux problèmes de batteries et d’autonomie des véhicules électriques. Le Premier ministre français a sans doute lu comme nous L’Île Mystérieuse de Jules Verne, paru en 1875, où l’auteur présente l’hydrogène comme source inépuisable d’énergie. En tous cas, Jean Castex, en concertation avec Emmanuel Macron, a indiqué vouloir y consacrer 7 milliards d’euros, dont 2 milliards dans le cadre du « plan de relance ». 
La France produit actuellement 992 000 tonnes d’hydrogène par an, mais quasi-exclusivement à l’aide d’énergie fossile, par « vaporeformage d’hydrocarbures ». L’objectif du gouvernement est de booster la production d’hydrogène à partir d’énergie renouvelable, par électrolyse, pour avoir une énergie vraiment propre. 
L’Allemagne, qui vient d’annoncer un plan de 9 milliards d’euros pour la filière wasserstoff (hydrogène en allemand) a opté pour une approche diamétralement opposée. Les constructeurs allemands, BMW en tête, sont encouragés depuis longtemps à développer des modèles roulant à l’hydrogène, même si celui-ci est produit par l’industrie pétrolière et donc de façon polluante. En Allemagne, l’hydrogène est disponible dans certaines stations- service depuis 2004. 

 

L’hydrogène est l’avenir de la voiture électrique car il permet de faire le plein en 3 minutes pour une autonomie de 500 km.
L’hydrogène est l’avenir de la voiture électrique car il permet de faire le plein en 3 minutes pour une autonomie de 500 km.   ©Stocklib/Elnur Amikishiyev
 

BMW : un pionnier avec son modèle Hydrogen 7 

BMW a ainsi été la première marque au monde à commercialiser une voiture fonctionnant à l’hydrogène parfaitement utilisable au quotidien, dès 2007. La BMW hydrogen 7 est très vite devenue la coqueluche d’Hollywood où elle était disponible pour 118 000 dollars, soit à peine plus cher que la thermique équivalente (BMW 760i). Le 5 juin 2007, Brad Pitt et Angelina Jolie ont ainsi fait sensation en arrivant à la première du film Ocean’s Thirteen à Los Angeles avec leur BMW hydrogen 7. Richard Gere, Sharon Stone et Arnold Schwarzenegger ont également craqué pour cette berline. 
Le 5 septembre 2007, le Dr Edmund Stoiber, président de Bavière, est venu rencontrer Nicolas Sarkozy à l’Élysée à bord d’une BMW hydrogen 7 : c’était la toute première fois qu’une voiture à hydrogène roulait dans Paris. Michel Matthieu, directeur de HG automobiles, importateur BMW à La Réunion à l’époque, a eu le privilège de rouler dans une de ces voitures, à Munich, et il nous avait alors confié : « Le plaisir de conduire, caractéristique essentielle de la marque à l’hélice, est bel est bien intact avec le moteur hydrogène. » 
La BMW hydrogen 7 a ouvert la voie, c’est incontestable. C’est même un des éléments qui ont conduit La Réunion à s’intéresser alors à l’hydrogène et à en faire un axe de développement figurant en bonne place dans le projet GERRI. Sa technologie est pourtant aujourd’hui totalement obsolète. En effet, la BMW hydrogen 7 est équipée d’un moteur V12 de 6 litres de cylindrée qui ressemble furieusement au V12 essence de son équivalent thermique. La voiture elle-même est d’ailleurs en tous points identique, à la seule différence du badge Hydrogen 7 sur la malle arrière, un volume de coffre diminué et la présence de deux trappes à carburant au lieu d’une seule. Et pour cause : l’Hydrogen 7 possède deux réservoirs et le moteur à pistons fonctionne indifféremment avec les deux carburants, on bascule de l’un à l’autre à l’aide d’un petit bouton au tableau de bord, c’est juste une question de réglage de l’injection. Cette voiture est donc en réalité une hybride, qui peut parcourir 190 km avec le plein d’hydrogène (8 kg) et 480 km avec le plein de SP95 (74 litres), soit une autonomie de 670 km. 

 

La future BMW i Hydrogen Next a été mise au point en partenariat avec Toyota. À l’avant la pile à combustible qui transforme l’hydrogène en électricité, au centre les deux réservoirs de 60 litres chacun et à l’arrière le moteur électrique avec juste au dessus une petite batterie.
La future BMW i Hydrogen Next a été mise au point en partenariat avec Toyota. À l’avant la pile à combustible qui transforme l’hydrogène en électricité, au centre les deux réservoirs de 60 litres chacun et à l’arrière le moteur électrique avec juste au dessus une petite batterie.    ©BMW
 

Aujourd’hui, c’est Toyota qui dégaine le premier 

Cela explique pourquoi BMW a été peu suivi sur cette technologie. D’autres marques ont développé des prototypes (Ford, Honda, Mazda, Chevrolet), mais personne n’a franchi le stade de la commercialisation car tout le monde travaillait déjà sur l’étape technologique suivante : la « pile à combustible » (Fuel Cell en anglais). Il s’agit d’un réacteur dans lequel on fait se rencontrer de l’hydrogène et de l’oxygène mais, au lieu de provoquer une forte détonation comme on a tous pu le constater en cours de chimie, le réacteur produit chimiquement du courant. Pour expliquer le processus simplement : par électrolyse de l’eau, on peut séparer l’oxygène de l’hydrogène et par le procédé inverse, c’est-à-dire en mélangeant de l’hydrogène et de l’oxygène, on peut créer du courant. Celui-ci n’est pas stocké, mais utilisé immédiatement par le moteur électrique.
Et là, c’est le Japonais Toyota qui a dégainé le premier, avec la Mirai (« futur » en japonais), commercialisée depuis septembre 2015. Elle embarque un moteur électrique de 153 ch, alimenté par un pack de batteries électriques classiques et une pile à combustible. Toyota en a déjà vendu plus de 3 000 exemplaires en Californie, État américain démocrate et très branché écologie, mais surtout celui qui a la plus forte densité de stations-service hydrogène de tous les États- Unis. L’approvisionnement reste en effet le talon d’Achille des voitures à hydrogène : on compte à ce jour 434 stations-service hydrogène ouvertes dans le monde (source : Ludwig-Bölkow-Systemtechnik GmbH), dont 178 en Asie (114 au Japon, 33 en Corée du Sud, 27 en Chine, 1 à Singapour), 74 en Amérique du Nord (dont 48 en Californie) et 177 en Europe (dont 87 en Allemagne, 26 en France, etc.). Il n’y en a aucune en Amérique du Sud ni en Afrique. On en trouve par contre une à Dubaï. 

 

Air Liquide est l’actionnaire majoritaire de la société parisienne de taxis Hype, qui est ainsi totalement autonome pour son carburant : elle possède ses propres stations-service hydrogène.
Air Liquide est l’actionnaire majoritaire de la société parisienne de taxis Hype, qui est ainsi totalement autonome pour son carburant : elle possède ses propres stations-service hydrogène.   © Toyota
 

Une nouveauté automobile occultée par la covid-19 

C’est évidemment les pays où il est le plus facile de faire le plein d’hydrogène qui s’équipent le plus vite. La Toyota Mirai est la best-seller des voitures à pile à combustible avec 9 700 véhicules sur les 11 200 voitures à hydrogène en circulation dans le monde. Il y a 5 900 Mirai qui roulent aux États-Unis, 3 200 au Japon et 600 en Europe (Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Norvège, Suède, Danemark, Grande-Bretagne et France). 
À Paris, Hype exploite depuis 2015 une centaine de taxis Toyota Mirai et va en acheter 500 supplémentaires avant la fin 2020 qui seront déployés à Paris et Bruxelles. Ce seront des nouveaux modèles, dont le lancement officiel en Europe était prévu début 2020 au salon de Genève, mais celui-ci a été annulé à cause de l’épidémie et cette nouveauté automobile est passée totalement inaperçue. Le moteur n’a pas beaucoup changé (155 ch au lieu de 153), mais la nouvelle Mirai est plus longue, plus large, plus basse et plus esthétique. Elle accueille surtout 5 passagers, contre 4 précédemment, ce qui était pénalisant pour un taxi. Son prix ? 66 000 euros HT en Allemagne. Le business model de Hype repose sur le fait que grâce à son actionnaire principal (Air Liquide), cette société de taxis possède ses propres unités de production d’hydrogène. N’est-ce pas le rêve de toutes les entreprises de transport de produire elles-mêmes leur carburant ? 
Toyota a donc pris le lead sur les voitures à pile à combustible, mais les Allemands n’ont pas dit leur dernier mot. BMW a présenté son prototype BMW i Hydrogen Next au Salon de Francfort 2019. C’est un gros SUV de type X5, issu d’un partenariat avec Toyota qui date de 2013 et qui sera bientôt commercialisé. Le 10 juin 2020, le ministre allemand de l’Économie, Peter Altmaier, est arrivé au volant d’une Mercedes GLC fonctionnant à l’hydrogène à sa conférence de presse pour présenter le plan allemand destiné à faire du pays le leader mondial de l’énergie wasserstoff, un plan pour lequel l’Allemagne débloque 9 milliards d’euros (dont 2 milliards pour subventionner les ménages allemands et les entreprises qui achètent un véhicule à hydrogène). 
Tous les constructeurs développent aujourd’hui des voitures à pile à combustible : Mercedes, BMW et Audi, mais aussi Fiat, Kia, Hyundai, Honda, Volvo et même Renault (à travers une alliance avec Nissan, Ford et Daimler). Le groupe PSA développe aussi un modèle, via sa filiale Opel. 
Renault a déjà mis au point un Kangoo électrique équipé d’une toute petite pile à combustible qui agit comme un « prolongateur d’autonomie », une technologie « micro-hydrogène » qui a fait ses preuves et qui est maintenant également disponible sur le Renault e-Master, depuis juin 2020, partout sauf à La Réunion, puisque le projet de filière hydrogène a été abandonné en 2013 et qu’il n’existe pas une seule station-service sur l’île où l’on peut faire le plein d’hydrogène. Alors que La Réunion était bien partie pour être département pilote si le projet GERRI s’était poursuivi. 

 

L’objectif du gouvernement français est de booster la production d’hydrogène à partir d’énergie renouvelable, par électrolyse, pour avoir une énergie vraiment propre.
L’objectif du gouvernement français est de booster la production d’hydrogène à partir d’énergie renouvelable, par électrolyse, pour avoir une énergie vraiment propre.   © Stocklib/Malp
 

La Réunion peut se mettre à l’hydrogène vert 

Tout n’est pas perdu, La Réunion peut encore se positionner sur le plan hydrogène annoncé par le Premier ministre Jean Castex et détaillé par Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, et Bruno Le Maire, ministre de l’Économie. Ce dernier a affiché les ambitions de la France : « Une stratégie à sept milliards pour gagner un pari technologique. Sept milliards pour être les meilleurs en Europe. Parmi les différents procédés, la stratégie retient l’électrolyse qui apparaît comme le plus prometteur, sur lequel la France dispose déjà d’industries à fort potentiel. » Le plan du gouvernement comporte la construction de 100 stations-service hydrogène en France. Et comme la population de La Réunion représente plus de 1 % de la population nationale, cela devrait justifier qu’on ouvre au moins une de ces stations-service à La Réunion. L’investissement est raisonnable : entre 1 et 2 millions d’euros. 
Grâce à sa position géographique intertropicale, favorable au développement du photovoltaïque, La Réunion peut aisément alimenter cette station-service en hydrogène « vert », donc parfaitement en phase avec le plan du gouvernement. C’est ce que fait déjà EDF Réunion à Mafate, plus exactement au hameau de La Nouvelle, depuis janvier 2017, à l’initiative de Jean-Bernard Lévy, patron national d’EDF. L’électricité produite en surplus par les panneaux photovoltaïques posés sur l’école est stockée dans des batteries lithium-ion, mais une partie est maintenant stockée sous forme d’hydrogène, produit par électrolyse. L’hydrogène est ensuite retransformée en électricité par une pile à combustible, qui permet d’alimenter alors l’école, le dispensaire et la maison de l’ONF. Techniquement, EDF a choisi le dispositif Smart Autonomous Green Energy System (SAGES) de Powidian (http:// powidian.com), une start-up française lauréate des Trophées des solutions climat de la COP 21 en décembre 2015. Si l’expérimentation est concluante, ce « micro-grid » sera dupliqué dans les autres ilets, ce qui va permettre de fortement diminuer le recours aux groupes électrogènes fonctionnant au diesel. 

 

La pile à combustible (« Fuell Cell » en anglais) de la Toyota Mirai.
La pile à combustible (« Fuell Cell » en anglais) de la Toyota Mirai.   © Toyota
 

L’avenir de la voiture électrique et des transports routiers 

Évidemment, pour passer de ce « micro-grid » à un réseau capable d’alimenter plusieurs stations- service qui alimenteront à leur tour les piles à combustible de milliers de véhicules à hydrogène, il faut changer d’échelle, mais l’essentiel est de décider de se lancer. Certains à La Réunion l’avaient compris dès 2007, ils n’ont pas été suivis, mais rien n’est perdu. L’Allemagne et le Japon sont leaders pour la fabrication de voitures à hydrogène, mais la France dispose d’une réelle expertise dans la production d’hydrogène. C’est à Saint- Laurent du Maroni, au sein de la Centrale électrique de l’ouest guyanais (CEOG) que se trouve le plus grand projet au monde de centrale photovoltaïque stockant l’énergie sous forme d’hydrogène. Elle sera opérationnelle fin 2021. L’hydrogène est l’avenir de la voiture électrique individuelle car il permet de faire le plein en 3 minutes pour une autonomie de 500 km. Mais c’est aussi l’avenir des transports en commun et du transport de marchandise : des bus et des camions  hydrogène roulent déjà en France.

Jean Ballandras 

Jean Ballandras, qui était en 2007 secrétaire général aux Affaires régionales à la préfecture de La Réunion (SGAR) et très impliqué dans le projet GERRI, a entretemps quitté la préfectorale et il occupe actuellement un poste de directeur au sein du groupe Akuo Energy, acteur majeur de la transition énergétique, qui a installé plusieurs fermes solaires dans le monde et à La Réunion (dont celle de Pierrefonds inaugurée par Nicolas Sarkozy). Cette entreprise installe aussi des stations-service hydrogène. L’hydrogène est à portée de main.